Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Ce livre, qu’il me soit permis de le dire, engendré plus que construit, l’a été à un moment, oserais-je l’avouer, d’extrême impossibilité, ce qui ne semble pas si extraordinaire, puisqu’il ne s’agit pas d’y passer du possible au réel, mais de l’impossible au vrai. p. 7.
[Aujourd’hui] poésie et pensée nous apparaissent comme deux formes insuffisantes, nous semblent être deux moitiés de l’homme : le philosophe et le poète. L’homme entier n’est pas dans la philosophie ; la totalité de l’humain n’est pas dans la poésie. Dans la poésie nous trouvons directement l’homme concret, individuel. Dans la philosophie l’homme dans son histoire universelle, dans son vouloir être. La poésie est rencontre, don, découverte par la grâce. La philosophie quête, recherche, guidée par une méthode. p. 13.
Ce que le philosophe poursuivait, le poète d’une certaine façon l’avait en lui. p. 17.
Toute parole requiert un éloignement de la réalité à laquelle elle renvoie ; toute parole est aussi la libération de qui la prononce. p. 21.
[La] poésie est née pour être le sel de la terre et une grande partie de la terre ne l’accueille toujours pas. p. 26.
Qu’une chose est le terrible combat de la poésie avec la vérité et la justice, et une autre, bien moindre et bien moins importante, l’envie dissimulée de ceux qui n’y accèdent pas, sans non plus accéder pour autant, à la vérité et à la justice. p. 28.
Le philosophe, celui qui sait déjà, n’a pas à être impatient que s’écroule le mur ultime du temps ; lui, il sait déjà, et la fin du temps ne va rien lui révéler de nouveau. Le temps n’est rien qui soit de l’être, et une fois que nous savons, peu importe, car la vie est une maladie qui dans le temps trouve son remède. Le temps lui-même collabore avec le philosophe dans son cheminement. p. 31.
La poésie, pour mourir, refuse la raison ; la raison comme ce qui triomphe de la mort. [...] La poésie s’accroche à l’instant et n’admet pas l’espérance, la consolation de la raison. Si l’on s’approche de la raison et de la poésie à leurs commencements, en leur resplendissante aurore grecque, elles ont des rôles opposés à ceux que nous imaginons. Dans les temps modernes, la désolation est venue de la philosophie et la consolation de la poésie. p. 34.
Le poète n’a jamais voulu prendre de décision et quand il l’a fait, ça a été pour cesser d’être poète. p. 40.
[La] gloire du poète, c’est de se sentir vaincu. p. 42.
Le philosophe veut posséder la parole, devenir son maître. Le poète est son esclave ; il s’y consacre, il s’y consume. Il s’y consume entièrement, hors de la parole il n’existe pas, il ne veut pas exister. Il veut, il veut délirer, car dans le délire, la parole jaillit dans toute sa pureté originaire. Il faut penser que le premier langage dut être délire. p. 43.
La poésie ne s’offre pas comme une récompense à ceux qui méthodiquement la poursuivent, mais vient s’offrir à ceux qui ne l’ont jamais désirée ; elle se donne à tous, elle est indifférente à chacun. Elle est certainement immorale. Elle est immorale comme la chair elle-même. p. 46.
La philosophie est un apprentissage de la mort et le séjour du philosophe parmi les hommes est très semblable à celui de quelqu'un qui est mort et qui, par un privilège spécial, a obtenu la grâce de revenir près des hommes comme messager de la violence nécessaire à la réalisation de la conversion, comme un appel de ce qui, de l’autre côté, est apparenté à la nature humaine corrompue. [...] Être mûr pour la mort, tel est l’état propre au philosophe. p. 56-57.
Si Platon n'avait pas été porteur d’un immense projet religieux, il n’aurait jamais condamné la poésie. Qui plus est : il n’aurait jamais cessé d’être poète. p. 59.
[Cette] parole de la poésie - ombre d’ombre. p. 61.
Comment se donner le nom de poète ? Perdu dans la lumière, errant dans la beauté, pauvre par excès, fou par trop de raison, pécheur sous la grâce. p. 64.
