Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Celui qui met par écrit ses pensées, ses rêves, ses sentiments, les consume, les tue. Dès qu’une de nos pensées est fixée par l’écriture, exprimée, cristallisée, elle est morte et elle n’est pas plus nôtre que ne le sera un jour sous la terre notre propre squelette. p. 13.
Tout n’est que petites boîtes, rêves. Ce qui est vraiment romanesque, c’est comment se fait un roman. p. 15.
Me voici devant ces pages blanches, mon avenir, essayant d’épancher ma vie pour continuer à vivre, à me donner la vie, à m’arracher à la mort de chaque instant. J’essaie en même temps de me consoler de mon exil, de cet exil hors de mon éternité, de ce déterrement que je veux appeler mon dé-cielement. p. 19.
Qu’on ne soit pas choqué par ma formule “naître vivant”, car a) on naît et on meurt vivant, b) on naît et on meurt mort, c) on naît vivant pour mourir mort et d) on naît mort pour mourir vivant. p. 25.
Et voilà pourquoi je ne puis me regarder un instant dans le miroir, car aussitôt mes yeux s’en vont à la poursuite de mes yeux, à la poursuite de leur portrait, et dès que je regarde mon regard, je sens que je me vide de moi-même, que je perds mon histoire, ma légende, mon roman, que je retourne à l’inconscience, au passé, au néant. p. 31.
Comme si faire de la politique, c’était autre chose qu’écrire des poèmes et comme si écrire des poèmes, ce n’était pas une autre manière de faire de la politique. p. 37.
Le vice de la lecture équivaut à une peine de mort continuelle. p. 37.
Être fou, dit-on, c’est avoir perdu la raison. La raison, mais pas la vérité, car il y a des fous qui disent les vérités que les autres taisent parce qu’il n’est ni rationnel ni raisonnable de les dire, et c’est pour cela qu’on dit qu’ils sont fous. Mais qu’est-ce que la raison ? La raison, c’est ce sur quoi nous sommes tous d’accord, tous ou du moins la majorité. La vérité, c’est autre chose, la raison est sociale, la vérité, d’ordinaire, est complètement individuelle, personnelle et incommunicable. La raison nous unit et les vérités nous séparent. / [Mais à présent, il m’apparaît que c’est peut-être la vérité qui nous unit et les raisons qui nous séparent. [...] Plus un seul moment il ne m’arrive de croire que je suis fou. Car si je me lance, au risque même de perdre la vie, contre des moulins à vent comme s’il s’agissait de géants, c’est en sachant que ce sont des moulins à vent. Mais comme les autres, ceux qui se croient sensés, les prennent pour des géants, il me faut les en détromper.] p. 44-45.
Voilà le fond de la tragédie universelle : Dieu se tait. Et il se tait parce qu’il est athée. p. 51.
Ce qu’on appelle gagner du temps, c’est le perdre. Le temps, voilà la tragédie. p. 63.
Une autre manière de mourir avant son heure. Si tant est qu’il y ait une heure pour mourir et qu’on puisse mourir en dehors d’elle. p. 76.
Le fond d’une chose est sa surface. p. 79.
Moi je ne me rappelle pas l’époque où je disais “papa !” avant de commencer à lire et à écrire ; c’est un moment de mon éternité qui se perd dans la brume océanique de mon passé. Mon père est mort alors que j’avais à peine six ans et toute image de lui s’est effacée de ma mémoire, remplacée — peut-être effacée — par les images artistiques ou artificielles, celles des portraits ; notamment, un daguerréotype du temps où il était un jeune homme, où il n’était que fils lui aussi. p. 93.
Notre œuvre est notre esprit et mon œuvre, c’est moi, moi qui me fais jour après jour, et siècle après siècle, comme ton œuvre, c’est toi, lecteur, toi qui te fais d'instant en instant, toi m’écoutant et moi te parlant. Car je veux croire que tu m’écoutes plus que tu ne me lis, de même que je te parle plus que je ne t’écris. Nous sommes notre propre œuvre. Chacun est le fils de ses œuvres, a-t-il été dit, et Cervantès, fils du Quichotte, l’a répété. Mais chacun n’est-il pas aussi père de ses œuvres ? Et Cervantès père du Quichotte ? p. 97.
Tout homme, véritablement homme, est fils d’une légende écrite ou orale. Or, seule la légende existe, c’est-à-dire le roman. p. 108.
[Ce] sont justement les hypocrites qui portent le plus leurs entrailles sur leur visage. Ils ont un couvercle, mais il est en verre. p. 109.
Raconter sa vie, n’est-ce pas une manière, peut-être même la plus profonde, de la vivre ? [...] Quand en finira-t-on avec cette opposition entre action et contemplation ? Quand comprendra-t-on enfin que l'action est contemplative et la contemplation est active ? p. 110.
[Le] jeu bien joué est la source de la conscience morale. p. 113.
Dans le suprême art consistant à tirer parti du hasard, la supériorité du joueur tient à ce qu’il sait abandonner la partie pour pouvoir en commencer une autre. Il en va de même en politique et dans la vie. p. 115.
La lumière reste en elle ; la clarté se communique. p. 117.
Personne ne se connaît mieux que celui qui cherche à connaître les autres. Puisque connaître c’est aimer, il conviendrait peut-être de modifier le précepte divin et dire : “Aime-toi toi-même comme tu aimes ton prochain.” p. 118.
UNAMUNO, M. de, Comment se fait un roman, Paris, Éditions Allia, 2010.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, juin 2025.
Philosophie, Mardi c’est Philosophie, #MardiCestPhilosophie, Contemplation, Notes contemplatives, Unamuno, RomanNotes contemplatives - Miguel de Unamuno, Comment se fait un roman #Philosophie #MardiCestPhilosophie #Contemplation #Unamuno #Roman