Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
“L’exilé est celui qui ressemble le plus à l’inconnu, celui qui parvient, à force d’épurer sa condition, à être cet inconnu qu’il y a en tout homme et que le poète et l’artiste ne parviennent que très rarement à découvrir”, écrivait-elle dans Les Bienheureux. María Zambrano fit paradoxalement de l’exil une source de connaissance éthique, poétique et métaphysique, rejoignant à sa façon et à des siècles de distance la grande méditation de Virgile qui, dans la première églogue des Bucoliques comme plus tard dans l’Énéide, avait placé la question de l’exil à la base de tout vœu de présence au monde. Laurence Breysse-Chanet, p. 5.
C’est ainsi que María Zambrano en est venue vers la fin des années trente à envisager de nouveaux modes de rationalité, parmi lesquels la “raison poétique” constitue l’un de ses apports les plus stimulants à la pensée contemporaine. La lumière de la raison poétique ne saurait être celle du plein midi qui aveugle autant qu’elle illumine, plutôt ressemble-t-elle à la clarté naissante de l’aurore. “Elle, l’Aurore, parfois timidement, si souvent indécise, comme absente, visible, sans être et sans raison, la seule Aurore, serait la plus sûre garantie de l’être de la vie et de la raison” (De l’aurore, 1986). Laurence Breysse-Chanet, p. 13.
Je ne sais si ce que nous dit cette voix est philosophie ou poésie ? Peut-être ni l’une ni l’autre : la voix de María nous parle, sans le dire expressément, d’un état antérieur à la poésie et à la philosophie. Alors, un instant, les formes que nous voyons sont aussi les pensées que nous pensons. Octavio Paz, p. 19.
María Zambrano est allée plus loin qu’Ortega, parce que la recherche de la raison vitale se manifeste chez elle comme recherche d’un logos ruisselant “en las entrañas”. Entrañas est un mot délicat à traduire, il signifie “viscères”, mais aussi “noyau”, “centre”, “âme”, “cœur”, “sentiment” et “capacité de sentir”. Elena Laurenzi, p. 21.
Tu es à moi désormais et tu es ville, non point ce chaos d’édifices et de sensations ; dans l’absence tu es devant moi plus que jamais, dans ta présence idéale, pleine de grâce en mon esprit. María Zambrano, Ville absente, p. 40.
Je suis trop épuisée pour écrire, trop possédée. Je ne pourrais faire que de la poésie, car la poésie est tout et en elle, on n’a pas à se diviser. La pensée divise la personne ; tandis que le poète est toujours un. De là, l’angoisse indicible, et de là, la force et la légitimité de la poésie. María Zambrano, L’Espagne sort d’elle-même, p. 42.
Notre époque manque tout particulièrement de métaphores vives et actives ; de celles qui s’impriment dans l’esprit des gens et configurent leur vie. [...] Ces métaphores sont une façon de présenter une réalité qui ne peut l’être par voie directe ; elles manifestent la présence de ce qui ne peut s’exprimer directement, ni même à travers l’ineffable ; elles sont l’unique forme sous laquelle certaines réalités peuvent se rendre visibles aux faibles regards humains. María Zambrano, La métaphore du cœur, p. 43.
Le profond est un appel amoureux. C’est pourquoi tout gouffre attire. María Zambrano, La métaphore du cœur, p. 49.
Que sont les ruines ? Quelque chose qui est tombé, bien sûr, quelque chose de démoli. Mais tout ce qui est démoli n’est pas pour autant une ruine. Dans la perception de la ruine, nous sentons quelque chose qui n’est pas, un hôte enfui : quelqu’un vient de quitter le lieu où nous étions, mais quelque chose flotte encore dans l’air et y demeure. María Zambrano, Une métaphore de l’espérance : les ruines, p. 53.
