Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Si haut que nous placions nos concepts et à quelque degré que nous fassions abstraction de la sensibilité, des représentations imagées leur sont toujours attachées dont la détermination proprement dite est de les rendre, elles qui ne sont pas dérivées de l’expérience, propres à l’usage expérimental. p. 55.
[Orientation géographique] S’orienter signifie au sens propre du mot : à partir d’une région donnée du ciel (nous divisons l’horizon en quatre régions) trouver les autres, notamment le levant. [...] J’ai nécessairement besoin, à cet effet, du sentiment d’une différence subjective, à savoir celle de ma droite et de ma gauche. Je l'appelle un sentiment, parce que ces deux côtés ne manifestent pas apparemment dans l’intuition, de différence notable. p. 57.
[Orientation mathématique, dans un espace donné] Dans l’obscurité, je m'oriente dans une pièce connue de moi si je puis saisir un seul objet dont j’ai la position en mémoire. Mais rien d’autre ne m’aide alors manifestement que le pouvoir de déterminer les situations selon un principe de différenciation subjectif, car je ne vois absolument pas les objets dont je dois trouver la position. p. 58.
[Orientation logique, dans la pensée] S’orienter de manière générale dans la pensée signifie donc, étant donné l’insuffisance des principes objectifs de la raison, déterminer son assentiment d’après un principe subjectif de celle-ci. Note de Kant, p. 59.
Il en va tout autrement du concept d’un premier être originel, à la fois comme intelligence suprême et souverain bien. Car ce n’est pas assez que notre raison sente déjà un besoin de mettre le concept d’un être non-borné au fondement de tout ce qui est borné, et par suite de toute chose, ce besoin l’amène aussi à supposer l’existence de cette absence de bornes sans laquelle elle ne peut avancer aucun principe satisfaisant de la contingence de l’existence des choses dans le monde, et bien moins encore de la finalité et de l’ordre qu’on rencontre partout à un degré si admirable. p. 61-62.
[Le besoin de l’existence de Dieu pour la raison, dans son usage théorique] le premier besoin [...] est seulement conditionné, c’est-à-dire que nous devons admettre l’existence de Dieu, si nous voulons juger des causes premières de tout ce qui est contingent, principalement dans l’ordre des fins effectivement situées dans le monde. p. 62.
[Le besoin de l’existence de Dieu pour la raison, dans son usage pratique] Le besoin de la raison dans son usage pratique est bien plus important parce qu’il est inconditionné et qu’il nous sera nécessaire de supposer l’existence de Dieu non seulement lorsque nous voulons juger, mais parce que nous sommes dans l’obligation de juger. p. 62.
Le concept de Dieu, et même la conviction, ne peut se rencontrer que dans la raison, ne peut provenir que d’elle et non venir d’abord en nous par l’intermédiaire d’une inspiration, ni par une information reçue, si grande qu’en soit l’autorité. p. 66.
Personne ne peut par conséquent être convaincu d’emblée de l’existence de l’être suprême par quelque intuition ; la croyance de la raison doit précéder. p. 67.
À la liberté de penser s’oppose premièrement la contrainte civile. Certes, on dit : la liberté de parler, ou d'écrire peut nous être retirée par un pouvoir supérieur mais absolument pas celle de penser. Toutefois, quelles seraient l’ampleur et la justesse de notre pensée, si nous ne pensions pas en quelque sorte en communauté avec d’autres à qui nous communiquerions nos pensées, et qui nous communiqueraient les leurs ! On peut donc dire que ce pouvoir extérieur qui dérobe aux hommes la liberté de communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser. p. 69.
Deuxièmement la liberté de penser est prise aussi en ce sens que s’y oppose la contrainte faite à la conscience morale, lorsque, en dehors de tout pouvoir extérieur, des citoyens s’érigent en tuteurs des autres dans les choses de la religion, et, au lieu d’user d’arguments, s’emploient à proscrire, au moyen de formules de foi dictées et assorties de la crainte angoissée du danger d’un examen propre tout examen de la raison par une empreinte précoce laissée dans les esprits.
Troisièmement la liberté de penser signifie aussi que la raison ne se soumette à aucune autre loi qu’à celle qu'elle se donne elle-même ; et son contraire est la maxime d’un usage sans loi de la raison [...]. La conséquence inévitable de l’absence déclarée de loi dans la pensée [...] est que la liberté de penser en fait finalement les frais, et que, par la faute, non du malheur mais d’une véritable présomption, elle est, au sens propre du terme, gaspillée. p. 69-70.
La maxime de l’indépendance de la raison à l’égard de son propre besoin (renonciation à la croyance de la raison) signifie dès lors incroyance [...] mais il s’agit d’une incroyance de la raison, d’un fâcheux état de l’esprit humain qui commence par retirer aux lois morales toute leur force comme mobiles du cœur et même, avec le temps, toute leur autorité et fait naître un mode de penser qu’on nomme licence de pensée, c’est-à-dire le principe selon lequel on n’a plus à reconnaître aucun devoir. [...] Et ainsi la liberté dans la pensée finit par se détruire elle-même quand elle va même jusqu’à procéder indépendamment des lois de la raison. p. 70-71.
Penser par soi-même signifie chercher la suprême pierre de touche de la vérité en soi-même (c’est-à-dire dans sa propre raison) ; et la maxime de toujours penser par soi-même, c’est les Lumières. [...] Se servir de sa propre raison ne signifie rien d’autre que de se demander soi-même en toute chose ce que l’on doit admettre : est-il opportun de faire du fondement d’après lequel on admet quelque chose, ou de la règle qui découle de ce qu’on admet, un principe universel de son usage de la raison. Note de Kant, p. 71.
Instaurer les lumières en quelques sujets est donc chose facile ; il suffit de commencer tôt à habituer les jeunes esprits à une telle réflexion. Mais éclairer une époque est une tâche de très longue haleine. Note de Kant, p. 72.
KANT E., Que signifie s’orienter dans la pensée, GF Flammarion, 2006.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
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