Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
[La] plupart de ces études furent écrites sous l’Occupation. [...] En 1942-1943, ma pensée était comme polarisée par l’idée de la future Libération. On savait alors très exactement ce qu’on espérait. En est-il de même aujourd’hui ? Il me paraîtrait hasardeux de le prétendre. Au lieu qu’alors nous nourrissions un espoir au sens le plus fort de ce mot, nous formons aujourd’hui de vagues souhaits. p. I.
“Peut-être un ordre terrestre stable ne peut-il être instauré que si l’homme garde une conscience aiguë de sa condition itinérante.” / Je souhaiterais que cette phrase paradoxale, jetée dans la conclusion de Valeur et Immortalité, pût servir au lecteur de fil d’Ariane à travers ce qu’il serait sans doute prétentieux d’appeler le labyrinthe que forment les essais rassemblés dans le présent volume. p. 5.
Nous reporter en arrière, c’est inévitablement regarder ce qui se présente comme un chemin parcouru, c’est évoquer ceux qui nous ont accompagnés, c’est-à-dire qui ont fait avec nous telle ou telle partie du voyage. L’idée de voyage, qui n’est pas habituellement considérée comme offrant une valeur ou une portée spécifiquement philosophique, présente cependant l’inestimable avantage de rassembler en soi des déterminations qui appartiennent à la fois au temps et à l’espace [...]. p. 8.
Mais c’est l’âme, précisément, qui est une voyageuse, c’est de l’âme, et d’elle seule, qu’il est suprêmement vrai de dire qu'être, c’est être en route. p. 10.
Présence signifie plus et autre chose que le fait d’être là ; en toute rigueur, on ne peut pas dire d’un objet qu’il soit présent. Disons que la présence est toujours sous-entendue par une expérience à la fois irréductible et confuse qui est le sentiment même d’exister, d’être au monde. p. 18.
Le meilleur de moi ne m'appartient pas, je n’en suis aucunement propriétaire, mais seulement dépositaire. p. 22.
Je m’affirme comme personne dans la mesure où j’assume la responsabilité de ce que je fais et de ce que je dis. Mais devant qui suis-je ou me reconnais-je responsable ? Il faut répondre que je le suis conjointement devant moi-même et devant autrui, et que cette conjonction est précisément caractéristique de l’engagement personnel, qu’elle est la marque propre de la personne. p. 25.
[Chacun] de nous se présente dès l’origine aux autres et à lui-même comme un certain problème dont les circonstances quelles qu’elles soient ne suffisent pas à livrer la solution. p. 28.
“Si tu fuis hors de toi-même, ta prison courra avec toi et se rétrécir au vent de ta course : si tu t’enfonces en toi-même, elle s’évasera en paradis.” Gustave Thibon, cité par G. Marcel, p. 34.
[Toujours], l’âme se tourne vers une lumière qu’elle ne voit pas encore, vers une lumière à naître, dans l’espoir d’être tirée de sa nuit présent, nuit d’attente, nuit qui ne peut se prolonger sans la livrer à tout ce qui l'entraîne en quelque sorte organiquement vers la dissolution. p. 40.
[Il] ne peut y avoir à proprement parler espérance que là où intervient la tentation de désespérer, l’espérance est l’acte par lequel cette tentation est activement ou victorieusement surmontée [...]. Qu’est-ce donc que désespérer ? [...] Il semble que ce soit toujours une capitulation devant un certain fatum posé par le jugement. p. 47.
Il est manifeste qu’il y a dans l’espérance quelque chose qui dépasse infiniment l’acceptation, ou plus exactement on pourrait dire qu'elle est une non-acceptation, mais positive, et qui par là se distingue de la révolte. p. 49.
