Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Nous voulons parler de deux grandes vérités philologiques : la première qui nous est transmise par Hérodote, consiste en ce qu’ils divisaient tout le temps qui s’était écoulé avant eux, en TROIS ÉPOQUES, ou en TROIS ÂGES : celui des DIEUX, celui des HÉROS, et celui des HOMMES. La seconde de ces grandes vérités philologiques est celle-ci : trois divers langages correspondent à ces trois diverses époques. Le premier est le langage HIÉROGLYPHIQUE ou des caractères sacrés ; le second, le SYMBOLIQUE ou des caractères héroïques ; le troisième enfin, est le langage GRAPHIQUE ou des caractères convenus par le peuple. p. 35.
La philosophie considère la raison et médite sur elle : c’est de cette contemplation que naît la science du vrai. La philologie est fondée sur l’autorité du témoignage, et elle produit la conscience de ce qui est certain. [...] Cette proposition nous montre aussi, d’une part, l’erreur des philosophes, qui ont négligé de donner à leur raison l’autorité des philologues, et d’autre part, l’erreur des philologues qui ne se sont pas souciés d’appuyer leur autorité à la raison des philosophes. p. 69-70.
Le sens commun est un jugement sans réflexion qui est généralement porté et senti par toute une classe, par tout un peuple, par toute une nation, ou par le genre humain tout entier. p. 70.
Le plus grand résultat de la poésie est de donner aux choses insensibles et inanimées des sens et des passions. C’est une faculté propre des enfants de prendre dans leurs mains des choses inanimées, et de jouer avec elles en leur adressant la parole, comme ils feraient avec des êtres vivants. / Cet axiome philologico-philosophique nous apprend que, dans l’enfance du monde, les hommes étaient naturellement poètes. p. 79.
[Des] idées uniformes, nées chez des peuples qui ne se connaissent point entre eux, doivent avoir une origine commune et vraie. p. 81.
Les enfants sont ordinairement très habiles à imiter ce qu’ils voient ; car nous les voyons souvent s’amuser à contrefaire ce qui les a frappés, et ce qu’ils ont été capables d'apprendre. / Cet axiome nous montre que le monde encore enfant fut habité par les nations poétiques ; car la poésie n’est autre que l’imitation. p. 84.
Et pourtant, du milieu de cette nuit profonde et ténébreuse qui enveloppe l’antiquité, dont nous sommes si éloignés, nous apercevons une lumière éternelle, et qui n’a pas de couchant, une vérité que l’on ne peut aucunement révoquer en doute : ce monde civil a certainement été fait par des hommes. Il est donc possible, car cela est utile et nécessaire, d’en retrouver les principes dans les modifications mêmes de notre esprit. p. 108.
[Nous] devrons faire commencer la SCIENCE POÉTIQUE par une métaphysique également poétique, rude et grossière. De cette métaphysique, comme du tronc d’un arbre vigoureux, sortiront d’une part la logique, la morale, l’économie et la politique poétiques ; de l’autre, la physique poétique, mère de la cosmographie et de l’astronomie, qui engendreront à leur tour la chronologie et la géographie. p. 125.
Les philosophes et les philologues devaient s’occuper en premier lieu de la métaphysique poétique, comme de la science qui cherche ses preuves non pas au-dehors, mais dans les modifications mêmes de l'esprit qui médite sur elle. Le monde des nations ayant été [...] fait par les hommes, c’est dans l’esprit de ces mêmes hommes qu’il faut en rechercher les principes. p. 130.
[La] première poésie a été une faculté naturelle de ces anciens hommes qui étaient portés par les sens, par l’imagination et par l’ignorance des causes de tout ce qu’ils voyaient, à admirer vivement les choses qu’ils ne pouvaient comprendre. p. 131.
La naissance de la poésie telle que nous venons de la montrer, nous est en même temps confirmée par cette qualité qui lui est éternellement propre, et qui fait que son domaine est dans l’impossibilité croyable. p. 135.
