Platon (427 - 347 av. J.-C.) est le disciple et le “porte-parole” de Socrate. C’est le premier philosophe (occidental) dont nous disposons des œuvres considérées comme complètes. La forme la plus fréquente est le dialogue, et le plus souvent c’est Socrate qui utilise la dialectique (l’art de raisonner en discutant) et la maïeutique (l’art d’accoucher les esprits de leurs idées).
Platon distingue le monde sensible, celui où nous vivons, où nous percevons la réalité par nos sens ; et le monde intelligible, celui des Idées (du grec eidos, forme), ces essences éternelles, immuables (le Bien en soi, le Beau, la Justice, etc.).
Le Parménide fait partie des œuvres de la maturité, et qui introduisent une nouvelle conception de la science et de la dialectique, selon la classification d’Émile Bréhier. Le Parménide renouvelle l’exercice dialectique en examinant les conséquences des hypothèses portant sur l’Idée de l’Un : s’il est ou s’il n’est pas, quelles en sont les conséquences ? Le résultat de cet examen, décrit par Platon, a rendu difficile l’interprétation du Parménide.
En un mot, Platon semble prendre à tâche de démontrer qu’une même hypothèse a des conséquences contradictoires, et que deux hypothèses contradictoires ont des conséquences identiques. E. Bréhier, Histoire de la philosophie, p. 116.
Le penseur présocratique Parménide d’Élée (500 - 440 av. J.-C.) est le créateur de l’ontologie, la doctrine de l’être. Dans son poème De la Nature, il affirme que ce qui est réel “est”, parce qu’on peut le penser et le dire, mais que le non-être “n’est pas” :
Ce qui peut être dit et pensé se doit d’être :
Car l’être est en effet, mais le néant n’est pas.
(J.-P. Dumont, Les Présocratiques, p. 260).
Le Parménide de Platon reprend cette affirmation pour formuler neuf hypothèses et en examiner les conséquences.
Les personnages du Prologue sont :
Céphale de Clazomènes ;
Adimante et Glaucon, frères de Platon ;
Antiphon, demi-frère de Platon, celui qui fait le récit du dialogue.
Les protagonistes du dialogue sont :
Pythodore, compagnon de Zénon ;
Socrate, qui serait alors âgé de seize ans, hypothèse peu vraisemblable ;
Zénon d’Élée, penseur présocratique “célèbre par ses arguments contre la pluralité et le mouvement” (note de l’édition de la Pléiade) ;
Parménide, penseur présocratique, créateur de la doctrine de l’Être, et qui oppose la Vérité et l’Opinion ;
Aristote, homonyme du philosophe stagirite disciple (puis contradicteur) de Platon.
Le prologue présente le récit qui va être fait de la rencontre entre le jeune Socrate, Parménide et Zénon.
Dans la première partie du dialogue, Socrate a écouté Zénon faire la lecture de sa thèse sur la pluralité, et il la compare succinctement à celle sur l’Être, soutenue par Parménide. Ce dernier reprend la théorie des Idées et les difficultés liées à la notion de participation (un objet beau participe de l'Idée du Beau en soi). Il encourage Socrate, alors jeune, à s’entraîner à la dialectique.
La deuxième partie du dialogue se déroule entre Parménide, qui présente sa thèse sur l’Un et sur l’Être, et Aristote (homonyme du philosophe disciple de Platon) qui lui donne la réplique. Il est structuré en deux grandes hypothèses : positive, "L'Un est” ; négative, “L’Un n’est pas”. Chacune des grandes hypothèses est divisée en plusieurs sous-hypothèses : 5 pour “L’Un est” ; 4 pour “L’Un n’est pas”, soit au total 9 hypothèses. Le dialogue se termine par une courte conclusion qui constate l’aporie du problème soumis à la dialectique : la réflexion aboutit à une impasse.
Céphale arrive à Athènes et rencontre Adimante et Glaucon. Ils veulent entendre le récit de la rencontre entre Socrate, Zénon et Parménide, qu’Antiphon a entendu d’un des protagonistes ayant assisté au dialogue. Ils retrouvent Antiphon chez lui, et celui-ci commence son récit.
