Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. p. 7.
Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs “maîtres” provisoires mentent. Donc que leurs maîtres sont faibles. p. 8.
[Qu’est-ce] en son principe que la colonisation ? [...] ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; [...] le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes. p. 9.
[Le] grand responsable dans ce domaine est le pédantisme chrétien, pour avoir posé les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie, d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres. p. 10.
[De] la colonisation à la civilisation, la distance est infinie. p. 10.
Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral [...], au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. p. 12.
[Le] colonisateur qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. p. 21.
Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. p. 23.
A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. J’entends la tempête. On me parle de progrès, de “réalisations”, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. p. 23.
Chaque jour qui passe, chaque déni de justice, chaque matraquage policier, chaque réclamation ouvrière noyée dans le sang, chaque scandale étouffé, chaque expédition punitive, chaque car de C.R.S., chaque policier et chaque milicien nous fait sentir le prix de nos vieilles sociétés. C’étaient des sociétés communautaires, jamais de tous pour quelques-uns. [...] C’était des sociétés démocratiques, toujours. [...] Elles étaient le fait, elles n’avaient aucune prétention à être l'idée, elles n’étaient pas, malgré leur défaut, ni haïssables, ni condamnables. Elles se contentaient d’être. Devant elles n’avaient de sens, ni le mot échec, ni le mot avatar. Elles réservaient, intact, l’espoir. p. 25.
Ma seule consolation est que les colonisations passent, que les nations ne sommeillent qu’un temps et que les peuples demeurent. p. 26.
“La race noire n’a encore donné, ne donnera jamais un Einstein, un Stravinsky, un Gershwin.” Jules Romains, cité par Aimé Césaire, p. 35.
Le petit bourgeois ne veut plus rien entendre. D’un battement d’oreilles, il chasse l’idée. L’idée, la mouche importune. p. 37.
Donc, camarade, te seront ennemis [...] non seulement gouverneurs sadiques et préfets tortionnaires, non seulement colons flagellants et banquiers goulus, non seulement macrotteurs politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres, mais pareillement et au même titre, journalistes, fielleux, académiciens goîtreux endollardés de sottises, ethnographes métaphysiciens et dogonneux, théologiens farfelus et belges, intellectuels jaspineux, sortis tout puants de la cuisse de Nietzsche ou chutés calenders-fils-de-Roi d’on ne sait quelle Pléiade, les embrasseurs, les corrupteurs, les donneurs de tapes dans le dos, les amateurs d’exotisme, les diviseurs, les sociologues agrariens, les endormeurs, les mystificateurs, les baveurs, les matagraboliseurs, et d’une manière générale, tous ceux qui, jouant leur rôle dans la sordide division du travail pour la défense de la société occidentale et bourgeoise, tentent de manière diverse et par diversion infâme de désagréger les forces du Progrès - quitte à nier la possibilité même du Progrès - tous suppôts du capitalisme, tous tenants déclarés ou honteux du colonialisme pillard, tous responsables, tous haïssables, tous négriers, tous redevables désormais de l’agressivité révolutionnaire. pp. 38-39.
C’est clair, pour M. Yves Florenne [journaliste au Monde], c’est le sang qui fait la France et les bases de la nation sont biologiques : “Son peuple, son génie sont faits d’un équilibre millénaire, vigoureux et délicat et… certaines ruptures inquiétantes de cet équilibre coïncident avec l’infusion massive et souvent hasardeuse de sang étranger qu’elle a dû subir depuis une trentaine d’années.” En somme, le métissage, voilà l’ennemi. Plus de crise sociale ! Plus de crise économique ! Il n’y a plus que des crises raciales ! Bien entendu, l'humanisme ne perd pas ses droits (nous sommes en Occident), mais entendons-nous : “Ce n’est pas en se perdant dans l’univers humain avec son sang et son esprit, que la France sera universelle, c’est en demeurant elle-même.” Voilà où en est arrivée la bourgeoisie française cinq ans après la défaite de Hitler ! Et c’est en cela précisément que réside son châtiment historique : d’être condamnée, y revenant comme par vice, à remâcher le vomi de Hitler. pp. 52-53.
Car enfin, il faut en prendre son parti et se dire une fois pour toutes, [...] que c’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l’histoire ; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c’est la tête enfouie sous le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant du cygne. p. 54.
“C’est une erreur capitale de considérer les autres cultures comme inférieures à la nôtre, simplement parce qu’elles sont différentes.” Otto Klineberg, professeur de psychologie à l’Université de Columbia, cité par Aimé Césaire, p. 61.
[Jamais] dans la balance de la connaissance, le poids de tous les musées du monde ne pèsera autant qu’une étincelle de sympathie humaine. p. 66.
[Jamais] l’Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n’a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai, de pouvoir vivre l’humanisme vrai - l’humanisme à la mesure du monde. p. 68.
La vérité est que, dans cette politique, la perte de l’Europe elle-même est inscrite, et que l’Europe, si elle n’y prend garde, périra du vide qu’elle a fait autour d’elle. On a cru n’abattre que des Indiens, ou des Hindous, ou des Océaniens, ou des Africains. On a en fait renversé, les uns après les autres, les remparts en deçà desquels la civilisation européenne pouvait se développer librement. pp. 69-70.
L’heure est arrivée du Barbare. Du Barbare moderne. L’heure américaine. Violence, démesure, gaspillage, mercantilisme, bluff, grégarisme, la bêtise, la vulgarité, le désordre. p. 72.
[Le] salut de l’Europe n’est pas l’affaire d’une révolution dans les méthodes ; [...] c’est l’affaire de la Révolution ; celle qui, à l’étroite tyrannie d’une bourgeoisie déshumanisée, substituera, en attendant la société sans classes, la prépondérance de la seule classe qui ait encore mission universelle, car dans sa chair elle souffre de tous les maux de l’histoire, de tous les maux universels : le prolétariat. p. 74.
CÉSAIRE A., Discours sur le colonialisme, Éditions Présence Africaine.
FLORENNE Y., Confusion, Le Monde, 28 mars 1950 (Article réservé aux abonnés)
Wikipédia : Discours sur le colonialisme.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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