Le mot logos signifia [...] d’abord idée et parole, et nous trouvons ici l’occasion d'admirer l'ordre de la providence divine qui voulut, dans ces premiers temps religieux, contraindre les hommes à méditer sur elle, plutôt qu’à parler vainement d’elle. Le premier langage des nations a donc commencé [...] par des signes, par des actes et par des objets ou des images qui avaient un rapport naturel avec les idées. p. 144.
La mythologie [...] fut donc sans doute le langage propre des fables, et puisque les fables appartenaient aux genres fantastiques, la mythologie dut en renfermer l’allégorie. [...] [De] manière que ces allégories sont à vrai dire l’étymologie des langages poétiques ; langages dans lesquels les origines ou les racines étaient univoques, tandis que les racines des langages vulgaires ne sont ordinairement qu’analogues. p. 146.
Le langage poétique, tel que nous l’avons considéré dans cette logique poétique, se prolongea bien avant dans les temps historiques, semblable en cela à ces fleuves grands et rapides qui gardent encore, longtemps après s’être jetés dans la mer, la douceur de leurs eaux, que la violence de leur cours sert à préserver de tout mélange. p. 150.
Le langage des dieux fut presque muet et non articulé. Le langage des héros fut composé en parties égales de langage muet et de langage articulé [...]. Le langage des hommes enfin fut, presque exclusivement, articulé ou non muet ; et nous disons presque exclusivement parce qu’il n’y a pas de langue, quelque riche qu’elle puisse être, qui possède autant de mots qu’il existe de choses à exprimer. p. 172.
[Si] les peuples ont été fondés par les lois, et si les lois, ainsi que toutes les premières pensées des peuples, ont été rédigées en vers, il faut croire que tous les premiers peuples ont été des poètes. p. 183.
La Providence fit usage de son éternelle sagesse, lorsqu’elle éveilla dans l’esprit humain l’observation d’abord, et la critique ensuite ; car il faut connaître les choses avant de les juger. L’observation rend l’esprit subtil et pénétrant ; la critique le rend exact ; or, c’était de subtilité et de pénétration bien plus que d’exactitude, que les hommes avaient besoin, à l’époque où il s’agissait de trouver les choses nécessaires à la vie humaine. p. 193.
Ainsi, les premiers peuples que nous considérons comme les enfants du genre humain, fondèrent d’abord le monde des arts, c’est-à-dire qu’ils introduisirent les arts dans le monde. Les philosophes, à leur tour, fondèrent le monde des sciences, c’est-à-dire qu’ils essayèrent de former la société d’après les lumières de la science. C’est ainsi que la civilisation se trouva complète. p. 193.
Les épis de blé furent nommés d’abord pommes d’or, et ce fut le premier or du monde ; car, dans ces temps reculés, le véritable or était enfoui dans la terre, et l’on ne connaissait ni l’art de l'en tirer, ni celui plus difficile encore de le dégager de l’alliage et de le polir. p. 219.
La topique règle l’imagination, comme la critique règle le jugement qui est la seconde opération de l'intelligence. La première enseigne à découvrir ; la seconde à juger. p. 294.
Ce monde poétique se trouva partagé en trois royaumes ou régions : le monde de Jupiter placé dans le ciel ; le monde de Saturne, sur la terre, et le monde de Pluton, dans l’enfer. Pluton protégeait les richesses héroïques, ou l’ancien or, c’est-à-dire le blé, car les champs cultivés forment la véritable richesse des peuples. p. 304.
La SCIENCE POÉTIQUE nous semble mériter ces deux éloges souverains : 1° d’avoir fondé le genre humain chez les Gentils ; 2° d’avoir démontré la vérité enfermée dans cette tradition vulgaire, que les anciens sages étaient à la fois philosophes, législateurs, capitaines, orateurs et poètes ; tradition qui excita une admiration excessive pour la science des anciens, et le regret de ne pouvoir l’égaler. Les sages, tels que nous les avons connus jusqu’ici, n’étaient pourtant que la personnification opérée par les nations mêmes des principes de la science acquise dans les temps anciens. Ce livre sert à démontrer que les poètes théologiens ont été le sens de l’humanité éclairée, tandis que les philosophes en ont été l’intelligence. p. 324.