L’homme ne peut vivre dans l’unité, et quand il y parvient, il la détruit pour se remettre encore à la chercher. Il a besoin de l’unité comme but, comme horizon et il ne peut plus la savourer lorsqu’elle est enfin tombée à ses pieds comme un fruit mûr. p. 74.
Le chemin n’est jamais arbitraire puisqu’il dépend du lieu d’où l’on part et de ce qu’on a l’intention de réaliser, de sauver. p. 85.
[Toute] l’époque moderne semble se résumer en un seul mot, un seul désir : vouloir être. L’homme veut être, avant tout. Aveugle, avant de s’efforcer à ouvrir les yeux, il veut aveuglément. Et quand il regarde, c’est pour être. Aussi ne veut-il rien voir d’autre que l’absolu. p. 86.
[Chez] le poète la vie est le songe et chez le philosophe, le songe est l’innocence et la chute, l’éveil de la liberté. Chez tous deux la liberté est la seule réalité. p. 93.
[Si] la poésie se fait avec des mots, c’est parce que le mot est la seule chose intelligible. Parce que le mot, finalement, serait ce rêve partagé. / Voilà ce qui hante la poésie : partager le rêve, rendre l'innocence première communicable ; partager la solitude en détissant la vie, en parcourant le temps en sens inverse, en détissant les pas ; en se dé-vivant. Le philosophe vit, tourné vers l’avant, il s’éloigne de l’origine, il se cherche “lui-même” dans la solitude, il s’isole et s’éloigne des hommes. Le poète défait sa vie en s’éloignant de son éventuel “lui-même”, par amour de l’origine. p. 98.
La poésie détisse aussi l’histoire ; elle lui ôte sa vie en la remontant vers l’arrière, vers le rêve originaire d’où l’homme a été chassé. [...] Philosophie et histoire vont de l’avant du même pas, mues par la volonté, tandis que la poésie plonge sous le temps, oublie les événements en quête du primordial, de l’originel ; en quête de l’indifférencié où n’existe nulle coupable différence. p. 98-99.
Ce n’est pas lui-même que cherche le poète, c'est tous et chacun. Son être n’est qu’un véhicule, n’est qu’un moyen pour qu’une telle communication se réalise. p. 99.
Pourra-t-il venir le jour bienheureux où la poésie recueillera tout le savoir de la philosophie, tout ce que la distance et le doute lui ont appris, afin de donner forme avec lucidité et pour tous à son rêve ? p. 100.
Le philosophe [...] part en quête de son être par le détachement. Le poète reste immobile, dans l’attente du don. p. 106.
La poésie, c'est l'être qui s’ouvre vers le dedans et vers le dehors en même temps. C’est écouter dans le silence, voir dans l’obscurité. [...] C’est sortir de soi, se posséder parce qu’on s’est oublié, oublier parce qu’on a atteint le renoncement total. p. 110.
La poésie annule le problème de l’existence humaine, là où il se manifeste. Désormais, l’homme n’est plus que voix qui chante, qui manifeste l'être des choses, de toute chose. p. 114.
[Chaque] être porte potentiellement en lui une diversité infinie par rapport à lequel ce qui est à présent n’est que ce qui, pour l’instant, a triomphé. Et qui est une injustice. p. 116.
[La parole irrationnelle de la poésie] veut fixer l’inexprimable, parce qu’elle veut donner forme à ce qu’elle n’a pas atteint : au fantôme, à l’ombre, au rêve, au délire même. p. 116.
La vérité reconnaît à présent qu’elle est partielle et la raison même qui a découvert l'être, reconnaît l’injuste différence entre ce qui est et ce qu’il y a. p. 117.
Celui qui a été touché par la poésie ne peut se décider et celui qui a choisi la philosophie ne peut revenir en arrière. p. 117.
La poésie ne peut se fonder elle-même, se définir elle-même. Elle ne peut prétendre en somme se trouver, parce qu'alors elle se perd. p. 123.
ZAMBRANO M., Philosophie et poésie, Paris, Éditions Corti, 2024.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, décembre 2024.
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