Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Il existe deux catégories d’imbéciles : les répétiteurs, qui répètent les imbécillités courantes, les imbécillités des autres, et les initiateurs, qui en inventent de nouvelles. Celui qui invente des imbécillités véritablement nouvelles, cependant, n’est plus un imbécile, car on appelle génie, surtout en philosophie, celui qui invente des imbécillités véritablement nouvelles, l’imbécile original ou originel. p. 21.
La sainteté est une maladie de l’hypocrisie, et la criminalité, une maladie du cynisme. p. 21.
Le sens commun opère avec des lieux communs, en les classant et en les rangeant dans des petites boîtes. L’opposé du lieu commun est le paradoxe, soit le lieu commun de demain. p. 23.
Le pédagogue est celui qui enseigne à enseigner aux enfants à oublier qu’ils vivent, c'est-à-dire qu’ils vont mourir. [...] Quant au démagogue, c’est le pédagogue du peuple — autres enfants. p. 26.
La santé n’est pas la même chose pour celui qui est en bonne santé et pour le malade, car pour celui-ci elle est un paradoxe et pour celui-là un lieu commun. p. 28.
Hypocrite voulut d’abord dire acteur ou comédien. L’hypocrite est celui qui joue un rôle. Si ce n’est qu’aujourd’hui, on n’appelle plus ainsi que celui qui est convaincu de jouer un rôle dont il n’est pas empreint. [...] Et comme, par ailleurs, “personne” signifia d’abord le masque de scène, le masque tragique ou comique, puis le personnage représenté, nous voyons ici qu’hypocrisie et personnalité sont des sœurs jumelles, si tant est qu’elles ne soient pas une seule et même chose. p. 29-30.
Être soi, c’est être pour soi, et être pour soi, c’est être pour les autres et en les autres. Celui qui n’est pas en les autres et pour les autres n’a pas de représentation, il n’est pas lui-même et il n’est pas pour lui, il manque de personnalité. Et lorsqu’il se regarde dans le miroir, il ne se voit pas. Autrement dit, il ne se regarde pas. p. 31.
Il y a, certes, celui qu’on croit être et celui que l’on voudrait être ; mais il y a aussi celui que les autres croient que l’on est et celui qu’ils voudraient que l’on soit. p. 32.
On ne peut mourir de honte qu’en perdant la face. Mais l’effronté porte un masque. p. 35.
Mais la définition se laisse-t-elle définir ? Peut-on définir quelque chose sans avoir d’abord défini la définition ? Et ainsi nous entrâmes dans l’infini, qui est l’indéfini. p. 38.
Divertissement, du verbe divertir, déverser hors de son lit, ne pas suivre le courant, briser la voie diamantine du destin, la conséquence rigide de la logique — qu’elle soit scientifique ou ténébreuse, mystique ou solaire -, jouer à la liberté. p. 50.
La sagesse humoristique, ou tout simplement la sagesse, puisque l’autre est science ou révélation, consiste à pouvoir tout regarder l’âme folâtre. Mélancoliquement folâtre. Elle consiste à jouer. p. 51.
Qu’est-ce que la sociologie ? Tout le monde le sait ! Risquons-nous simplement à une mise en proportion en affirmant que la sociologie est à l’histoire ce que la pédagogie est à l’éducation. Et nous ne disons pas à la psychologie, car toutes les “logies” nous semblent également embrouillées. Il faudrait, en outre, commencer par définir la “logologie”. Qui n’est peut-être que ce que l’on nomme “philologie”. p. 54.
Le temps, dit-on, est irréversible. Vraiment ? Lorsque l’histoire finira de s’enrouler, comme elle s’enroule autour de son ensouple, du passé vers le futur, peut-être changera-t-elle de sens et commencera-t-elle à s’enrouler dans le sens inverse, du futur vers le passé ? p. 57.
Notre ami, qui, comme le peuple, est un poète, et qui a l’habitude d’inventer des métaphores, n’a pas réussi à convaincre de la probabilité de cette relation esthétique un homme qui lui demandait des preuves. Mais notre ami est un historien, et le philologue chez lequel il se rendit était un sociologue. p. 58.