[La] poésie doit naître avant l’histoire, parce que l’histoire ne fait qu’énoncer la vérité, tandis que la poésie y ajoute une imitation [...]. Les caractères poétiques qui composent l’essence même des fables, ont été le fruit de la nécessité, ou pour mieux dire, de l’incapacité des natures héroïques d’abstraire les formes et les qualités des sujets ; ils ont été, par conséquent, le résultat de la manière de penser des peuples entiers placés dans la nécessité dont nous venons de parler [...]. p. 334.
La raison poétique s’oppose à ce qu’un homme soit en même temps grand poète et grand métaphysicien ; car la métaphysique rend l’intelligence indépendante des sens ; tandis que la faculté poétique l’y plonge ; par l’une, l’homme s’élève à la connaissance des règles générales ; par l’autre, il se renferme dans l’observation des qualités particulières. p. 337.
La première nature [...] fut une nature poétique [...] car elle transforma d’après son idée les corps en substances animées par les dieux. Cette nature fut celle des poètes théologiens, les plus anciens sages de toutes les nations païennes [...]. C’est là l’origine de ces deux vérités éternelles : que la religion est le seul moyen assez puissant pour dompter la barbarie des peuples, et que les religions produisent leur effet lorsque les hommes qui les enseignent y croient. La seconde nature a été la nature héroïque, à laquelle les héros attribuèrent une origine divine. [...] La troisième nature est la nature humaine intelligente, modeste, douce et raisonnable, par conséquent obéissant à la loi de la conscience, de la raison et du devoir. p. 352.
Le premier langage a été mental et divin, formé d’actes tacitement religieux, ou de cérémonies sacrées [...]. Cette langue convenait aux religions qui avaient plutôt besoin d’être respectées que comprises ; et elle était nécessaire aux peuples qui ne savaient pas encore prononcer les mots. Le second langage a été celui des entreprises héroïques. Il a été parlé au moyen des armes, et il s’est conservé dans la discipline militaire. Le troisième langage par mots articulés est employé aujourd’hui par toutes les nations. p. 354.
Pour qu’un homme parvienne à se faire accepter comme souverain par une république populaire, il faut que le peuple le chérisse et le soutienne ; et c’est ce que le peuple se gardera bien de faire, si le candidat à la monarchie ne proclame pas pour tous ses sujets l’égalité devant la loi, s’il ne protège le peuple contre l’oppression des nobles, en humiliant ces derniers ; s’il ne lui assure la satisfaction des besoins de la vie et la jouissance de la liberté naturelle ; et enfin, s’il n’accorde des privilèges, soit à des classes entières, soit à des individus dont le mérite extraordinaire justifie le bonheur. p. 387.
Réfléchissons maintenant au parallèle que nous avons tracé entre les temps anciens et les temps modernes, et voyons si nous ne pouvons pas nous vanter d’avoir découvert [...] l’histoire idéale des lois éternelles qui gouvernent toutes les nations, à leur naissance, dans leurs progrès, leur état, leur décadence et leur fin [...]. Voilà pourquoi nous avons osé donner à ce livre le titre présomptueux de Science nouvelle, ne trouvant pas en nous le courage de le frustrer des droits qu’il avait acquis sur un argument aussi universel que la nature commune des nations [...]. p. 419-420.
[[Les] nations éperdues croient se disperser d’elles-mêmes, et elles vont enfouir leurs restes dans les solitudes, afin de renaître un jour, comme le phénix renaît de ses cendres. p. 426.
VICO G., La Science nouvelle, Paris, Gallimard, 2020.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, janvier 2025.
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