Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
[Le] succès de ce que j’ai écrit ne m’intéresse que dans la mesure où c’est conforme à la vérité. Mais pour que celle-ci n’en pâtisse pas, j’adresse au lecteur une requête : qu’il suspende son jugement jusqu’à ce qu’il ait, au moins une fois, tout lu jusqu’au bout avec le degré d’attention et de pensée que le sujet semble mériter. p. 37.
[L’esprit] de l’homme est fini, et quand il traite de choses qui participent de l’infinité, il ne faut pas s’étonner s’il rencontre des absurdités et des contradictions dont il est impossible qu’il se tire jamais car il est de la nature de l’infini de n’être pas compris par de qui est fini. p. 40.
En somme, je suis enclin à penser que la majeure partie des difficultés, sinon toutes, qui ont jusqu’ici amusé les philosophes et ont fermé le chemin de la connaissance, nous sont entièrement imputables. Nous avons d’abord soulevé un nuage de poussière et nous nous plaignons ensuite de ne pas y voir. p. 41.
[Ce] qui semble avoir contribué pour une grande part, à rendre la spéculation compliquée et embrouillée et avoir été l'occasion d’erreurs et de difficultés innombrables dans presque tous les domaines de la connaissance [c’est] l’opinion que l’esprit a le pouvoir de forger des idées abstraites ou notions des choses. p. 42.
[Il] semble qu’un mot devienne général quand on en fait le signe non d’une idée générale abstraite mais de plusieurs idées particulières dont suggère indifféremment l’une ou l’autre à l’esprit. p. 48.
[Je] ne nie pas absolument qu’il y ait des idées générales, mais seulement qu’il y ait des idées générales abstraites. p. 48.
C’est une chose de donner constamment à un nom la même définition, c’en est une autre de faire qu’il soit partout mis pour la même idée : l’un est nécessaire, l’autre est inutile et infaisable. p. 56.
Il nous suffit de tirer le rideau des mots pour contempler le plus bel arbre de la connaissance, dont le fruit est excellent et à la portée de notre main. p. 61.
Car, quand à ce qu’on dit de l’existence absolue de choses non pensantes, sans aucune relation avec le fait qu’elles sont perçues, cela semble parfaitement inintelligible. Leur esse est percipi, et il n’est pas possible qu’elles aient quelque existence en dehors des esprits ou choses pensantes qui les perçoivent. p. 65.
[Mon] pouvoir de concevoir ou d’imaginer ne s’étend pas au-delà de la possibilité de l'existence réelle ou de la perception. En conséquence, comme il m’est impossible de voir ou de sentir quelque chose sans la sensation effective de cette chose, il m’est de même impossible de concevoir dans mes pensées une chose sensible ou un objet distinct de la sensation ou perception que j'en ai. p. 66.
Il s’ensuit de ce qui a été dit, qu’il n’y a pas d’autre substance que l’intelligence, ou ce qui perçoit. p. 67.
Si nous regardons un tant soit peu dans nos pensées, nous trouverons qu’il nous est impossible de concevoir de la ressemblance si ce n’est entre nos idées. p. 68.
De plus, le grand et le petit, le rapide et le lent, ne peuvent exister nulle part hors de l’esprit, étant entièrement relatifs et changeant selon que la constitution et la position des organes du sens varient. Donc l’étendue qui existe hors de l'esprit n'est ni grande ni petite, le mouvement n’est ni rapide ni lent, c’est-à-dire qu’ils ne sont rien du tout. p. 70.
Il vous suffit de regarder dans vos propres pensées et d’essayer ainsi de voir si vous êtes capable de concevoir qu’il est possible qu’un son, une figure, un mouvement ou une couleur existent hors de l’esprit, ou non perçus. Cet essai facile vous fera peut-être voir que ce que vous soutenez est une franche contradiction. p. 76.
Quand nous nous évertuons à concevoir l’existence des corps extérieurs, nous ne faisons, pendant tout ce temps, que contempler nos propres idées. p. 77-78.
Tout ce que nous voyons, sentons, entendons, tout ce que nous concevons ou comprenons en quelque façon, demeure aussi assuré que jamais et aussi réel que jamais. Il y a une rerum natura et la distinction entre réalités et chimères conserve toute sa force. p. 84.
La seule chose dont nous nions l’existence, est celle que les philosophes appellent matière ou substance corporelle. Et, en faisant cela, on ne cause aucun tort au reste du genre humain, à qui, j’ose le dire, elle ne manquera jamais. L’athée, certes, n’aura plus le prétexte d’un nom vide pour soutenir son impiété ; et les philosophes trouveront peut-être qu’ils ont perdu un beau sujet d’arguties et de controverses. / Si quelqu’un pense que cela retranche à l’existence ou à la réalité des choses, il est très loin de comprendre ce qui a été proposé dans les termes les plus clairs que j'ai pu trouver. p. 85.