[Il] y a deux sortes d’absence. La première est la plus courante : l’absence de quelque chose qui n’est tout simplement pas présent, mais qui peut l'être ou l’a été. C’est le manque de quelque chose, ou de quelqu’un, que nous connaissons, que nous avons pu contempler totalement. L’autre absence, l’absence pure, véritable, c’est celle qui n’a jamais été présente. Dieu est le grand absent, a dit Ortega. María Zambrano, Une métaphore de l’espérance : les ruines, p. 54.
María Zambrano soupçonne que le monde n’est pas composé de choses mais d'événements, comme dirait Machado : “Il n’y a pas de miroir, tout est fontaine.” Ou, comme l’avait dit Wittgenstein : “Le monde est tout ce qui arrive. Le monde est la totalité des faits, non des choses.” Zambrano pense que c’est le courant rationaliste qui s’est entêté à nous faire voir le monde comme des structures chosifiées et stables. Juan Fernando Ortega Muñoz, p. 60-61.
Que le poète soit plongé dans l'obscurité du délire ou dans celle de l’extase, il reçoit comme lumière la parole qui passe par ses lèvres, quand bien même cette lumière ne serait qu’une lueur fugace. En effet, l’apparition de la parole est aussi l’apparition d’un sens, fût-il incompréhensible, et c’est pourquoi Zambrano peut parler de “logos-lumière”. Clara Janés, p. 90.
La poésie est un événement de langage, la philosophie un événement de pensée. Mais, chez la première, la pensée est tout aussi importante que le langage l’est chez la seconde. Jacques Ancet, p. 93.
“Ce n’est que dans les îles qu’émerge la véritable patrie”, disait María Zambrano qui voyait en elles “le lieu approprié pour l’exilé”. Jorge Luis arcos, p. 101.
“L’homme est la créature qui se définit davantage par ses nostalgies que par ses trésors”, dit María Zambrano. Jorge Luis arcos, p. 114.
Il était un enfant qui respirait toute la rosée tenace du ciel, emplie du vide déjà, comme un chat qui entoure notre corps d’un silence de lumières. José Lezama Lima, Pavillon du vide, p. 123.
On meurt de bien des façons. Mais dans la solitude, on ne meurt jamais tout à fait. Andrès Sorel, p. 132.
L’éthique surgit dans la façon de penser, prend forme dans la façon de se comporter. Elle vient peut-être de l’enfance, mais elle se réalise dans la façon de grandir à la vie, dans le destin choisi auquel on sera fidèle jusqu’au dernier soupir. Andrès Sorel, p. 133.
La philosophie consiste en quelque façon à éclairer l'obscur, à convertir en parole le cœur vivant de l'expérience, à recueillir les ondoiements, les transformations et les ruissellements de la vie dans le chenal d’une possible compréhension. Entre les voies diverses de la philosophie, celle de la connaissance exacte et celle du savoir allusif, María Zambrano opta pour la recherche infinie d’une voix qui parlerait une langue nouvelle et ouvrirait un chemin à l’écart des définitions et des concepts. Laura Boella, p. 136.
Vivre le temps, cela signifie assumer la tâche existentielle de re-vivre, de sentir de nouveau et de répondre en première personne, c’est-à-dire de prendre le temps à contre-pied pour faire être aussi ce qui n’est plus ou ce qui n’est pas encore. Laura Boella, p. 139.
Il s’agit donc de se mettre à l’écoute des viscères - métaphore du sentir profond -, de déchiffrer leur révélation trop souvent inécoutée [...]. Déchiffrer ce qui est ressenti, l’interpréter et en accueillir les révélations, telle est la tâche principale du sujet qui se rend passif pour pouvoir agir efficacement, dans une fidélité maintenue à l’égard des sensations qui le constituent et le traversent. María Zambrano s’insurge contre le mépris de la passivité, trop souvent confondue avec la simple inertie. Elle valorise la réceptivité de la conscience, ses états entre veille et sommeil, sa disposition à recevoir le vrai plutôt qu’à le chercher. Wanda Tommasi, p. 146.