[On] vit arriver un jour aux grandes Panathénées [grandes fêtes en l’honneur d’Athéna] Zénon et Parménide. Parménide était vraiment déjà un homme d’âge : tout blanc, belle et noble prestance ; il pouvait avoir dans les soixante-cinq ans. Zénon approchait alors de la quarantaine : belle taille, bien de sa personne [...]. Socrate, à cette époque, était un tout jeune homme. 127 a-c.
Zénon a fait la lecture de sa thèse, basée sur une antilogie, méthode de raisonnement qui expose à partir d’un thème (l’argument) deux hypothèses contradictoires, dont chacune a des conséquences également contradictoires. Aucune affirmation ni aucune négation ne sont donc possibles. Ce procédé peut conduire à “un usage éristique, ou de pure controverse” (note de l’édition de la Pléiade).
Socrate a écouté la lecture. Il questionne Zénon sur la première hypothèse qui vise à montrer que la pluralité n’est pas. Il est impossible que les dissemblables soient semblables et que les semblables soient dissemblables, donc il est impossible que la pluralité soit. Socrate reprend ensuite la thèse de Parménide qui affirme que l’être est un. Socrate souligne cette controverse.
Voilà donc l’un de vous qui affirme l’unité, l’autre qui nie la pluralité, et ainsi chacun de son côté parle, en ayant l’air de ne rien dire de pareil, tout en disant, peu s’en faut la même chose ; c’est par-dessus notre tête, à nous autres, que paraissent se répondre vos discours ! 128 b.
Socrate évoque ensuite la possibilité qu’il y ait deux Idées en soi, absolues et contraires, celle de la similitude et celle du dissemblable. Les objets et les êtres peuvent participer de ces deux essences absolues. Cela pose le problème de l’Un et du multiple. Socrate prend son propre exemple :
On dira, quand on veut me déclarer plusieurs, qu’autre chose est mon côté droit, autre chose mon côté gauche, autre chose ma face avant, autre chose ma face arrière, et ainsi du haut en bas (car à la pluralité, je le suppose, je participe) ; et, quand on veut me déclarer un, on dira que nous sommes sept, mais que je suis un seul homme ; c’est que je participe aussi de l’Un ; si bien que la vérité est égale en ces deux déclarations. 129 c-d.
Socrate souhaiterait donc que Zénon puissent montrer comment les essences absolues que sont les Idées, comme celles de la Similitude, de la Dissemblance, de la Pluralité, de l’Unité, du Repos et du mouvement, “sont capables de se mélanger et de se séparer”.
Les Idées
Parménide résume la théorie des Idées pour s’assurer que Socrate et lui parle de la même chose. Il y aurait d’un côté les “Idées-en-soi” et de l’autre les objets qui y participent. Ils admettent l’Idée de la Similitude, de l’Un et du Plusieurs, ainsi que du juste, du beau, du bien “et toutes les qualifications de cette sorte” (130 b). La difficulté vient avec la possibilité d’une Idée de l’homme, du feu ou de l’eau. Il paraît extravagant par contre d’envisager une Idée pour des choses grotesques comme le poil, la boue ou la crasse.
La participation et ses difficultés
Le tout de l’Idée, quand il réside en chacun des multiples demeure-t-il un ? 131 a.
Ce qui est un et identique (l’Idée en soi) peut-il le demeurer en étant dans plusieurs endroits (les objets) à la fois ? Faut-il qu’il y ait des parties dans les Idées, et que les objets participent à ces parties, mais plus au tout ?
De quelle manière donc, Socrate, demanda [Parménide], aux Idées, d’après toi, les autres choses participeront-elles, puisque ce n’est ni selon les parties ni selon le tout qu’elles y peuvent participer ? 131 e.
L’Idée se fonde sur un principe d’unité qui se multiplie à l’infini : en regardant par l’esprit le Grand en soi et tous les objets grands, naît une nouvelle Idée de la grandeur, et de cet ensemble naît encore une nouvelle Idée et ainsi à l’infini.
L’Idée pourrait n’être qu’une représentation de l’esprit, autrement dit une pensée. L’Idée, comme l’objet pensé, serait alors unique.
Ou bien c’est de pensées que chaque chose est faite, et tout pense ; ou bien ce sont des pensées qui cependant ne pensent pas ? 132 c.
