Y a-t-il une pensée sans langage ?

Pour un sujet tel que celui-ci, l’approche classique - et scolaire - consisterait à examiner :

Comme nous ne sommes pas en train de refaire une dissertation de terminale[1], j’ai essayé ici d’apporter un éclairage différent à la réflexion sur cette question. Il consiste essentiellement à « se regarder penser » pour voir comment ça se passe, afin d’en tirer des conclusions, si cela est possible.

 

Plusieurs choses sautent immédiatement aux yeux :

Ensuite, comme souvent lorsqu’on étudie un problème, il faut savoir d’abord de quoi on parle exactement : qu’est ce que la pensée ? Qu’est ce que le langage ? On a l’impression qu’il n’y a pas grand-chose à en dire, tout le monde sait bien de quoi on parle ! Pas besoin de couper les cheveux en quatre ! Et pourtant…

Et pourtant, le moindre début d’analyse entraîne immédiatement des difficultés quasiment insurmontables, que nous pourrions essayer de débroussailler pour commencer la discussion. En voici quelques unes.

Concernant la pensée :

Qu’est ce donc que cette pensée, si évidente, si implicite, et qui nous fuit pourtant et nous échappe dès qu’on veut la cerner ?

On pourrait dire que c’est l’ensemble des phénomènes de la vie consciente, mais cela ne résout pas vraiment le problème, car il nous faudrait alors examiner également ce que c’est que la conscience, ce qui s’avère encore plus difficile…

 

Concernant le langage :

 

En guise de conclusion personnelle : j’ai le sentiment que si je n’avais pas de langue pour m’exprimer, ma pensée serait certainement plus pauvre. Mais serait-elle inexistante ? Que resterait-il ? Cette question est à jamais insoluble, car l’expérimentation en ce domaine est impossible. Claude Hagège, éminent linguiste, se contente de dire que ce qui caractérise la pensée humaine, ce « n’est pas le langage, mais la faculté de langage »[3], indiquant par là que le cerveau de l’homme a, de manière innée, la capacité, la potentialité de créer des langues, diverses, pour exprimer sa pensée.

Enfin, pour nous rapprocher du sujet traité au Café-Philo de Poissy le 11 mars prochain, et bien que ce soit un autre débat, on pourrait orienter la réflexion, en fin de réunion, sur l’utilisation du langage à diverses fins, et en particulier à fins politiques.[4]

Texte proposé par J.J.Vollmer et Elisabeth Touzot

 


[1] Voir par exemple « Le coin philosophique » de Pierre Fauquemberg : http://djaphil.fr/sujets/sujet-peut-on-penser-sans-langage-53

[2] Amusant : sur le site de Pierre Fauquemberg déjà cité, une publicité : « Découvrez le langage silencieux pour séduire un homme »…

[3] Claude Hagège : « L’homme de paroles » 1985 Chapitre 1

[4] Langage et politique, Café-Philo de Poissy http://www.cafe-philo-de-poissy.com/article-langage-et-politique-44807309.html

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Langage et politique

Texte introductif au débat du Café-Philo de Poissy le 11 mars 2010 au restaurant "La Mamma" à 20h30

 

Dans les démocraties occidentales, le discours politique s’est construit tout au long de l’histoire selon les codes de la rhétorique grecque d’abord, puis latine. A travers ce discours, se déploie la parole politique, outil privilégié d’accès au pouvoir. C’est par la parole –mais pas seulement, le langage non-verbal étant d’une très grande importance- que l’homme politique convainc et emporte l’adhésion de ses électeurs. Mais à l’intérieur de ce champ, chaque parti politique construit un discours spécifique basé sur l’idéologie qu’il entend servir. D’où cette fameuse « langue de bois » qui permet d’éluder les questions embarrassantes, de parler pour ne rien dire, ou de flatter à peu de frais le futur électeur. Il existe d’ailleurs un générateur de langue de bois à l’ENA. Cela conduit parfois à des syllogismes ou à l’absurde … Le discours politique s’articule selon quelques grands principes et rares sont les hommes politiques qui y dérogent.

         C’est d’ailleurs une des principales fonctions du langage : argumenter et convaincre. Le langage n’est pas le simple véhicule d’un ensemble d’informations mais un acte de nature « intrinsèquement culturelle et sociale » qui est lié au pouvoir que donne le statut social à celui qui parle.  C’est ainsi que le langage s’inscrit dans des relations sociales permettant au locuteur, c’est-à-dire à celui qui parle, d’avoir, par sa parole, « un certain pouvoir sur ses interlocuteurs ». Celui qui parle y est autorisé, et en prenant la parole, il exerce un certain pouvoir de s’exprimer et de faire entendre ses idées –ce qui n’est pas donné à tout le monde.

La plupart du temps, les élus politiques sont portés par leur parti politique qui les a choisis pour le représenter. Cette parole est alors une parole légitime. Il est intéressant de voir comment les « outsiders » sont vite remis dans le droit chemin par l’ensemble de la classe politique. Ségolène Royal, par exemple, en est un parfait exemple. On ne l’entend presque plus.

Le langage politique, le contenu des discours, véhiculent un certain nombre de « représentations idéologiques » qui s’imposent comme étant « la vérité » ; aussi ces discours ont-ils un certain poids puisqu’ils prétendent assigner à chacun sa place dans la société. Je pense ici aux discours moralisateurs, misogynes ou racistes.

 

         La parole politique se déploie aussi selon certains rituels (débats parlementaires, questions au gouvernement, allocutions ou débats télévisés) qui sont des « formes routinières des actes politiques » qui instaure une sorte de « magie sociale à répétition ». D’autre part, le système de la représentativité lui donne une force particulière puisque cette parole et la mienne sont liées, bien que je n’aperçoive pas toujours comment elles pourraient l’être alors même que je suis en total désaccord avec elle. En effet que vaut pour moi la parole d’un homme politique que je n’ai pas choisi ? Ainsi le langage politique est-il intimement lié à l’exercice du pouvoir d’agir, de réformer et de décider de la vie de millions de gens, dont parfois un peu moins de la moitié ne sont pas d’accord le moins du monde avec les réformes proposées. Mais il est lié à un contrat qui est le contrat démocratique.

Le discours politique semble donc se définir comme un comme un genre spécifique dont la fin est l’action politique, dans lequel s’établissent des relations entre les théories, la théâtralité dans « le dispositif scénique où il prend place » , et la rhétorique axée sur la démonstration et la séduction, voire la manipulation. Ce n’est pas un discours exempt de violence, violence qu’il contient parfois (attaques personnelles, racisme, xénophobie etc) et celle qu’il entend réguler. Ce discours aujourd’hui s’est-il embourbé dans de purs effets de style, s’est-il vidé de tout contenu qui ferait sens pour nous, ne vise-t-il qu’à nous manipuler pour asseoir le pouvoir et la richesse de quelques-uns ? Ou est-il encore susceptible de se renouveler et de nous « embarquer » ?

 

Texte proposé par Annick Rachet

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