Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Le temps est le sens de la vie (sens : comme on dit le sens d’un cours d’eau, le sens d’une phrase, le sens d’une étoffe, le sens de l’odorat). Claudel, Art poétique [cité p. 1113].
On dit que le temps passe ou s’écoule. On parle du cours du temps. [...] Si le temps est semblable à une rivière, il coule du passé vers le présent et l’avenir. Le présent est la conséquence du passé et l’avenir la conséquence du présent. Cette célèbre métaphore est en réalité très confuse. [...] Le temps suppose une vue sur le temps. Il n’est donc pas comme un ruisseau, il n’est pas une substance fluente. Si cette métaphore a pu se conserver depuis Héraclite jusqu’à nos jours, c’est que nous mettons subrepticement dans le ruisseau un témoin de sa course. p. 1114.
Le temps n’est donc pas un processus réel, une succession effective que je me bornerais à enregistrer. Il naît de mon rapport avec les choses. Dans les choses mêmes, l’avenir et le passé sont dans une sorte de préexistence et de survivance éternelles ; l’eau qui passera demain est en ce moment à sa source, l’eau qui vient de passer est maintenant un peu plus bas, dans la vallée. Ce qui est passé ou futur pour moi est présent dans le monde. p. 1115.
Le monde objectif est trop plein pour qu'il y ait du temps. p. 1115.
Cette table porte des traces de ma vie passée, j’y ai inscrit mes initiales, j’y ai fait des taches d’encre. Mais ces traces par elles-mêmes ne renvoient pas au passé : elles sont présentes ; et, si j'y trouve des signes de quelque événement “antérieur”, c'est parce que j’ai, par ailleurs, le sens du passé, c’est parce que je porte en moi cette signification. p. 1116.
Le temps est pensé par nous avant les parties du temps, les relations temporelles rendent possibles les événements dans le temps. Il faut donc corrélativement que le sujet n’y soit pas situé lui-même pour qu’il puisse être présent en intention au passé comme à l’avenir. Ne disons plus que le temps est une “donnée de la conscience”, disons plus précisément que la conscience déploie ou constitue le temps. Par l’idéalité du temps, elle cesse enfin d’être enfermée dans le présent. p. 1117-1118.
Il est essentiel au temps de se faire et de n’être pas, de n’être jamais complètement constitué. Le temps constitué, la série des relations possibles selon l’avant et l’après, ce n’est pas le temps même, c’en est l’enregistrement final, c’est le résultat de son passage que la pensée objective présuppose toujours et ne réussit pas à saisir. C’est de l’espace, puisque ses moments coexistent devant la pensée, c’est du présent, puisque la conscience est contemporaine de tous les temps. C’est un milieu distinct de moi et immobile où rien ne passe et ne se passe. Il doit y avoir un autre temps, le vrai, où j’apprenne ce que c’est que le passage ou le transit lui-même. p. 1118.
Le temps n’est pas une ligne, mais un réseau d’intentionnalités. p. 1120.
Le temps est l’unique mouvement qui convient à soi-même dans toutes ses parties, comme un geste enveloppe toutes les contractions musculaires qui sont nécessaires pour le réaliser. p. 1123.
Le temps est le moyen offert à tout ce qui sera d’être afin de n’être plus. Claudel, Art poétique [cité p. 1123].
[Le] temps dans l’expérience primordiale que nous en avons n’est pas pour nous un système de positions objectives à travers lesquelles nous passons, mais un milieu mouvant qui s’éloigne de nous, comme le paysage à la fenêtre du wagon. p. 1123.
En un mot, puisque dans le temps être et passer sont synonymes, en devenant passé, l’événement ne cesse pas d’être. p. 1124.
La temporalité se temporalise comme avenir-qui-va-au-passé-en-venant-au-présent. p. 1124.
Le passé n’est donc pas passé, ni le futur futur. Il n’existe que lorsqu’une subjectivité vient briser la plénitude de l'être en soi, y dessiner une perspective, y introduire le non-être. Un passé et un avenir jaillissent quand je m’étends vers eux. Je ne suis pas pour moi-même à l’heure qu’il est, je suis aussi bien à la matinée de ce jour ou à la nuit qui va venir, et mon présent, c’est, si l’on veut, cet instant, mais c’est aussi bien ce jour, cette année, ma vie tout entière. p. 1125.
On dit qu’il y a un temps comme on dit qu’il y a un jet d’eau : l'eau change et le jet d'eau demeure parce que la forme se conserve ; la forme se conserve parce que chaque onde successive reprend les fonctions de la précédente : [...] il n’y a qu’une seule poussée, une seule lacune dans le flux suffirait à rompre le jet. C’est ici que se justifie la métaphore de la rivière, non pas en tant que la rivière s’écoule, mais en tant qu’elle ne fait qu’un avec elle-même. p. 1125.
Il faut comprendre le temps comme sujet et le sujet comme temps. p. 1126.
[Être] à présent, c’est être de toujours, et être à jamais. p. 1126.
Le sentiment d’éternité est hypocrite, l’éternité se nourrit du temps. p. 1127.
[Le présent] est la zone où l’être et la conscience coïncident. p. 1128.
Dans le monde en soi, toutes les directions comme tous les mouvements sont relatifs, ce qui revient à dire qu’il n'y en a pas. p. 1134.
[Le] sens d’une phrase, c’est son propos ou son intention, ce qui suppose encore un point de départ et un point d’arrivée, une visée, un point de vue. p. 1134.
[Le temps] n’a de sens pour nous que parce que nous “le sommes”. Nous ne pouvons mettre quelque chose sous ce mot que parce que nous sommes au passé, au présent et à l’avenir. Il est à la lettre le sens de notre vie, et comme le monde, n’est accessible qu’à celui qui y est situé et qui en épouse la direction. p. 1135.
[Que] veut-on dire quand on dit qu’il n'y a pas de monde sans un être-au-monde ? Non pas que le monde est constitué par la conscience, mais au contraire que la conscience se trouve toujours déjà à l’œuvre dans le monde. p. 1137.
Comme mon présent vivant ouvre sur un passé que cependant je ne vis plus et sur un avenir que je ne vis pas encore, et que je ne vivrai peut-être jamais, il peut aussi ouvrir sur des temporalités que je ne vis pas et avoir un horizon social, de sorte que mon monde se trouve élargi à la mesure de l’histoire collective que mon existence privée reprend et assume. p. 1138.
MERLEAU-PONTY M., Œuvres, Paris, Gallimard “Quarto”, 2010.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
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