Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Tout poème est un blason. p. 14.
Libre de choisir les visages, les formes, les gestes, les timbres, les actes, les lieux qui lui plaisent, il compose avec eux un documentaire réaliste d'événements irréels. p. 15.
[C’est] pourquoi il faut laisser ce film agir comme la noble musique d’Auric, qui l’accompagne, et comme toutes les musiques du monde. La musique donne un aliment anonyme à nos émotions, à nos souvenirs, et si chacun de nous trouve à ce film un sens qui lui est propre, j’estime que j'aurais atteint mon but. Note n° 3, p. 17-18.
Sortie d’un tableau où la main nue l’avait prise comme une lèpre, la bouche noyée semblait s’éteindre dans une petite zone de lumière blanche. p. 23.
[Ou] Comment j’ai été pris à mon propre piège par mon propre film. Jean Cocteau. p. 28.
Il est déjà dangereux de s’essuyer aux meubles. N’est-il pas [...] fou de réveiller les statues en sursaut après leur sommeil séculaire ? p. 29-30.
Tu crois que c’est si simple [...] de se débarrasser d’une blessure, de fermer la bouche d’une blessure ? p. 31.
Il te reste une ressource. Entrer dans la glace et t’y promener. p. 32.
Plan de demi-ensemble du miroir. Le poète s’enfonce dans la glace. (On a substitué au miroir une cuve d’eau, fixé le décor dessus, cloué la chaise à gauche. L’appareil de prise de vues se trouve à pic sur le tout. L’acteur plonge. L’image redressée, vite coupée, terminera le trompe-l’œil.) L’eau gicle puis les bords du “miroir” redeviennent secs comme auparavant : il s’agit d’un plan pris avant le passage “de l’autre côté du miroir”. Un cri de foule au feu d’artifice accompagne sa disparition. Cut. Noir. p. 34.
D’abord, vous verrez le personnage du poète entrer dans une glace. Ensuite, il nage dans un monde que nous ne connaissons ni les uns ni les autres, mais que j’imagine. Cette glace le mène à un couloir, et sa démarche est celle des rêves. Ce n’est ni la rage ni le vol. C’est quelque chose d’autre et qui ne ressemble à rien. Le ralenti est vulgaire. J’ai donc fait clouer les décors sur le sol et tourner la scène à plat. Le personnage se traîne au lieu de marcher, et, quand on redresse la scène, vous voyez un homme qui marche de façon très pénible et très étrange, et dont la musculature mouvante ne correspond pas à l’effort de sa promenade. Note n° 20, p. 36-37.
Au petit jour, le Mexique [...] les fossés de Vincennes, le boulevard d’Arago, une chambre d’hôtel se valent. p. 38.
Dans la chambre dix-neuf se donnaient les rendez-vous d’Hermaphrodite. p. 46.
Plan du poète à la taille, cruellement éclairée par des lampes à arc. Coup du revolver (comme un coup de canon) qu’il appuyait à sa tempe. Il lâche l’arme. Une couronne de laurier pousse sur sa tête. Le sang gicle de sa tempe et coule sur le torse, devient une étoffe qu’on devine rouge et qui le drape. p. 50.
Toujours la gloire ! p. 51.
Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. p. 52.
À casser des statues [...] on risque [...] d’en devenir une [...] soi-même. p. 53-54.
La cité aura l’inexactitude des souvenirs d’enfance. p. 54.
[Il] s’agissait de montrer la statue du poète détruite par les enfants qui jouent, qui ravagent tout et ne respectent rien. Cette statue de pierre doit disparaître comme si elle était de neige. Note n° 36, p. 59.
Astuce de la fatalité qui se déguise, nous donne l’illusion d’être libres et, en fin de compte, nous fait toujours tomber dans le même panneau. Note n° 38, p. 60.
Une boule de neige entre ses mains pouvait devenir aussi néfaste que les couteaux d’Espagne. p. 62.
Ce coup de poing de marbre était boule de neige,
Et cela lui étoila le cœur,
Et cela étoilait la blouse du vainqueur,
Étoila le vainqueur noir que rien ne protège.
