Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Si l’on veut vraiment maîtriser un art, les connaissances techniques ne suffisent pas. Il faut passer au-delà de la technique, de telle sorte que cet art devienne “un art sans artifice”, qui ait ses racines dans l’Inconscient. / Dans le cas du tir à l’arc, celui qui lance et celui qui reçoit ne sont plus deux entités opposées, mais une seule et même réalité. Daisetz T. Suzuki, Préface, p. 7-8.
Le satori [état de non-conscience] consiste donc en un outrepassement des limites de l’ego ; [...] c’est savoir par intuition que le devenir est l’être et l’être le devenir. Ibid., p. 9.
Le Zen [...] cet “esprit de tous les jours” n’est pas autre chose que “dormir quand on a sommeil, manger quand on a faim”. Dès que nous réfléchissons, délibérons, conceptualisons, l’inconscience originelle se perd et une pensée s’interpose. Ibid., p. 10.
L’homme est bien un roseau pensant, mais ses plus grandes œuvres se font quand il ne pense ni ne calcule. Il nous faut redevenir “comme des enfants” par de longues années d’entraînement à l’art de l’oubli de soi. Ibid., p. 10.
Dans le tir à l’arc au sens traditionnel, qu’il estime en tant qu’art et vénère en tant qu’héritage du passé, le Japonais ne voit pas un sport, mais bien la pratique d’un culte [...], celui-ci conçoit l’art du tir à l’arc [...] comme un pouvoir spirituel découlant d’exercices dans lesquels c’est l’esprit qui ajuste le but, de sorte qu’à bien le mirer l’archer se vise aussi lui-même et que peut-être il parviendra à s’atteindre. p. 14.
La nature mystérieuse de cet art se révèle uniquement dans ce combat de l'archer contre lui-même. p. 16.
[Le] combat consiste dans le fait que l’archer se vise et que cependant il ne se pointe pas, et que parfois aussi il peut s’atteindre sans se toucher. / Ainsi il vise et est la cible, il tire et il est touché à la fois. p. 17.
L’art est dépouillé de son art, le tir cesse d’être un tir, le moniteur devient élève, le maître redevient un débutant, la fin devient le commencement, et le début est achèvement. p. 17.
Voie conduisant à un but, arc et flèches ne sont que simples auxiliaires en vue du saut ultime et décisif, prétextes à un événement qui pourrait tout aussi bien survenir sans leur concours. p. 20.
Mystique ou Zéniste, aucun n’est au commencement celui qu’il est susceptible de devenir en s’accomplissant. Avant de rencontrer enfin la vérité, il devra vaincre beaucoup d’obstacles. Souvent, en cours de route, il se heurtera à l’impression désolante de poursuivre l’impossible… Et cependant, il arrive qu’un jour cet impossible devient possible, réel et comme allant de soi. p. 24.
Le maître nous fit voir tout d’abord des arcs japonais, il nous en expliqua l’extraordinaire puissance de tension, due à leur fabrication particulière et au bambou qui y entre pour la plus grande part. Il lui parut plus important encore d’attirer notre attention sur la forme extrêmement noble que prend cet arc, long de près de deux mètres, dès que la corde n’est plus à l’état de tension. “Tendu au maximum, ajouta le maître en guise de commentaire, l’arc inclut en soi le Tout, et voilà justement pourquoi il est si important d’apprendre à le tendre comme il convient.” p. 35.
Le maître nous dit un jour : “L’acte de l’inspiration lie et réunit, tout ce qui est convenable s’accomplit tandis qu’on retient le souffle ; l’expiration, elle, délivre et parfait, en triomphant de toute limitation.” p. 40-41.
J’appris à m’absorber avec une si parfaite quiétude dans l’acte respiratoire que j’avais parfois la sensation, non pas de respirer moi-même, mais, quelque étrange que cela puisse paraître, d’être respiré. p. 43.
Je commençais en effet à comprendre pourquoi on donne le nom “d’art bénin” à ce mode de self-défense qui permet de venir à bout d’un adversaire en ne lui opposant, à sa grande surprise, qu’un recul élastique sans aucune dépense de force, et par lequel on obtient comme résultat que la force de l’antagoniste se retourne contre lui-même. De tout temps, on a vu le prototype de cette tactique dans l’action d’une eau qui cède sans jamais s’éloigner, de sorte que Lao-Tseu peut dire avec profondeur que la vie véritable est semblable à l’eau, qui s’adapte à tout, parce qu’elle subit tout. p. 46.
Celui qui facilite les débuts se prépare à des lendemains d’autant plus difficiles. p. 46.
J’étais [...] comme le mille-pattes qui ne pouvait plus se mouvoir, depuis qu’il s’était cassé la tête à chercher dans quel ordre il mettait ses pattes en mouvement. p. 51.
Il faut que vous teniez la corde tendue comme un enfant tient le doigt qu’on lui offre. Il le tient si fermement serré qu’on ne cesse de s’émerveiller de la force d’un poing si menu. Et quand il lâche le doigt, il le fait sans la plus légère secousse. Savez-vous pourquoi ?... Parce que l’enfant ne pense pas, par exemple : maintenant je vais lâcher ce doigt pour saisir cette autre chose… C’est bien plutôt sans réflexion et à son insu qu’il passe de l'un à l’autre, et il faudrait dire qu’il joue avec les choses, s’il n’était aussi exact de penser que les choses jouent avec lui. p. 53-54.
L’art véritable [...] est sans but, sans intention. Plus obstinément vous persévérerez à vouloir apprendre à lâcher la flèche en vue d’atteindre sûrement un objectif, moins vous y réussirez, plus le but s’éloignera de vous. Ce qui pour vous est un obstacle, c’est votre [volonté] trop tendue vers une fin. Vous pensez que ce que vous ne faites pas par vous-même ne se produira pas. p. 55-56.