[La patience envers autrui] consiste à coup sûr à ne pas brusquer, à ne pas malmener l’autre, plus exactement à ne pas tenter de substituer par la violence son rythme propre au rythme de l’autre ; et autre, il s’agit de ne pas le traiter non plus comme une chose dépourvue de rythme autonome, et qu’on pourrait par conséquent forcer ou plier à sa guise. p. 50-51.
C’est bien sur cette flamme qu’est la vie que s'exerce l’action maléfique du désespoir. [...] C’est ce qu’on exprime admirablement quand on dit d’un être : “il se consume.” De ce point de vue, le désespoir peut être assimilé à une véritable autophagie spirituelle. p. 56.
“J’espère en toi pour nous” : telle est peut-être l'expression la plus adéquate et la plus élaborée de l’acte que le verbe espérer traduit d'une façon encore confuse et enveloppée. p. 77.
[J’incline] à penser que cette coïncidence du tout proche et de l’infiniment lointain est précisément caractéristique des mystères quels qu’ils soient [...]. p. 91.
[Entre] mes ascendants et moi, il doit exister une relation infiniment plus obscure et plus intime, j’ai part à eux comme ils ont part à moi - dans l’invisible ; ils me sont, je leur suis - consubstantiels. p. 93.
Économiser, au sens vrai et sain du mot, cela signifie surtout : réserver pour mieux donner. Gustave Thibon, cité par G. Marcel, p. 103.
Se distraire, c’est se détourner, mais de quoi ? Et comment le besoin de distraction est-il apparu ? Voilà le vrai problème. Il est trop clair que la ville, avec ses “attractions” a créé dans les campagnes un véritable appel d'air ; nous pourrions dire aussi que le citadin a exercé sur le paysan une graduelle contamination. p. 107.
“On n’est porté que par ses charges”, disait excellemment Gabriel Séailles. p. 108.
Il faut bien entendu laisser de côté le cas de l’homme qui prolifère par hasard, qui se reproduit comme l’animal, sans accepter les conséquences de son acte : il ne fonde pas une famille, il engendre une portée. p. 112.
[L’expérience] de la paternité [...] se développe à partir de ce qu’il faut bien appeler un néant d’expérience. C’est exactement le contraire qui est vrai pour la maternité. p. 133-134.
[La] paternité présente presque toujours le caractère d’une conquête plus ou moins hasardeuse qui s’effectue pied à pied sur un terrain difficile et semé d'embûches. p. 143.
Je ne peux pas plus faire exister un autre que moi - que je ne peux me faire exister moi-même [...]. p. 155.
[Il] convient de signaler la différence de niveau spirituel entre servir et servir à. En présence d’un outil ou d’une machine dont la destination m’est inconnue, je demanderai : à quoi cela sert-il ? [...] Il y aurait en revanche quelque chose de scandaleux à demander à un être humain : à quoi sers-tu ? Notons au demeurant qu’une représentation instrumentaliste de l’être humain entraîne inévitablement à la longue des conséquences extrêmes, telles que la suppression pure et simple des infirmes et des incurables ; ils ne “servent plus à rien”, dès lors ils ne sont plus qu’à mettre au rebut : pourquoi se donnerait-on la peine d’entretenir, d’alimenter des machines hors d’usage ? / Il n’y aurait au contraire rien de choquant, tout au moins à un certain degré d’intimité, à demander à ce même être humain : que sers-tu, ou qui sers-tu ? p. 166.
[Toute] vie est un service [...]. p. 166.
Ne convient-il pas de reconnaître que la seule fidélité véritable est fidélité envers soi-même, et que c’est seulement à travers elle que je puis déployer ce qu’on regarde inexactement comme la fidélité envers autrui ? p. 170.
Ne savons-nous pas que les cœurs les plus fidèles sont en général aussi les plus humbles ? p. 174.
Être curieux, c’est partir d’un certain centre immobile, c’est se tendre pour saisir, pour happer un objet dont on ne se formait qu’une représentation confuse ou schématique. Être inquiet, au contraire, c’est n'être pas sûr de son centre, c’est être à la recherche de son propre équilibre. p. 183.
