Thalès, né à Milet en 635 av. J.-C., est le premier penseur présocratique. Figurant parmi les Sept Sages, il est aussi le premier à recevoir cette appellation. La célèbre devise “Connais-toi toi-même” est attribuée à Thalès (DL, I, 40). C’est cette devise que Socrate pourra contempler, gravée sur le frontispice du temple de Delphes. Thalès serait décédé autour de 545 av. J.-C. (voir le chapitre “Histoires particulières").
Thalès aurait étudié la philosophie en Égypte [PS]. Il faut plutôt parler ici d’astronomie et de géométrie. Cette dernière aurait été inventée par les Égyptiens, selon Hérodote. Les penseurs présocratiques sont donc plutôt des physiciens que de véritables philosophes : ils cherchent à expliquer les phénomènes de la nature et son organisation au moyen de la raison, et plus seulement à partir de la croyance en des dieux.
A la question : “De quoi est fait le monde ?”, Thalès répondait que le principe des éléments est l’eau. Il représente ainsi la Terre flottant sur l’eau à la façon d’un morceau de bois. Selon Aristote, il aurait fait cette déduction en observant que toute nourriture est humide et que la vie est engendrée par la chaleur à partir de l’eau ou des semences composées d’eau.
Dans le domaine de l’astronomie, Thalès est considéré comme le premier à affirmer que la terre occupe une position moyenne (nous sommes loin du géocentrisme qui condamnera Galilée) et que la Lune est éclairée par le Soleil. Il a aussi décrit et prédit les éclipses solaires. Il a découvert les solstices et les équinoxes, les saisons, et fixé la durée de l’année à 365 jours.
Dans le domaine de la géométrie, il a démontré le premier que le diamètre coupait le cercle en deux parties égales. Il a élaboré plusieurs théorèmes sur les triangles et sur les lignes droites. Il aurait trouvé une méthode pour mesurer les pyramides à partir de leur ombre.
Dans le domaine de la métaphysique, il pensait que le monde est un, que les âmes étaient immortelles, que Dieu était incréé et illimité.
Selon Diogène Laërce, Il a été “le premier à avoir disserté sur la nature”. Comme l’écrit Jean-Paul Dumont :
C’est [...] surtout pour avoir tenté le premier une explication rationnelle et systématique du monde, que Thalès est le père de la physique ionienne et plus généralement de la philosophie. PS, p. 1181.
C’est donc au moyen de la raison que Thalès a voulu théoriser le monde qui, jusqu’alors, relevait de croyances en des dieux et de mythes.
Thalès n’a laissé aucun écrit. Nous n’avons à notre disposition que des fragments qui lui sont attribués, dispersés dans les œuvres de différents auteurs de l’Antiquité. C’est ainsi que Diogène Laërce rapporte ce jeu de questions-réponses qui ressemble quelque peu au questionnaire de Proust.
Comme on lui demandait ce qui est difficile, il dit : “Se connaître soi-même.” Ce qui est aisé ? “Conseiller les autres”. Le plus plaisant ? “Réussir.” Qu’est-ce que le divin ? “Ce qui n’a ni commencement ni fin.” Qu’avait-il vu de (plus) désagréable ? “Un tyran devenu vieux.” Comment peut-on supporter l’infortune le plus facilement ? “En voyant ses ennemis connaître des ennuis encore pires.” Comment mener la vie la meilleure et la plus juste ? “En ne faisant pas nous-mêmes ce que nous reprochons aux autres.” Qui est heureux ? “Celui qui est sain de corps, plein de richesses en son âme, bien éduqué naturellement.” DL, I, 36-37.
Sa capacité à réaliser des prévisions astronomiques est à l’origine de deux épisodes particuliers de sa vie : son enrichissement personnel, et sa chute par inadvertance dans un puits.
Aristote raconte ainsi l’histoire de la création du premier monopole par Thalès :
Comme, voyant sa pauvreté, les gens lui faisaient reproche de l’inutilité de la philosophie, on dit que grâce à l’astronomie, il prévit une récolte abondante d’olives. Alors qu’on était encore en hiver, il parvint, avec le peu de biens qu’il avait, à verser des arrhes pour prendre à ferme tous les pressoirs à huile de Milet et de Chios, ce qui lui coûta peu puisque personne ne surenchérit. Puis vint le moment favorable : comme on cherchait beaucoup de pressoirs en même temps et sans délai, il les sous-loua aux conditions qu’il voulut. En amassant ainsi une grande fortune, il montra qu’il est facile aux philosophes de s’enrichir s’ils le veulent, mais que ce n’est pas de cela qu’ils se soucient. Aristote, Les Politiques, 1259 a.
Thalès a donc pu ainsi montrer en quoi sa science pouvait être utile. Il s’agit ici davantage de physique - capacité à prévoir les phénomènes naturels - que de philosophie. Cette utilité de la physique/philosophie est remise en cause par les narrations du deuxième épisode de la vie de Thalès.
L’épisode du puits est relaté de différentes manières. Diogène Laërce écrit que Thalès, sorti de sa maison pour observer les astres, était accompagné d’une vieille femme. Trop concentré sur son observation astronomique, il chuta dans un puits. La vieille femme lui fit alors la remarque que lui qui prétendait connaître le ciel était pourtant incapable de voir où il posait les pieds (DL, I, 34). Platon rapporte la même histoire, contée par Socrate avec quelques différences :
Thalès, étant tombé dans un puits, tandis que, occupé d’astronomie, il regardait en l’air, une petite servante thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit, dit-on, à le railler de mettre tant d’ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu’il ne s’apercevait pas de ce qu’il avait devant lui et à ses pieds ! Platon, Théétète, 174 a.
Une troisième version est donnée par La Fontaine, dans une de ses fables :
Un astrologue un jour se laisse choir
Au fond d’un puits. On lui dit : Pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?
La Fontaine, Fables, II, xiii, L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits.
Ces trois versions tendent à démontrer l’inutilité de la science pour conduire son existence. Diogène Laërce donne une dernière version de la chute dans le puits, présente dans une lettre d’Anaximène, le dernier des trois penseurs milésiens, adressée à Pythagore. Il écrit que Thalès, à la fin de sa vie, est sorti pour observer le ciel, toujours accompagné de sa servante, et qu’il serait mort en chutant dans ce qui devait être un fossé (DL, II, 4).
Une autre version de la mort de Thalès est racontée par le même Diogène Laërce :
Le sage donc mourut en regardant un concours gymnique - de chaleur, de soif et de faiblesse -, alors qu’il était déjà âgé. Et sur son tombeau fut inscrit :
Ce tombeau est certes étroit, mais considère qu’elle atteint les dimensions du ciel,
La gloire de Thalès, l’homme très sensé.
DL, I, 39.
Thalès aurait vécu jusqu’à quatre-vingt-dix ans, ce qui est fort respectable dans la Grèce antique, où l’espérance de vie ne dépassait pas à l’époque 30 ans.
Émile Bréhier, Histoire de la philosophie.
Jean-Paul Dumont, Les Présocratiques, Bibliothèque de la Pléiade. Abréviation utilisée dans cet article pour désigner cet ouvrage : [PS].
Diogène Laërce, Vies et Doctrines des Philosophes Illustres, Livre de Poche. Abréviation utilisée dans cet article pour désigner cet ouvrage : [DL], suivi du numéro du livre et de la numérotation des fragments, exemple [DL, VI, 20] pour le livre VI et le fragment 20.
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie.
Louis-Marie Morfaux, Jean Lefranc, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.
Wikipédia : Thalès de Milet.
Patrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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