Socrate arrive à cette conclusion :
Ces Idées dont nous parlons sont à titre de modèles, des “paradigmes”, dans l'éternité de la Nature ; quant aux objets, ils leur ressemblent et en sont des reproductions ; et cette participation ne consiste en rien d’autre qu’à être faits à leur image. 132 d.
La discussion aboutit ici à une aporie, autrement dit, à une impasse.
Ce n’est donc point par similitude que les autres objets participent aux Idées ; mais c’est autre chose qu’il faut chercher pour expliquer la participation. 133 a.
Difficultés de la transcendance des Idées
Les Idées, essences immuables du monde intelligible sont inconnaissables par les humains. Elles sont transcendantes, c’est-à-dire qu’elles dépassent la nature sensible du monde.
L’entraînement dialectique
Parménide souligne la jeunesse de Socrate [il est supposé être âgé de seize ans], et la nécessité qu’il s’entraîne en matière de philosophie.
Il est tôt en effet, observa Parménide ; tu n’as pas encore d’entraînement, Socrate ; cependant tu t’essaies à définir un Beau, un Juste, un Bien, et singulièrement chacune des Idées [...]. Il est beau certes, et divin, sache-le bien, l’élan qui t’emporte vers les arguments ; assouplis-toi toutefois, entraîne-toi davantage au moyen de ces exercices d’apparence inutile et que la multitude appelle bavardage ; fais cela tant que tu es encore jeune ; sinon tu laisseras t’échapper la vérité. 135 c-d.
Il s’agit de l’entraînement à la dialectique : à partir d’arguments, émettre une hypothèse, en examiner les résultats, et si besoin émettre une nouvelle hypothèse. C’est l’exemple de l’hypothèse de Zénon, “Si la pluralité est”, et l’examen des conséquences pour l’Un, suivie de l’autre hypothèse, “S’il n’est pas de pluralité”, suivie du même examen des résultats pour l’Un. Socrate dit à Parménide que sa dissertation est inimaginable. Le travail est effectivement énorme, mais incontournable, et incompréhensible pour la plupart des non-philosophes.
Telle est l’ignorance de la multitude : elle ne sait pas que, faute de cette exploration en tous sens, faute de cette divagation, il est impossible de rencontrer le vrai et d’en avoir la possession intellectuelle. 136 e.
Parménide, malgré son grand âge, va faire la démonstration de sa dissertation, en commençant par sa propre hypothèse : l’Un en est le sujet, il faut examiner ce qui résulte si c’est l’Un qui est ou si c’est le Non-un qui est (autrement dit si l’Un n’est pas).
A) Position absolue. Première hypothèse : l’Un, c’est l’Un
L’Un n’est ni constitué de parties ni un Tout.
Des deux façons donc, l'Un serait constitué de parties, aussi bien pour être un Tout que pour avoir des parties. [...] Des deux façons donc, l’Un serait, comme cela, plusieurs, et non pas un. 137 c.
L’Un est illimité : il n’a ni commencement ni fin. Il ne peut pas être une figure géométrique (droite, cercle), puisqu’il n’a pas de parties.
L’Un n’est pas dans un espace : il ne se contient pas lui-même, ni n’est contenu dans autre chose.
Il ne se peut donc qu’il soit quelque part, l’Un, puisque ce n’est ni en soi-même, ni en autre chose qu’il est contenu. 138 b.
L’Un n’est ni en repos, ni en mouvement, il n’est pas non plus immobile, puisqu’il n’est dans aucun espace.
Il n’est ni identique (ce qui nécessite d’être plusieurs), ni différent (ce qui nécessite une autre chose). Pour les mêmes raisons, L’Un n’est pas non semblable, ni dissemblable ni égal, ni inégal. Il n’est pas commensurable.
L’Un n’est pas dans le temps.
Il ne saurait donc être plus jeune, plus vieux, ou du même âge, l’Un, comparé tant à soi-même qu’à autre chose. 141 a.
L’Un “échappe à l’être et à la connaissance.”