[L’esprit] doit se défaire des constructions encombrantes et des solutions hâtives pour accéder à une écoute profonde. Comme l’affirme la philosophe au début des Clairières du bois : “Il ne faut pas chercher. C’est l’immédiate leçon des clairières : on ne doit ni les chercher, ni rien vouloir d’elles. Rien qui soit déterminé, préfiguré, déjà connu.” Wanda Tommasi, p. 147.
Pour María Zambrano, face à la lumière aveuglante de la raison occidentale, la lumière à privilégier est celle qui ne s’est pas encore détachée du “placenta d’ombre” d’où elle provient. C’est la lumière de l’aurore qui naît et se déploie encore dans l’obscur, dans les anfractuosités intérieures. [...] Ce n’est pas la lumière du concept, du factuel ou du statistique. C’est la lumière qui accompagne la raison poétique. [...] La raison poétique est une voie de connaissance qui n’écrase pas la réalité comme la lumière terrible de midi, mais qui la porte au jour, comme la première clarté du matin. Virginia Trueba Mira, p. 157.
Aux heures de hautes alertes, nos lectures les plus anciennes remontent vers nous pour conforter notre vie, nous donner, sinon des réponses, des assurances sur les réponses que peut trouver notre propre vie. Laurence Breysse-Chanet, p. 158.
“C’était environ l’aube du jour” est l’une de ces locutions qui contiennent l’unité de l’œuvre cervantine, il suffit de les prononcer pour que le Quichotte soit là intégralement [Don Quichotte, IV]. Il y a inversement des phrases qui s’émancipent de l’œuvre et se mettent à vivre pour leur propre compte. Sorties de leur contexte initial, elles ouvrent de nouvelles pistes de réflexion et favorisent des connexions inédites. Laura Llevadot, p. 172.
Le symbole s’ouvre à nous en tant que nous sommes appelés à naître à partir de lui et à nous mettre en chemin en nous transformant : c’est sur ce mode que María Zambrano tient à nourrir une relation avec les images et les symboles. Chiara Zamboni, p. 190.
María Zambrano a souligné que l’accomplissement d’une œuvre d’art - l’art qui “fait voir” - supposait la disparition de l'auteur, de manière à ce que l'œuvre puisse faire partie des éléments. C’est ce qui se passe, selon elle, avec l’écrivain qui met au jour ce qui lui est donné, en extrayant quelque chose de lui-même dans un processus au sein duquel il s’efface [...]. Carmen Revilla, p. 196.
[Le] dessin appartient à l’espèce la plus étrange des “choses” : à celles qui ont à peine une présence ; sont-elles sonores, elles frôlent le silence ; sont-elles paroles, elles touchent au mutisme ; présence si pure qu’elle voisine avec l’absence ; de l’être au bord du non-être. / Ce genre de “choses” accomplit la plus généreuse des fonctions ; être au-delà et en deçà, à l’intérieur et à l’extérieur de ce qui est de l'ordre des choses à proprement parler. María Zambrano, Amour et mort dans les dessins de Picasso, p. 207.
Rien ? J’ai perdu, peut-être pour toujours, ma patrie, ce mot que l’on prononce avec tant de peur qu’on le tait plus qu’on ne le dit. J’ai perdu ma vie, la vie que j’aurais eue en Espagne, celle de mes amis, celle de mes camarades. J’ai perdu, dès le début, ce que nous ne savions pas même encore être une guerre civile. J’ai perdu une grande partie des gens de ma génération, celle que j’appelle la génération du taureau pour son sens du sacrifice, des êtres aimés, des victimes. Et je n’ai rien perdu quand j’ai, par-dessus tout et entre tous, ce fleuve de souvenirs sans compassion, ce spectacle de l’absence sans pitié, la turpitude suprême. C’est sans doute pour cela que je ne peux me réjouir. / Non, je ne peux pas me réjouir. Non, je ne veux pas savoir. María Zambrano, La mort apocryphe, p. 217.
Revue Europe, María Zambrano, n° 1027-1028, novembre-décembre 2014.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
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