Il restait stupéfait, debout
Dans la guérite de solitude,
Jambes nues sous le gui, les noix d’or, le houx,
Étoilé comme le tableau noir de l’étude.
Ainsi partent souvent du collège
Ces coups de poing faisant cracher le sang,
Ces coups de poing durs des boules de neige,
Que donne la beauté vite au cœur en passant. Note n° 44, p. 64.
[Si] le cinéma interdit les déformations dans l’espace, il permet les déformations dans le temps. Une histoire de mon enfance me hante toujours. On la retrouve dans quelques-unes de mes œuvres. Un jeune garçon blessé par une boule de neige. Dans Les Enfants terribles, l’enfant ne meurt pas. Dans mon film, l'enfant meurt. Ce n’est pas reprendre un thème. C’est toute une mythologie que le poète remue, et qu’il observe sous d’autres angles, etc. [...] Dans mon souvenir, il vomissait du sang. Or je n’ai pas voulu tourner une scène réaliste, mais le souvenir déformé de cette scène. Note n° 46, p. 66.
Si vous n’avez pas l’as de cœur, mon cher, vous êtes un homme perdu. p. 69.
Sort l’ange noir. Il brille. p. 71.
L’ange vu de dos se penche vers le corps de l’enfant. Il nous présente le mécanisme de ses ailes. C’est le système nerveux d’une abeille. p. 72.
La pèlerine, s’étalant comme une tache [...] d’encre, disparut sous le corps du personnage surnaturel qui pâlissait en absorbant sa proie. p. 73.
[Gros] plan en plongée du visage du poète. Sa joue gauche repose dans la neige. De sa tempe droite le sang jaillit d’une blessure en forme d’étoile à cinq branches et coule capricieusement sur sa joue droite. p. 76.
Les poètes, pour vivre, doivent souvent mourir, et dépenser, non seulement le sang rouge du cœur, mais ce sang blanc de l’âme qu’ils répandent et qui permet de les suivre à la trace. Les applaudissements ne s’obtiennent qu’à ce prix. Les poètes doivent donner tout, afin d’obtenir le moindre suffrage. Note n° 56, p. 77.
Sa besogne accomplie, la femme redevint statue, c’est-à-dire chose inhumaine avec des gants noirs défoncés par la neige sur laquelle [...] sa démarche, ensuite ne laisserait aucune empreinte. p. 78-79.
L’appareil découvre à vol d’oiseau l'ensemble de la femme statue, couchée, véritable Acropole de linges, de draperies pareilles à des fleuves. Auprès d’elle, la lyre et la mappemonde. p. 83.
Ennui mortel de l’immortalité. p. 84.
On ne peut pas raconter un film pareil. Je pourrais en donner une interprétation qui m’est propre. Je pourrais vous dire : la solitude du poète est si grande, il vit tellement ce qu’il crée, que la bouche d’une de ses créations lui reste dans la main comme une blessure, et qu’il aime cette bouche, qu'il s’aime, en somme, qu’il s’éveille le matin avec cette bouche contre lui comme une rencontre de hasard, qu’il tâche de s’en débarrasser, et qu’il s’en débarrassera sur une statue morte — et que cette statue se met à vivre — et qu’elle se venge, et qu’elle l’embarque dans ses aventures atroces. Je pourrais vous dire que la bataille des boules de neige, c’est l’enfance du poète, et que, quand il joue cette partie de cartes avec sa Gloire, avec sa Destinée, il triche en prenant sur son enfance ce qu’il devrait puiser en lui-même. Je pourrais vous dire ensuite, qu’ayant essayé de se faire une gloire terrestre, il tombe dans cet “ennui mortel de l’immortalité”, auquel on songe devant toutes les sépultures illustres. Et j’aurais raison de vous dire cela, mais j’aurais tort aussi, car ce serait un texte écrit après coup sur des images. Note n° 65, p. 84.
COCTEAU J., Le sang d'un poète, Monaco, Les Éditions du Rocher, 1983.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, avril 2025.
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