Si donc l’Un en aucune façon n’a part à aucun temps, ni dans le passé il n’a été, ne vint à être ou n’était ni dans le présent, il ne vient à être ou n’est ni dans l’avenir il ne viendra à être, ne deviendra ou ne sera. [...] En nulle façon donc, l’Un n’a part à l’Être. 141 e.
L’Un n’est pas, il est donc sans nom. Il est inconnaissable.
Il n’est donc pas de nom qui soit à lui il n’est de lui ni désignation, ni science quelconque, ni sensation, ni opinion. [...] Il n’est donc ni nommé, ni désigné, ni opiné, ni connu, et il n’y a aucun être qui le perçoive. 142 a.
B) Position relative. Deuxième hypothèse l’Un, il est
Si l’Un est, l’Être de l’Un est, ou encore “l’Un a part à l’Être” (142 c). Il est peut-être plus aisé de comprendre cette hypothèse par les conséquences qui en découlent.
L’Un est un tout qui dans sa “manière d’être”, possède une “infinie pluralité” de parties. Chaque partie de l’Un a part à l’Être, de façon infinie et égale.
Il est à la fois illimité par l’infinie multitude de ses parties et à la fois dans des limites en tant que Tout contenant les parties, avec un commencement, un milieu et une fin. En tant qu’ayant part à l’Être, il est à la fois figure ronde, droite et mélange des deux.
L’Un est dans l’espace il est à la fois en lui-même, comme Tout, et en autre chose, comme parties.
Si par conséquent la totalité des parties se trouve être dans le tout, si, d’autre part, équivalent à la totalité, l’Un l’est encore au Tout lui-même, et si c’est une enveloppe que le Tout pour cette totalité, alors c’est par l’Un qu’est enveloppé l’Un, et de la sorte, voilà que l’Un lui-même est en soi-même 145 c.
L’Un est en repos “du fait qu’il est lui-même en lui-même”, et il est en mouvement du fait qu’il est en autre chose.
Il est à la fois identique et différent. L'Un diffère des choses qui sont “non-un”. Mais ce qui est différent ne réside ni dans l’Un ni dans les “Non-un”.
L’Un, par conséquent, [...] est différent des autres choses et de soi-même, et, aussi bien, identique à elles ainsi qu’à soi-même. 147 b.
Le même type de résultat est obtenu avec le semblable et le dissemblable. Chaque nom s’applique à un objet. Si nous énonçons plusieurs fois le même nom, il s’applique au même objet. Nommer “différents” (utiliser le même nom pour) l’Un et les autres choses les rend identiques.
Semblable donc aussi bien que dissemblable sera l’Un à l’égard des autres choses en tant que différent, semblable en tant qu’identique, dissemblable. 148 c.
L’Un est à la fois contigu et non contigu, en contact avec soi-même et avec les autres choses. Il est pareillement à la fois égal et inégal.
L’Un ayant part à l’Être est dans le Temps. Il “est”, il “devient” il “fut”, il “sera”. Il est à la fois plus vieux et plus jeune que soi-même. Mais il n’est et ne devient pas aussi.
L’Un par conséquent, qui, aussi longtemps lui-même que lui-même, devient et est, ni plus jeune ni plus vieux que soi-même ne saurait ni être ni devenir. 152 e.
Le même résultat s’applique à l’Un à l’égard de lui-même comme à l’égard des autres choses “plus vieux et plus jeune il est et il n’est pas” “il ne devient pas et il devient”.
L’Un est connaissable.
Il “était” donc, l’Un, et il “est”, il “sera” il “vint à être”, il “vient à être” et il “viendra à être”. [...] Et de lui, évidemment, il peut y avoir science, et opinion, et sensation, puisque aussi bien, en ce moment, nous-mêmes à son sujet nous exerçons toutes ces activités. [...] Et il y a un nom évidemment, et une désignation qui est à lui ; on le nomme et on le désigne [...]. 155 d.
C) Position dérivée. Troisième hypothèse : l’Un est et n’est pas ; il change…
Si l’Un a part au Temps, il peut venir à l’existence et il peut la quitter ; il naît et il périt, il est un et plusieurs, il est en mouvement et en repos : il change sans cesse d’état, mais dans une situation très particulière.
