Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Ombre de l’ombre et rien d’autre, la lumière qui la projette n’est que froide lumière et feu follet. p. 40-41.
La véritable abnégation n’est pas de savoir garder ses peines, mais de savoir les faire partager. p. 44.
[Elle] était son éternité, l’éternité sur laquelle tournaient lentement les heures jusqu’à se briser dans l’oubli en turbulentes vagues de doux souvenirs ; elle était la lumière illuminant ses ténèbres de la flamme de son amour ; elle était la gloire où elle se projetait à l’infini ; elle était, enfin, son poème, le poème vivant de ses entrailles, pétri de sa chair et de son esprit, de son sang et de sa moelle, de ses facultés et de ses sens. p. 46.
Un des lieux communs de la philosophie et de la poésie lyrique, inlassablement repris, traite de la fuite du temps, de la chute des ans dans l’éternité du passé. [...] Sommes-nous les mêmes qu’il y a deux, huit ou vingt ans ? p. 72-73.
On garde plus facilement la mémoire de nos peines et de nos malheurs que de nos joies et nos réussites. p. 75.
Il faut donner sa chance au hasard. p. 96.
Je dois te faire un aveu : ce que je redoute le plus est de me trouver devant un miroir, tout seul, sans que personne puisse me voir. Car alors je me mets à douter de ma propre existence, en me regardant comme si j’étais un autre, à imaginer que je suis une ombre, un être de fiction… p. 105.
Le temps qui passe et ne revient jamais, voilà la tragédie. p. 107.
[Quelque] chose de pire, même, que la mort, car celle-ci implique qu’il y ait eu naissance. p. 118.
Qu’est-ce donc que l’esprit ? Crois-tu que je vais vivre d’esprit ? p. 119.
Oui, dans cet océan de silence, dans son lit éternel, reposent les voix et les chants du passé, attendant peut-être l’évocation suprême qui les fera revivre pour entonner la glorieuse et éternelle symphonie. Car elles chantent dans le silence… p. 127.
Quand le nom d’un écrivain s’oublie, c’est le plus souvent au moment où son influence s’exerce le plus fortement. p. 128.
[Le moi concret est] le seul véritable. L’autre n’est qu’une ombre, la projection que le monde qui nous entoure nous offre de nous-mêmes à travers ses milliers de miroirs… nos semblables… p. 128.
[Là], dans ce pauvre jardinet, près de ces amis tristes et silencieux, je m’abandonne à la plus profonde philosophie, celle qui consiste à ressasser de vieux lieux communs. p. 130.
La vie ! Je m’y suis enterré. Je suis mort en pleine vie, en elle-même. Il faut vivre ! Et pourquoi ?... C’est cela, pourquoi ? p. 131.
Nous ne sommes rien d’autre qu’un peu de poussière. p. 133.
La gloire est bien peu de chose, ce qui est beau c’est de lutter pour la conquérir. p. 133.
Oui, c’est de mon œuvre le livre que le public préfère. C’est naturel c’est son œuvre, car ce n’est pas moi qui l’ai fait, mais mon public. p. 134.
Aujourd’hui, cette même hantise [de mourir] lance des multitudes sur le chemin de la gloire ; comme la gloire que nous recherchons n’est que l’ombre de l’immortalité et, à vrai dire, une véritable tromperie, tout notre héroïsme n’en est que l’ombre. p. 136.
La beauté pour la beauté est, pour moi, ce qu’il y a de plus laid ; le bien pour le bien, la chose la plus immorale ; la vérité pour la vérité, la plus illogique. La vue d’un altruiste me met sur mes gardes ; je n’aime que les êtres naturels. Si vous voyiez un rocher suspendu sans aucun soutien, tel un aérolithe ou un météore, au-dessus de votre tête, vous finiriez par vous mettre à l’abri le plus rapidement possible. Fuyez pareillement tout homme sans égoïsme car, s’il venait à tomber, il vous écraserait. p. 136.
[Mourir] pour ne pas connaître le secret de la mort… Alors pourquoi mourir ? [...] Non seulement ne pas être, mais encore ne pas savoir qu’on n’existe pas !... p. 137.
Jeune homme, essayez donc une nuit, une fois couché, de vous figurer que vous n’existez pas. Vous verrez alors, vous verrez, quel bouillonnement s'empare de votre esprit et comment on se guérit de cet état de grâce pestilentiel, propre à ceux qui ne sont pas encore parvenus à ce dégoût d’avoir vécu, d’avoir vécu, jeune homme, non de vivre. p. 138.
C’était un jour du brûlant été. Notre homme était allé aux champs, mais avec un livre, et s'était étendu au pied d’un arbre, un chêne, pour une sieste alternant avec la lecture. Pour fabriquer le papier sur lequel on fait un livre, il faut abattre un arbre et il ne donne plus d’ombre. Que préférer, le livre et sa lecture, ou l’arbre et la sieste sous son ombrage ? Livre ou arbre ? Le plus et le moins ? p. 139.
La plante est sédentaire, la graine vagabonde. p. 141.
Et il partit, le regard fixé sur un temps et un monde étrangement éloignés du présent. p. 142.
Quelle belle âme c’était, ce pauvre maître d’école de Carrasqueda de Abajo ! Nous, qui le connûmes dans le dernier tiers du XXe siècle, aurions grand-peine à reconnaître dans ce vieillard infirme, sombre et résigné, le jeune homme ardent, plein d’ambition et de projets qui, vers 1920, arriva dans ce pauvre village où il finit ses jours, ce Carrasqueda de Abajo, aujourd’hui célèbre pour avoir été le berceau de Ramón Quejana, que beaucoup surnommèrent le Réparateur. p. 149-150.