Mais, direz-vous, cela sonne très mal de dire que nous mangeons et buvons des idées, que nous sommes vêtus d’idées. J’en conviens, le mot idée ne s’emploie pas dans la langue courante pour signifier les diverses combinaisons de qualités sensibles, qu’on appelle des choses. [...] Si donc vous convenez avec moi que nous mangeons, buvons, les objets immédiats du sens, que nous en sommes vêtus, et que ces objets ne peuvent exister non perçus ou hors de l’esprit, j’accorderai volontiers qu’il est plus convenable ou plus conforme à la coutume de les appeler choses plutôt qu’idées. p. 86.
Nous ne voulons pas que qui que ce soit devienne sceptique, et refuse de croire ses sens ; au contraire, nous leur donnons toute la force et la certitude imaginables et il n’y a pas non plus de principes plus opposés au scepticisme que ceux que nous avons posés [...]. p. 87.
Car, bien que nous soutenions, de fait, que les objets du sens ne sont rien d’autre que des idées qui ne peuvent exister non perçues, toutefois, il ne nous est pas permis d’en conclure qu’elles n’ont d’existence que pendant le temps que nous les percevons, puisqu'il peut y avoir une autre intelligence qui les perçoit alors que nous ne le faisons pas. p. 93.
Quant à ce que les philosophes disent du sujet et du mode, cela semble tout à fait sans fondement et inintelligible. [...] Dire qu’un dé est dur, étendu et carré n’est pas attribuer ces qualités à un sujet qui s'en distingue et les supporte, c’est seulement expliquer le sens du mot dé. p. 93-94.
Il fut un temps où les antipodes et le mouvement de la terre étaient regardés comme de monstrueuses absurdités, même par les hommes instruits ; et si nous considérons la faible proportion des gens instruits au reste l’humanité, nous trouverons qu’à ce jour, ces notions n’ont pris que très faiblement position dans le monde. p. 97.
Il résulte des principes que nous avons posés, que la connaissance humaine se réduit naturellement à deux chapitres : celui des idées et celui des intelligences. p. 117.
Tout ce scepticisme résulte de ce que nous supposons qu’il y a une différence entre les choses et les idées et que les premières subsistent hors de l’esprit ou sans être perçues. p. 119.
Je peux aussi bien douter de mon propre être, que de l’être des choses que je perçois effectivement par le sens : car c’est une contradiction manifeste, qu’un objet sensible soit immédiatement perçu par la vue ou le toucher, et qu’il n’ait, en même temps, aucune existence dans la Nature, puisque l’existence même d’un être non pensant consiste à être perçu. p. 119-120.
Le temps donc, n’étant rien, abstrait de la succession des idées dans notre esprit, il s’ensuit que la durée de toute intelligence finie doit s’estimer par le nombre d'idées ou d’actions qui se succèdent dans cette même intelligence ou cet esprit. [..] Et, en vérité, quiconque entreprendra de séparer dans ses pensées ou d’abstraire l’existence d’une intelligence de sa cogitation trouvera, je crois, que ce n’est pas tâche facile. p. 125-126.
Ce que c’est pour un homme d’être heureux ou pour un objet d’être bon, chacun peut penser qu'il le sait. Mais forger une idée abstraite de bonheur, coupé de tous les plaisirs particuliers, ou de bonté, coupée de toute bonne chose, c’est à quoi peu d'hommes peuvent prétendre. p. 126-127.
Un important motif qui nous pousse à nous déclarer ignorant de la nature des choses, c’est l’opinion courante selon laquelle toute chose enferme en elle-même la cause de ses propriétés ou qu’il y a dans chaque objet une essence interne, qui est la source d’où découlent les qualités discernables et dont elles dépendent. p. 128.
Ôtez donc la puissance de vouloir, de penser, de percevoir les idées, et il ne reste plus rien en quoi l’idée puisse ressembler à une intelligence. Car par le mot intelligence nous entendons seulement ce qui pense, veut et perçoit [...]. p. 156.
[Une] âme ou une intelligence est un être actif dont l’existence consiste, non à être perçu, mais à percevoir des idées et à penser. p. 157.
[Nous] ne voyons pas un homme, si par homme on entend ce qui vit, se meut, perçoit et pense comme nous le faisons, mais [...] nous voyons seulement une certaine collection d’idées, telle qu’elle nous conduit à penser qu’il y a là un principe distinct de la pensée et du mouvement, semblable à nous, qui l’accompagne et qu’elle représente. p. 163.
Nous devons encore considérer que les imperfections mêmes et les défauts de la Nature ne sont pas sans utilité, en ce qu’ils produisent une sorte de variété agréable et augmentent la beauté du reste de la création, comme les ombres dans un tableau servent à mettre en valeur les parties les plus lumineuses et les plus éclairées. p. 166.
Quant au mélange de douleur, ou de peine, qui existe dans le monde, par suite des lois générales de la nature et des actions des intelligences finies et imparfaites, c’est, dans l’état où nous sommes, actuellement, une nécessité indispensable à notre bien-être. p. 167.
Faut-il donc s'étonner si la majeure partie des hommes, toujours occupés à leurs affaires ou à leur plaisir et peu habitués à fixer ou à ouvrir les yeux de l’esprit, n’ont pas, de l’existence de Dieu, la conviction et la certitude d’évidence qu’on pourrait attendre de créatures raisonnables p. 168.
BERKELEY, Principes de la connaissance humaine, Paris, GF Flammarion, 2003.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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