C’est l’instantané. Le terme d’instantané, en effet, semble signifier quelque chose comme le point de départ du changement vers l’un ou l’autre état. Car ce n’est point à partir du repos encore en repos que s’effectue le changement, ni à partir du mouvement encore en mouvement que s’effectue le changement ; mais l’instantané, cette nature d’étrange sorte, a sa situation dans l’entre-deux du mouvement et du repos ; dans le temps, elle n’est nullement ; elle est le point d'arrivée et le point de départ du mobile qui change son état pour le repos, et de l’immobile qui change le sien pour le mouvement. 156 d-e.
Si l’Un a part au Temps, il n’est nullement dans le temps ! Dans cet entre-deux qu’est l’instantané, l’Un n’a part ni à l'Être, ni au Non-être. Parménide liste les affections de l’Un : naître/périr, un/plusieurs, séparé/réuni, semblable/dissemblable, assimilation/dissimilation, petit/grand/égal. Dans l’instantané, l’Un est et n’est pas affecté par celle-ci.
D) Retour à la position relative. Quatrième hypothèse : si l’Un est, les autres choses sont les parties d’un tout organique…
[Le] tout, c’est l’unité d’une pluralité ; il le faut nécessairement, afin qu’il ait pour parties les parties ; chacune en effet des parties, ce n’est pas d’une pluralité qu’elle doit être la partie, mais d’un tout. [...] Ce n’est donc pas de la pluralité, du d’une totalité que la partie est partie, mais d’une réalité idéale et une, d’un objet un, que nous appelons “tout” ; c’est à partir de la totalité multiple entière que son unité parfaite est réalisée ; voilà de quoi la partie peut être une partie. 157 c-e.
L’essence des parties est illimitée, et les parties ont une limite réciproque entre elles. De ce fait, elles sont toujours sous un double rapport d’attributs opposés : semblables/dissemblables, identiques/différentes, en mouvement/en repos, etc.
E) Retour à la position absolue. Cinquième hypothèse : l’Un est, absolument
Parménide revient à la première hypothèse “L’Un est”, ce qui a pour conséquence que l’Un ne peut plus coïncider avec les autres choses, qui alors ne peuvent plus être ses parties, ni recevoir aucun attribut.
Ce n’est donc pas non plus ni identiques ni différentes, ni en mouvement ni en repos, ni en voie de naître ni en voie de périr, ni plus grandes ni plus petites ni égales qu’elles seront ; ni non plus elles n'auront aucune autre affection de ce genre ; s’il est en effet quelque affection pareille à être supportée par les autres choses, c’est à l’un, au deux, au trois, à l’impair et au pair qu’elles auront part : toutes déterminations à quoi il leur est impossible, nous l’avons vu, d’avoir part, du moment que de l’Un elles sont absolument privées. 160 a-b.
A) Négation relative. Sixième hypothèse : l’Un n’est pas ; il est cependant objet de pensée…
En premier lieu, donc, c’est quelque chose de connaissable que l’on désigne ; ensuite de différent des autres choses, quand on énonce “l’Un”, que ce soit l’être qu’on y ajoute, que ce soit le non-être ; on n’en connaît pas moins, en effet, quel est le sujet qu’on dit ne pas être, et qu’il est différent des autres choses. 160 c-d.
Que l’Un soit ou ne soit pas, il reste connaissable parce que nous pouvons le penser comme étant ou n’étant pas.
“Être”, donc, voilà qui n’est point possible à cet Un, du moment qu’il n’est pas ; mais avoir part à bien des choses, rien ne l’en empêche ; au contraire, c'est même une nécessité pour lui, du moment que c’est bien cet Un-là qui n’est pas, et non point autre chose. Si cependant ce n’est ni l’Un, ni celui-là précisément, qui doit ne pas être, mais si c’est de quelque autre chose d’indéterminé qu’on entend parler, alors il ne faut plus même rien proférer. 160 e - 161 a.
Nous pouvons penser l’Un s’il est ou s’il n’est pas, mais nous ne pouvons pas penser “autre chose d’indéterminé”. Cette notion est à rapprocher de cet aphorisme de Wittgenstein :
Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 7.
L’Un est en relation avec l’Être et avec le Non-être : pour prétendre dire vrai, il faut nécessairement “dire ce qui est”.