[Si] la mort est un silence, nous ne pouvons en marquer le terme, car nous ne savons pas ce qu’il recouvre, ce qu’il protège, ce que peut-être il prépare. p. 196.
[L’âme] fidèle est vouée à faire l’expérience de la nuit, et [elle] doit même connaître la tentation de se laisser aveugler intérieurement par cette nuit qu’il lui faut traverser. p. 199.
Ce qui est en péril de mort aujourd’hui, c’est l’homme lui-même dans son unité ; et ceci est vrai aussi bien de l’individu considéré comme une totalité concrète que de l’espèce humaine regardée comme le déploiement ou l’expansion d’une essence. p. 207.
[Si] l’on peut dire que la mort de Dieu au sens nietzschéen a précédé et rendu possible l’agonie de l’homme à laquelle nous assistons - il reste légitime en un certain sens d’affirmer que c’est des cendres de l’homme que Dieu peut et doit ressusciter. p. 207.
[Le] monde ne découvre pas ses non-êtres à qui ne les a d'abord posés comme des possibilités. p. 224.
[En] tant que vivant, je me consume et renais perpétuellement de mes cendres : la vie est mort et résurrection perpétuelle. En ce sens, je ne cesse de me néantiser qu’en devenant cadavre. Le corps est ainsi voué à être perpétuellement plus que lui-même et moins que lui-même ; en aucun cas, il n'est identique à lui-même [...]. p. 235.
Condamner le projet, c’est condamner l’homme tout simplement [...]. p. 252.
Camus nous apporte d’abord le témoignage d’une génération sur laquelle a été portée une sentence de mort, et pour qui vivre n’est en somme que bénéficier d’un sursis, susceptible d’expirer demain ou ce soir. Telle est la donnée initiale du drame, car c’est bien un drame. p. 272.
Le témoin [...], ce n’est pas seulement, ce n’est pas vraiment celui qui observe ou qui constate, c’est celui qui rend témoignage, et ce témoignage n’est pas un simple écho, c’est une participation et une confirmation ; témoigner, c'est contribuer à la croissance ou à l’avènement de ce dont on témoigne. p. 283.
“Sans la vie, la littérature serait sans contenu ; mais sans la littérature, la vie ne serait qu’une chute d’eau, cette chute d’eau ininterrompue sous laquelle tant d’entre nous sont submergés, une chute d’eau privée de sens que l’on se borne à subir, que l’on est incapable d’interpréter, et vis-à-vis de cette chute d’eau, la littérature remplit les fonctions de l’hydraulique, capte, recueille, conduit et élève les eaux”. [Charles Du Bos, Approximations, VII, cité par G. Marcel]. p. 285.
“Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne - c’est à cela qu’il faut parvenir. Être seul comme l’enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent.” [Rilke, Lettres à un Jeune Poète, cité par G. Marcel]. p. 288.
“La mort, cette forme la plus clémente de la vie”. [Gerhardt Hauptmann, cité par G. Marcel]. p. 293.
L’Homme révolté est sous certains rapports l’œuvre la plus importante de Albert Camus, car c’est à n’en pas douter celle qu’il a le plus longuement mûrie, et celle qui permet de comprendre le plus distinctement le problème sur lequel n’a cessé de porter sa méditation depuis qu’il a commencé à réfléchir. p. 347.
Je ne me révolte authentiquement qu’à condition de m’engager moi-même tout entier dans cette révolte qui autrement ne serait qu’un simulacre. p. 352.
Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de violence sans culpabilité. p. 353.
“Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde, elle est de les combattre en nous-mêmes et dans les autres.” [Camus, L’Homme révolté, cité par G. Marcel]. p. 367.
MARCEL G., Homo Viator - Prolégomènes à une métaphysique de l’espérance, Paris, Éditions Aubier Montaigne, 1963.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
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