Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Monsieur Giambattista Vico naquit à Naples en l’an 1670 de parents honnêtes qui laissèrent une bonne réputation. […] [À] l’âge de sept ans, il tomba la tête la première du haut d’une échelle et resta bien cinq heures sans connaissance. [...] Alarmé de cette fracture et de ce long évanouissement, le chirurgien prédit qu’il mourrait ou qu’il resterait idiot. Mais la prédiction, Dieu merci, ne se vérifia point ; en revanche, à la suite de cette maladie et après sa guérison, Vico devint d’un naturel mélancolique et pénétrant, propre aux hommes ingénieux et profonds qui brillent par les traits de leur ingegno et qui sont trop réfléchis pour aimer les arguties et le faux. p. 35.
[En réalité, Vico naît le 23 juin 1668.]Le hasard voulut, pour l’instruire davantage dans la procédure judiciaire, qu’un procès fût intenté à son père [...]. Vico, à l’âge de seize ans, sut le conduire, et [...] il plaida en cour de Rote avec tant de succès qu’il gagna sa cause [...]. p. 42.
Il lisait les écrivains les plus cultivés toujours trois fois et selon l’ordre suivant : la première fois pour saisir l'unité de la composition, la seconde pour en observer la liaison et ensuite, la troisième, pour noter les idées noblement conçues et les expressions remarquables [...]. p. 46.
Aussi, dès le moment où Vico [...] se laissa instruire par [la métaphysique] de Platon, la pensée commença à s’éveiller en lui, sans qu’il en eût conscience, de méditer un droit idéal éternel, qui fût en vigueur dans une cité universelle conformément à l'idée ou dessein de la providence, idée qui constituerait le fondement sur lequel sont ensuite fondées toutes les républiques de tous les temps et de toutes les nations. p. 48.
Que si dans la jeunesse, qui est l’âge de l’ingegno, [les jeunes gens] s’adonnaient à la topique, qui est l’art de trouver les choses et privilège exclusif des hommes ingénieux [...], ils prépareraient ainsi tout ce qui doit servir plus tard à appuyer le jugement : car on ne peut correctement juger d’une chose si on ne connaît d’abord tout ce qu’elle contient ; or, c’est de la topique qu’il faut l'apprendre. Par ce moyen, en secondant la nature elle-même, les jeunes gens deviendraient des philosophes et des orateurs. p. 51-52.
[Ces quatre facultés sont] très nécessaires au perfectionnement de ce que l’humanité a de plus précieux : l'imagination pour la peinture, la sculpture, la musique, la poésie et l’éloquence ; la mémoire pour l’étude des langues et de l’histoire ; l’ingegno pour l’invention, et l’entendement pour la prudence. p. 52.
[La] philosophie de René [Descartes] ne constitue en aucune façon un système. [...] Sa métaphysique n’a produit aucune morale favorable à la religion chrétienne ; le peu qu’il a écrit ici ou là à ce sujet ne pouvant en constituer une. [...] Enfin, elle n’a servi de rien à la médecine, car l’anatomie n’a point trouvé dans la nature l’homme de Descartes. Ainsi, comparativement, la philosophie d’Épicure, lequel ne savait rien en mathématiques, forme un système plus cohérent. p. 59-60.
Peu de temps après, la mort du professeur rendit vacante la chaire de rhétorique. [...] Vico se présenta au concours avec une leçon d’une heure sur les premières lignes du chapitre si étendu de Quintilien De statibus caussarum et, se bornant à l’étymologie du mot “état” et à la distinction de ses différentes significations, il fit preuve de critique et d’une grande érudition grecque et latine, ce qui le rendait digne de remporter la chaire avec un nombre abondant de suffrages. p. 67.
[Les] enfants, dont la faculté du raisonnement est encore faible, ne se règlent que sur des exemples qui, pour toucher, doivent être saisis par une vive imagination, faculté qui est prodigieuse à leur âge. C’est pourquoi il faut faire étudier l’histoire aux enfants, aussi bien l’histoire fabuleuse que la véritable. p. 77-78.
On voit clairement [...] que depuis le début Vico agitait en lui-même un sujet original et grand, qui consistait à unir dans un seul principe tout le savoir humain et divin. Mais les sujets qu’il avait traités étaient encore trop éloignés de ce but. p. 79.
[Vico] traita des avantages et inconvénients de notre manière d’étudier, en la comparant à celle des anciens dans toutes les espèces du savoir. Il dit par quels moyens on pourrait parer aux inconvénients de la nôtre, ou, lorsqu’il serait impossible de le faire, comment on pourrait les compenser par les avantages que présenterait la méthode des anciens [...] Ainsi, toutes les sciences humaines et divines, identiques dans leur esprit et dans leurs rapports, présenteraient un ensemble systématique, et se donneraient la main sans que l’une fît tort à l’autre. p. 79-80.
[La] lecture du livre de Bacon [...], traité plus ingénieux et savant que vrai, porta Vico à chercher les principes de cette sagesse plus loin que dans les fables des poètes. Incité à le faire par l’autorité de Platon qui, dans son Cratyle, a recherché les mêmes principes dans les origines de la langue grecque, et poussé par une mauvaise disposition, dans laquelle il était déjà entré, à l’égard des étymologies des grammairiens, il s’appliqua à chercher ces principes dans les origines des mots latins. p. 82.
