Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
En vérité, Antigone ne s’est pas suicidée dans sa tombe comme Sophocle, commettant une erreur inévitable, nous le rapporte. Antigone pouvait-elle se donner la mort, elle qui n’avait jamais disposé de la vie ? p. 239.
[L’amour] est, avec son voyage rituel aux enfers, celui qui éclaire la naissance de la conscience. Antigone le met en évidence. Socrate l’a accompli à sa manière. Tous deux sont les victimes de sacrifice que le “miracle grec” nous montre, nous tend. Et tous deux périssent par la cité, en vertu des lois de la cité qui se fait transcendante. p. 242.
[Antigone] est une figure de l’aurore de la conscience. p. 243.
Antigone est restée seule. On lui a donné une tombe. On devait aussi lui donner du temps. Et plus que la mort, le passage. [...] Et un mourir, une façon de mourir qui lui permît de laisser quelque chose, l’aurore qu’elle portait, et de sortir purifiée de ce qui fut à la fois un enfer et un purgatoire, vers son destin d’outre-terre : “Puro e disposto a salire alle stelle”, comme le dirait quelqu’un, des siècles plus tard, à propos de lui-même. p. 244.
Alors commence la tragédie personnelle d’Antigone, avec cette seconde naissance qui coïncide non pas avec sa mort, mais avec son ensevelissement - contraire parfait de l’exil qui fut le sien quand elle s’ouvrait à la vie. Une seconde naissance qui lui offre, comme à tous ceux à qui cela arrive, la révélation de son être dans toutes ses dimensions ; seconde naissance qui est vie et vision dans le speculum justitiae. p. 252-253.
Comme toute vérité à l’état naissant, elle ne peut jamais être saisie dans un concept, ni dans une idée humaine. [...] Comme l’aurore, comme le parfum de la fleur qui vient de s’ouvrir, elle se diffuse sans se perdre. p. 256.
Le plus humain dans l’homme, du moins tel qu’il continue à nous apparaître aujourd’hui, c’est la conscience. Et c’est la conscience qu’éclaire Antigone, l’aurore qu’elle renouvelle à chacune de ses apparitions. [...] La vocation d’Antigone - ou la vocation “Antigone” - précède la différenciation entre philosophie et poésie, elle se situe avant le croisement où le philosophe et le poète se séparent, avec tant de déchirement pour certains. p. 258-259.
Mais je connais à présent ma condamnation : “Enterrée vive, Antigone, tu ne mourras pas, tu resteras ainsi, ni dans la vie ni dans la mort, ni dans la vie ni dans la mort…” p. 265.
Ombre de ma vie, mon ombre. [...] Pourquoi vois-je cette ombre ? Est-ce la mienne ? Y a-t-il à nouveau de la lumière ici ? Non, elle n’est pas d’à présent, je ne puis être cette jeune fille à qui appartient l’ombre ; légère, haute, odorante. Je ne l’ai jamais été. p. 267.
Les pleurs sont comme l’eau, ils lavent et ne laissent pas de trace. p. 271.
Dure est la Terre pour l’homme qui vient de naître ; il se retrouve soudain pris dans sa racine, expulsé de la Terre mère. p. 274.
Et c’est là ce qui nous est arrivé à toutes deux : voir, vraiment voir ce qui se passe, ce qui va se passer sans pouvoir y remédier ; ce qui leur arrive déjà sans qu’eux le sachent ou le veuillent. p. 278.
L’histoire, petite Antigone, t’attendait toi, toi. C’est pour cela que tu es ici, si seule. À cause de l’histoire. p. 279.
C’est le voyage mystérieux des Parents, nous les voyons partir très loin, au-delà des confins de la vie, sachant qu’ils reviendront, que toujours ils reviendront avec nous et qu’ils nous rapporteront quelque chose de précieux, que nous n’aurions pas s’ils ne partaient si loin. p. 281-282.
Personne ne peut me voir. Mais on rêve de moi. En cela je suis pareille à la beauté, et c’est ce qui compte. On rêve de moi, comme de toi. Es-tu le rêve de quelqu’un ? N’as-tu pas passé ta vie à rêver de quelqu’un sans le reconnaître ? Et maintenant, ici, sais-tu si quelqu’un rêve de toi ? p. 284.
Les mortels doivent tuer, ils croient qu’ils ne sont pas des hommes s’ils ne tuent pas. [...] Ils croient qu’en tuant ils vont être les Maîtres de la Mort. Le Roi n’est pas le Roi s’il n’a tué, s’il ne tue pas, s’il ne continue de tuer. Et puis le Juge qui ne tue pas… Mais lui, il ordonne de tuer parce qu’il est déjà dans le règne de la raison pure, de la loi. p. 289.
Comme cette violette qui tomba de mes mains un après-midi où je cueillais des fleurs ; tout juste coupée, la violette s’échappa et resta étendue au pied de ses sœurs. Je la laissai là, et demeurai à la contempler, à la sentir, à la comprendre, car c’est dans ces choses-là que j’ai appris. p. 291.
Ceux sur qui tombe la vérité sont pareils à l’agneau marqué du sceau de son maître. p. 295.
Je ne sais si je me suis tué ou si je n’ai pas pu continuer à vivre sans toi. p. 298.
Ils cesseront de pleurer, et il est bon qu’ils me pleurent un certain temps : cela les purifiera. Moi, la pluie m’a souvent surprise dans la campagne quand j’allais avec mon père et que nous ne savions où nous abriter. Et cette pluie était bonne, c’était bon, et pourtant c’était dur d’aller en rase campagne. Grâce à l’exil nous avons connu la terre. p. 302.
Moi, il n’y a pas à m’obéir. Suis donc qui je suis. p. 302.
[Ce] que mon âme rejette ce n’est pas la condamnation, c'est la loi qui l’engendre. p. 303.
La patrie, la maison, c’est avant tout le lieu où l’on peut oublier. Parce qu’on ne perd pas ce qu’on a déposé dans un coin. p. 305.
Il ne faut traîner ni le passé, ni le présent ; le jour qui vient de passer il faut l’élever, l’ajouter à tous les autres, le soutenir. Il faut toujours monter. C'est cela l’exil, une côte, même si c’est dans le désert. p. 306.
Moi par contre je peux descendre dans les puits de la mort et du gémissement, et je peux remonter ; j’entre dans le labyrinthe et j’en ressors. Et toujours de ces lieux d’enfermement je sors quelqu’un qui gémit et je l’emmène avec moi. Et je le pose là-haut, au milieu des hommes, pour qu’il raconte son histoire à voix haute. Parce que ceux qui implorent doivent être entendus. Et vus. p. 309-310.
Je voudrais, je voulais l’emmener vivante, elle et non son ombre. Pour qu’elle connaisse la vie avant de mourir. p. 310.
Et cesse de soupirer après Antigone. Tout est déjà fini pour elle. Ne la vois-tu pas ? Elle a touché cette partie de la vie d’où, même si on respire encore, on ne peut plus revenir. Mais jamais elle ne s’en ira, jamais elle ne vous quittera tout à fait. [...] Oui, elle aura vie et voix tant que continuera l’histoire. p. 311.
ZAMBRANO M., Sentiers, Paris, Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, 1992.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, décembre 2024.
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