Ce que j’ai gagné un jour, je l’ai toujours rendu le lendemain en même monnaie. p. 153.
Je me suis fondu en vous, mes élèves. p. 153.
[Rien] ne meurt, tout coule du fleuve du temps à la mer de l'éternité et s’y confond… l’univers est un immense phonographe, un énorme disque sur lequel restent gravés toute image abolie, tout son évanoui… il ne manque que l’étincelle qui les ressuscitera un jour… Ils revivront et formeront un chœur qui remplira l’infini… p. 154.
Deux larmes tombèrent des yeux vifs du disciple sur les yeux du maître, figés dans l’éternité. p. 155.
La liberté est bien plus douce avec l’estomac vide, comme le disent ceux qui ne se sont pas trouvés en tête à tête avec les réalités de l’existence. Ils n’en connaissent que les apparences, les avantages, et non la vraie vie, sordide et nue. p. 156.
On ne peut pas être à la fois “pauvres mais orgueilleux”, voilà ce qui nous perd, nous les Espagnols… p. 159.
On peut admettre à la rigueur de dévorer le passé, surtout si celui-ci est mort ; mais dévorer l’avenir ! p. 163.
Ma raison est dans les ténèbres et c’est là que j’y vois. p. 177.
Procopio cultivait ce qu’on pourrait appeler la superstition des superstitions, c’est-à-dire celle de n’en avoir aucune. Le monde était pour lui un mystère, mais vide de sens. Rien ne signifie rien, telle était sa devise. Vouloir tout expliquer est une invention de l’homme, superstitieux par nature. [...] En dernière analyse, sa philosophie pouvait se résumer en ces mots : “Cela ne veut rien dire.” Tel était l’a b c de sa sagesse. Mais à quoi correspond ce rien qui a cependant un sens qu’il traduit sans le vouloir ? À vrai dire, l’homme ne pense que pour parler, pour communiquer avec ses semblables et se persuader ainsi qu’il est un homme. p. 180.
[Le problème était] de préciser si quelque chose signifie quelque chose. p. 182.
[Dire] vouloir n’est-ce donc pas vouloir dire ? p. 182.
Il était indispensable de trouver quelque chose ; l’esprit veut une explication. Seulement, comme rien ne signifie rien… serait-il amené à découvrir que rien ne signifie rien ? p. 183.
Il aimait à user de cette maxime chinoise : ne pas se compromettre et se chauffer au soleil. p. 185.
La vie de l’homme sur la terre est un combat. p. 190.
L’eau qui fertilise un terroir peut en stériliser un autre [...]. p. 195.
Les éponges vivent heureuses dans les profondeurs de la mer. p. 196.
Il était comme le rhumatisme qui redoute le moindre mouvement. p. 198.
La patience ne vient-elle pas à bout de la patience ? p. 199.
Le gentil petit vieux se moquait de tout cela. Les méchants étaient aussi gais que les bons et, dans une limonade, on ne prête pas attention aux couleurs. p. 201.
Qu'il est bon d'arriver au port encore tout ruisselant des eaux de la tempête ! p. 210.
On vient au monde pour pousser les autres et non pour boucher un trou. p. 253.
Pendant le sommeil, au fond de l'oubli où prend corps la chair de notre esprit, les idées que nous avons reçues s'assimilent. Ce que nous savons le mieux est ce que nous avons oublié. p. 280.
Les premières impressions, reçues par un esprit vierge, les plus fraîches, sont celles qui assurent ses assises, elles sont le germe puissant des plantes qui baignent dans le lac de notre âme. p. 281.
On ne peut recueillir l'eau répandue. p. 332.
L'enfance ! Il ne l'avait pas connue. Une longue journée grise et froide couvrant plusieurs années, des jours et des heures toujours pareils. p. 334.
Ces remords !... Et à quoi me servira d'être honnête si personne ne m'en est reconnaissant ? p. 339.
Le mystère entourant le suicide de mon père ne cessait [...] de me tourmenter. Ce mystère recouvrait pour moi celui de ma vie même et de mon existence. “Pourquoi et dans quel but suis-je venu au monde ?”, voilà la question que je ne cessais de me poser. p. 347.
Quelle ne serait pas notre surprise de découvrir l'ombre d'un nuage dans un ciel sans nuage, serein et tout rempli d'azur. p. 349.
J'en vins à me demander si nous ne sommes pas, nous tous, des ombres à la recherche de notre corps et s'il n'y aurait pas un autre monde où notre corps serait à notre recherche… Je finis par me dire que cette hantise du suicide qui me tourmentait n'était que le désir de rencontrer mon père, qui était le corps dont je n'étais que l'ombre*. p. 349-350.
[*] Dans le conte L’ombre sans corps, Unamuno évoque sa lecture de L’étrange histoire de Peter Schlemihl, d'Aldebert von Chamisso (voir la Note contemplative sur cet ouvrage).[Comment] celui devenu rien pourrait-il rien rencontrer ? p. 350.
Quelle chose terrible qu'une épithète ! C'est la pieuvre de l'intelligence. p. 380.
Mauvaise affaire que de trop savoir sur soi ; plus avisé serait le sot. Malheur à ceux qui se croient doctes ! p. 384.
Toute œuvre humaine est collective : tout ce qui n'est pas collectif n'est ni solide ni durable. p. 404.
Lorsque la poésie atteint le sublime et la spiritualité, elle se contente de simples énumérations, de murmurer des noms aimés. p. 453.
Mettre un nom, un nom à chaque chose est, dans un certain sens, s'en emparer spirituellement. p. 454.
Le véritable héros est un sujet de consolation à l'usage des âmes simples. p. 458.
UNAMUNO, M. de, Contes, Paris, Folio Gallimard, 2020.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, avril 2025.
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