Voici maintenant qui fera mieux comprendre que Vico était né pour la gloire de sa patrie, autrement dit de l’Italie, puisque c’est là, et non au Maroc, qu’il était né, ce qui lui a permis de devenir un lettré. Tout autre, après le revers dont on a parlé, aurait totalement renoncé aux lettres, voire regretté de les avoir jamais cultivés ; lui, il ne cessa point de travailler à d’autres ouvrages, et il en avait déjà composé un en deux livres [...]. Dans le premier, il recherchait les principes du droit naturel des gens dans ceux de l'humanité des nations [...]. [Dans] le second volume, il expliquait la naissance et le développement des coutumes humaines par une certaine chronologie raisonnée des temps obscurs et des temps fabuleux des Grecs [...]. p. 103-104.
À la fin de 1725, il fit imprimer à Naples [...] un livre [...], de douze cahiers seulement, sous ce titre : Principes d’une Science nouvelle relative à la nature des nations, par lesquels on trouve d’autres principes du droit des peuples. p. 104.
Au moyen de ces principes des idées et des langues, c’est-à-dire au moyen de cette philosophie et de cette philologie du genre humain, il développe une histoire idéale éternelle fondée sur l’idée de providence [...]. Avec cette histoire éternelle pour fondement, toutes les histoires particulières des nations évoluent dans le temps selon l'ordre de leur naissance, de leur progrès, de leur maturité, de leur décadence et de leur fin. p. 107-108.
Vico emprunte aux Égyptiens [...] deux fragments des temps anciens. L’un de ces fragments, c’est la division que firent les Égyptiens de leur propre passé en trois époques : l’âge des dieux, l’âge des héros et enfin l’âge des hommes. L’autre, c’est l’idée selon laquelle suivant le même ordre, le même nombre de parties et de siècles trois langues furent parlées avant eux : la langue divine et muette des hiéroglyphes ou caractères sacrés, la langue symbolique ou métaphorique des héros et enfin la langue épistolaire, langue de convention accommodée aux besoins de la vie courante. p. 108.
[Vico] écrivit [sa Vie] en philosophe, réfléchissant sur les causes naturelles et morales, sur l’influence de la fortune et sur les inclinations ou les aversions qu’il eut dans sa jeunesse pour telle étude plutôt que pour telle autre. Il apprécia les heureuses et les fâcheuses circonstances qui avancèrent ou retardèrent ses progrès ; il médita, enfin, sur ses propres efforts, sur l’orientation qu’ils donnèrent à ses recherches et qui devaient plus tard nourrir les réflexions à partir desquelles il élabora son dernier ouvrage, la Science nouvelle, qui devait prouver que sa destinée littéraire devait bien être celle-là et qu’elle n’aurait pas pu être autre que ce qu’elle avait été. p. 124.
[Vers] la même époque, on lui fit, au sujet de la Science nouvelle, une ignoble injustice qui se trouve consignée dans les Nouvelles littéraires des Actes de Leipzig du mois d’août 1727. [...] Vico répondit [...]. Dans sa réponse, Vico s'appuie d’une foule de raisons importantes pour traiter de “vagabond inconnu” celui qui avait ourdi cette imposture. [...] Vico adresse à celui qui traite ainsi ses amis et trahit les nations étrangères, une grave exhortation à quitter le monde des hommes, et à aller vivre avec les bêtes féroces dans les déserts de l’Afrique. p. 130-133.
Tout cela fut corrigé dans la Science nouvelle seconde. Mais Vico fut obligé de méditer et d’écrire cette œuvre en un temps très court, comme si elle eût déjà été sous presse, mû par une inspiration quasi fatale qui le poussa à méditer et à l’écrire si vite qu’il commença le matin du jour de la sainte fête de Noël et il termina le dimanche de la Pâques de résurrection à vingt et une heures. p. 139.
Comblé de tant d’honneurs, Vico n’avait plus rien à espérer au monde. Accablé par l’âge et les fatigues, usé par les chagrins domestiques, tourmenté par des douleurs convulsives dans les bras et dans les jambes, en proie à un mal étrange qui lui a déjà dévoré presque tout ce qu’il y a entre l’os inférieur de la tête et le palais, il renonce entièrement à ses études et envoie au Père Domenico Lodovici, poète élégiaque latin incomparable et homme de mœurs très pures, le manuscrit des annotations sur la première édition de la Science nouvelle [...]. p. 145.
[Vico] ne parlait jamais de l’éloquence sans l’appuyer des préceptes de la sagesse car, disait-il, l’éloquence n’est rien d’autre que la sagesse qui parle et que, pour cette raison, sa chaire devait diriger les esprits et les rendre universels. p. 146.
Mais Vico bénissait toutes ces adversités qui étaient autant d'occasions pour lui de revenir à ses études. Retiré dans sa solitude comme dans un fort haut et inexpugnable, il méditait, il écrivait quelque nouvel ouvrage qu’il appelait “de généreuses vengeances exercées sur ses détracteurs”. C’est grâce à ces adversités qu’il en vint enfin à trouver la Science nouvelle. Après quoi, jouissant de la vie, de la liberté et de l’honneur, il s’estimait plus heureux que Socrate, au sujet duquel l’excellent Phèdre exprime ce vœu magnanime : Que l’on m’assure sa gloire, et j’accepte sa mort. Que l’envie me condamne vivant, pourvu qu’on absolve ma cendre. p. 147-148.
VICO G., Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, Paris, Éditions Allia, 2004.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, février 2025.
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