En politique, celui qui ne personnalise pas, ou plutôt n’individualise pas, manque de sens historique. p. 59.
L’embrouille est le procédé de l’humour. p. 62.
Certes, nous savons bien qu’on n’obtiendrait pas le Don Quichotte en jetant des lettres au hasard. Mais on obtiendrait quelque chose qui, au fil du temps — ou des siècles, le cas échéant — deviendrait un Don Quichotte. p. 62.
Méthode ! Chemin ! On a dit des rivières qu’elles sont des chemins qui marchent. Mais la mer, la mer n’est-elle pas elle-même un chemin ? [...] L’eau d’un fleuve peut — dans le meilleur ou dans le pire des cas, selon qui en juge — se précipiter de manière torrentielle dans un rapide ou tomber en cascade, ravageant les terres et emportant tout ce qu’elle rencontre. Dirons-nous qu’elle ne suit pas un chemin ? Bien sûr qu’elle en suit un, et selon un ordre ; un ordre révolutionnaire. La révolution est ordre. p. 64.
Cette méthode métaphorique est la méthode historique. Ce qui n’est pas métaphore est mort. p. 65.
Or, quand nous nous penchons sur le pourquoi et le pour quoi, nous voyons simplement qu’existe tout ce qui existe et qu’arrive tout ce qui arrive, qu’il y a l’histoire et que l’histoire, se faisant, fait le pourquoi et le pour quoi. Toutes les catégories ne sont rien d’autre que des anecdotes. Et ainsi la philosophie se dissout dans son histoire, dans l’histoire. p. 66.
Définir les choses, c’est prendre le meilleur chemin pour ne pas les comprendre bien. p. 67.
Une fin est toujours pratique, même la fin de la pensée, qui prend fin dans la pensée elle-même. Car c’est la même chose que vouloir et penser, on ne peut abstraire la ligne d’un mouvement du sens de ce dernier. Penser, c’est vouloir penser, et vouloir, c’est penser que l’on veut. On ne saurait vouloir sans pensée, ni penser sans inclination. p. 69.
Ce que les politiciens appellent un acte n’est généralement rien de plus qu’un mot, une pensée exprimée ou un mandat. p. 71.
[Dans] le sommeil on est passif et sans volonté ; on se rêve soi-même. Celui qui ne fait que rêver est rêvé. Le rêve est le royaume des souhaits sans volonté. p. 71-72.
Nous dirons [...] que l’action suprême se trouve dans la Passion. [...] Et le drame est la passion faite action, la pensée faite volonté, exprimée vers l’extérieur. Oui, simplement, la pensée qui pense, et non la pensée qui est pensée. p. 73.
Le point mort est le point le plus chaud, et s’il ne pense pas, il est perdu, lui et tout le système. p. 74.
Celui qui a envie gagne, et celui qui n’a pas envie perd. p. 75.
L’homme est une pensée qui pense et est pensé. Lorsqu’il pense, il veut, et lorsqu’il est pensé, il rêve. p. 75.
[Notre] pensée est prisonnière des images, car les images sont les mots et notre pensée est mot. Et notre logique, philologie ou logologie. Ce que nous ne savons dire, nous ne savons ni le penser ni le vouloir. Qui trouve une expression trouve un acte ; qui crée un mot crée une action. Qui sait donner un surnom mortel à un adversaire le tue, et parfois, en le tuant, l’immortalise. p. 75-76.
En logique, la définition est un point mort. Ou un cercle vicieux, ce qui est à peu près la même chose. Voilà pourquoi seul ce qui est mort se laisse définir. “Je n’arrive pas à vous définir !” nous dit un jour un définisseur. Et nous lui répondîmes : “C’est que je suis encore vivant.” p. 76.
UNAMUNO M. de, Aphorismes et définitions, Paris, Payot & Rivages, 2021.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, avril 2025.
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