Ce n’est pas par la volonté de se détourner énergiquement qu’on peut satisfaire le mieux à l’exigence de fermer la porte des sens, mais plutôt par une disposition à céder sans résistance. p. 61.
[Plus] intensément l’on se concentre sur l’acte respiratoire, plus s’atténuent les excitations venues de l’extérieur. Elles s’engloutissent dans un vague murmure, auquel on commence par ne plus prêter qu’à demi l’oreille, pour n’en être finalement pas plus troublé que ne l’est celui qui est habitué au murmure de l’océan ; [...] Hélas, au début, cet heureux état d’impassible concentration ne dure pas. Il est menacé de destruction par l’intérieur. Soudain, comme sortant du néant, des états d’âme, des sentiments, des souhaits, des soucis, voire des pensées, surgissent en un mélange incohérent. [...] Mais ici aussi, on réussit à neutraliser ce trouble si, continuant de respirer avec insouciance, l’esprit joyeux, on laisse pénétrer ce qui apparaît. p. 63-64.
Cet état dans lequel on ne pense, projette, poursuit, souhaite ou n’attend plus rien de déterminé, où l’on se sent capable du possible comme de l’impossible, dans l’intégrité d’une force non influencée, cet état auquel toute intention, tout égoïsme sont étrangers, est désigné par le Maître comme proprement “spirituel”. p. 65.
Quand tout découle de l’oubli total de soi et du fait qu’on s’intègre à l’événement sans aucune intention propre, il convient que, sans aucune réflexion, direction ou contrôle, l’accomplissement extérieur de l’acte se déroule de lui-même. p. 69.
Le maître ne hâte rien, l’élève s'avance sans précipitation, personne n’est pressé. p. 71.
Oublieux de soi, comme perdus dans leurs pensées, [les maîtres] exécutent les gestes préparatoires avec calme ; ils s’absorbent dans l’acte de création et de la réalisation en formes qui, du premier geste jusqu’au complet achèvement de l’œuvre, donne chez tous deux l’impression du complet déroulement d’un tout. p. 73-74.
Seul l’esprit est présent, en une sorte d’état de veille, qui ne se colore pas précisément de la teinte du “Moi”, et plus capable de pénétrer tous les espaces, toutes les profondeurs, avec “des yeux qui entendent et des oreilles qui voient”. p. 77-78.
Le Maître instructeur ne se soucie pas de savoir jusqu’à quel point ira l’élève. Dès qu’il lui a montré le vrai chemin, il convient qu’il le laisse continuer seul. Afin que l’élève triomphe de l'épreuve de la solitude, il lui reste une chose à faire ; le maître le détache de lui, l’exhortant cordialement à continuer plus loin que lui, et “à s’élever sur les épaules de son initiateur”. p. 80-81.
Une pauvre feuille de bambou peut vous enseigner ce qu’il faut obtenir… Sous le poids de la neige, elle se courbe de plus en plus bas ; la charge de neige dégringole soudain sans que pour cela la feuille ait bougé. p. 82.
Pour l’ambitieux qui va dénombrant les coups, la cible n’est qu’un méchant morceau de papier qu’il réduit en miettes. La “Grande Doctrine” du tir à l’arc voit dans une telle conception une chose purement diabolique. Elle ignore tout d’une cible dressée à une distance déterminée de l’archer ; elle connaît seulement le but qui ne s'atteint d’aucune manière technique, et si elle donne un nom à cet objectif, elle l’appellera : Bouddha. p. 97.
[L’araignée] “danse” sa toile sans savoir que des mouches viendront s’y perdre ; la mouche, elle, qui va dansant dans un rayon de soleil, ignore ce qui se trouve devant elle et se prend dans cette toile. Mais, dans l’araignée comme dans la mouche, “Quelque chose” danse et, dans cette danse, extérieur et intérieur sont un. Je suis incapable de m’expliquer mieux, c’est ainsi que l’archer atteint la cible sans avoir extérieurement visé. p. 99-100.
Comprenez-vous à présent ce que cela veut dire : Quelque chose tire ! Quelque chose touche le but ! p. 107.
Celui qui est capable de tirer avec l’écaille du lièvre et le poil de la tortue, c’est-à-dire d’atteindre le centre de la cible sans arc (écaille) et sans flèche (poil), ce dernier est Maître, dans l’acception la plus élevée du terme, Maître de l’art sans art, à la fois ainsi Maître et non Maître. Par ce revirement, en tant que mouvement immobile, danse sans danse, le tir à l’arc se fond dans le Zen. p. 110.
Vous avez atteint le degré où Maître et élève ne sont plus deux, mais un. À tout moment vous pouvez donc vous séparer de moi, et même si de vastes océans sont alors entre nous, quand vous ferez vos exercices tels que je vous les ai appris, je serai toujours présent. p. 111.
[Le] précepte à donner au peintre peut se formuler simplement par ces mots : Observe du bambou pendant dix ans, deviens bambou toi-même, puis oublie tout et peins ! p. 124.
Comme, dans un rayon de soleil matinal le pétale d’une fleur de cerisier se détache, ainsi l’homme impavide doit pouvoir se détacher de l’existence, silencieusement et d’un cœur que rien n’agite. p. 126-127.
Vivre sans crainte de la mort ne signifie pas qu’en toutes les heures heureuses, on se targue de ne pas trembler devant elle, ni qu’on ait l’assurance de bien supporter l’épreuve. Celui qui domine vie et mort est bien plutôt libre de la crainte de rencontrer la peur. p. 127.
HERRIGEL E., Le Zen dans l’art chevaleresque du Tir à l’Arc, Éditions Dervy-Livres, Paris, 1994.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
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