Dans ces conditions, du moment qu’à ce qui est, du “ne pas être”, et à ce qui n’est pas, de l’“être” il revient leur part, à l’Un aussi, dès lors qu’il n’est pas, de l’être nécessairement il lui revient sa part, en vue de son “ne pas être”. 162 b.
L’Un contient le mouvement et le repos : que l’Un soit ou ne soit pas, il change du non-être à l’être. Les attributs varient alors selon l’état de l’Un.
Et l’Un, par conséquent, lui qui n’est pas, tant qu’il s’altère, il naît et il périt ; dès qu’il ne s’altère pas, il ne naît ni ne périt. Et c’est ainsi que l’Un, lui qui n’est pas, naît et périt, et ni ne naît ni ne périt. 163 b.
B) Négation absolue. Septième hypothèse : l’Un n’est pas, absolument
L’absence absolue d’être retire toute possibilité de connaissance de l’Un : nous ne pouvons en avoir ni science, ni opinion ; nous ne pouvons pas le désigner, le nommer ou le déterminer.
C) Retour à la négation relative. Huitième hypothèse : l’Un n’est pas
Si d’un côté l’Un n’est pas, mais que les autres choses sont, ces dernières sont appelées autres et différentes. Il y aurait ainsi une “pluralité de masses” de choses, autres que l’Un et différentes entre les masses ou groupes de choses. Les masses sembleront le “fantôme d’égalité” des choses (165 a). Mais la pensée ne pourra saisir que la masse, sans commencement, ni limite, ni milieu.
Parce que toujours chez elles [les masses], quoi que saisisse la pensée pour l’être d’un de ces termes, avant le commencement toujours il apparaît un autre commencement, après la fin encore un reste, une autre fin, et au milieu, d’autres points plus médians que le milieu, de plus petits points, impossible qu’il est d’atteindre en eux l’unité singulière, vu qu'il n’y a point d’un. [...] Il faut donc que se brise, à mon avis, et s’émiette nécessairement quoi que ce soit, autant qu’on arrive à en saisir par la pensée ; ce ne serait jamais en effet qu’une masse, j'imagine, sans unité qu’on arriverait à saisir. 165 a-b.
Parménide utilise une métaphore pour résumer cette impossibilité de saisir par la pensée les choses contenues dans ces masses, et qui ne sont pas des “uns”.
C’est comme dans les peintures en trompe-l'œil ; quand on en est éloigné, l’ensemble offre une apparence d’unité, l’apparence d’avoir pour attribut l’identique et d’être semblable. [...] Mais, si l’on s'approche, cela devient multiple et se différencie, fantôme du différent par quoi tout cela apparaît être de différentes sortes et dissemblable d’avec soi-même. 165 c-d.
D) Retour à la négation absolue. Neuvième hypothèse : l’Un n’est pas, absolument
Comme pour l’hypothèse positive, Parménide revient à la sous-hypothèse de négation absolue (septième hypothèse), “l’Un n’est pas”. Il n’y a donc point d’Un dans les autres choses, et celles-ci n’ont pas non plus l’apparence d’être “un”, ni même d’être plusieurs.
Ainsi donc, s’il n’y a pas d’Un, on ne peut se faire de nulle des autres choses opinion qu’elle soit “un”, et pas davantage “plusieurs” ; sans “un”, en effet, avoir de “plusieurs” opinion est impossible. 166 a-b.
Parménide conclut sur une aporie, une impasse qui est malgré tout la "vérité même”.
Eh bien ! tenons-le pour dit et ajoutons ceci : selon toute apparence, qu’il y ait de l’Un ou qu’il n’y en ait pas, de toute façon, lui-même ainsi que les autres choses, dans leurs rapports à soi, respectivement aussi bien que réciproquement, de tous les attributs, sous tous les rapports, ont l’être et le non-être, l’apparence et la non-apparence. - C’est la vérité même ! 166 c.
Platon, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Tome II ; Parménide (texte en ligne).
Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, PUF.
Jean-Paul Dumont, Les Présocratiques, Bibliothèque de la Pléiade.
Christian Godin, Dictionnaire de philosophie pour les nuls. First Éditions.
Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres. Livre de Poche.
Wikipédia : Parménide (Platon).
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.
Patrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
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