Face à l'ambivalent pouvoir conféré par la connaissance, aurons-nous la sagesse de bien l'utiliser?

              Pouvoir de la connaissance ?

 

Les mythes fondateurs sont des récits métaphoriques des origines et d’évènements de portée édifiante. Expression de la culture des peuples ils disent leurs croyances, leurs doutes et leurs craintes. Au-delà de leur qualité stylistique et poétique, c’est leur signification et leur portée symbolique qu’il importe de retrouver, car certains de ces mythes qui viennent de loin, très loin, nous concernent toujours  

 

Le mythe le plus emblématique à notre sens, probablement de porté universelle, n’est-ce celui  « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » de la genèse biblique ? Ce mythe fait référence à évènement majeur d’une portée considérable qui a changé radicalement le rapport des hommes à la nature. Sa thématique est reprise dans d’autres mythologies, les mythes grecs de Pandore et Prométhée par exemple. Ce Mythe évoque d’abord un éden paradisiaque où une humanité insouciante n’a qu’à tendre la main pour cueillir les fruits d’une nature généreuse. Ainsi dans la bible « Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèces, agréables à voir et bons à manger ». Puis dans un second temps, après qu’Adam et Eve eurent cédé à la tentation, la même humanité fut réduite au laborieux travail de la terre « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris.  […]. Ainsi, Dieu les chassa du jardin d'Éden pour qu'ils cultivent la terre d'où ils avaient été tirés ».  Même thématique dans un récit mythique Sumérien antérieur de 2000 ans à la bible, où on retrouve : « Aucune plante des champs défrichés n’était encore sur Terre [...] Et le seigneur Dieu prit « l’Homme » et le plaça dans le jardin de l’Éden pour qu’il le cultive et le soigne. » Dans l’un et l’autre texte, les hommes découvrent l’agriculture.

 

Ce mythe ne serait-il pas d’abord l’expression de la prise de conscience de la singularité humaine au regard des autres espèces, mais aussi celui du regret des temps bienheureux de l’innocence ?  Car c’est bien d’une révolution dont il s’agit, même si ces mythes expriment le regret d’un passé mythifié. D’une révolution qui a marqué la prise de possession de la nature par les hommes, même si elle a pris des siècles en Mésopotamie puis des millénaires pour gagner la planète entière. De la stricte dépendance des hommes par rapport aux ressources aléatoires offertes par leur environnement, les hommes sont devenus producteurs de leurs propres ressources ; c'est-à-dire, qu’ils sont passés du mode de vie de chasseurs-cueilleurs à celui d’agriculteurs. C’est une rupture radicale, sans précédent dans leur mode d’existence. Cette révolution est « La révolution néolithique » qui a d’abord a débuté à Sumer (9000 av. J.-C.) puis indépendamment dans d’autres foyers, Chine, Amériques… pour gagner l’ensemble de la planète, à quelques exceptions près. Sa première conséquence a été un accroissement significatif de la démographie, s’appuyant sur une augmentation et une sécurisation des ressources. Cette révolution a conduit à un soudain emballement de l’histoire avec l’apparition des premières civilisations. D’abord les premiers villages, les premières citées, les premières sociétés, les premiers empires. Agriculture et élevage sont le socle de toutes les civilisations et la condition de leur émergence. Mais, l’agriculture et l’élevage requièrent des connaissances particulières. Pour semer à bon escient il faut connaître les cycles de la nature et établir des calendriers s’appuyant sur des notions d’astronomie, connaître les modes de reproductions, tant des animaux que des végétaux, savoir protéger les récoltes de la vermine et des rongeurs. C’est un processus d’acquisition long et complexe des lois de la nature, de maîtrise progressive des modes de production, de conservation et de stockage. C’est bien à partir de cette mutation majeure dans les modes de subsistance que sont apparues les premières civilisations. L’écrivain et éditeur vaudois Claude Frochaux dans « l’homme seul » soutient cette thèse. Mais quel rapport entre cet événement et « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » ?  Ce mythe questionne sur l’ambivalence de la connaissance en bien et en mal. La connaissance permet les deux, selon l’usage que l’on en fait. Cruelle question d’actualité.

 

 

 

- « La Connaissance du bien » est ce que les civilisations ont de meilleur à offrir : l’organisation, la collaboration et la puissance du travail en commun, la spécialisation des compétences, la solidarité. Mais surtout, l’émergence des civilisations a permis un gigantesque saut des connaissances : un saut inouï des sciences et des techniques, l’écriture, le calcul, la géométrie, l’astronomie, les arts. C’est aussi l’entrée de l’Humanité dans l’ère historique avec l’invention de l’écriture cunéiforme. En un mot, c’est ce que l’on entend par le terme de « progrès ». Progrès auquel contribuent toutes les grandes civilisations, prenant le relais l’une après l’autre, jusqu’aux lumières et les révolutions scientifiques et industrielles : la vapeur, l’électricité, l’atome, l’informatique et la société de la communication et la connaissance.  

 

- « La connaissance du mal » est ce que les civilisations ont de plus détestable à offrir : la guerre, les conquêtes, les subordinations, l’esclavage, le despotisme, les inégalités. L’archéologie fournit des indices sur la dureté des dominations. L’accompagnement des serviteurs du monarque dans sa tombe démontre le peu de valeur de la vie d’autrui. Marx et Engel font de cet événement l’origine de la propriété privée, de l’esclavage et de la lutte des classes sociales dans « L’origine de la famille de la propriété privée et de l’état »

 

Mais ne succombons pas à un Rousseauisme naïf, et le mythe du bon sauvage. Avant la civilisation des liens de subordination existaient très certainement, même s’ils ont laissé peu de traces.  

 

La connaissance, source de puissance :

 

La connaissance des lois qui régissent les systèmes naturels - biologiques, physiques -  de la nature par les hommes, leur permet de les manipuler à leur bénéfice. En premier lieu la maitrise du feu a conféré un avantage considérable aux pré-humains sur les autres espèces. La connaissance des lois de la physique atomique permet de libérer des forces inouïes de réaction en chaîne, forces utilisées aussi bien pour produire de l’électricité qu’à des fins de destruction militaires. Avec l’accroissement des connaissances scientifiques et les progrès techniques en ce début de XXI siècle, l’action des hommes sur la nature est devenue exponentielle, quasiment sans limite. Nous serions entrés dans une nouvelle ère : l’Anthropocène. L’Anthropocène est un terme de chronologie géologique proposé pour caractériser l'époque de l'Histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l'écosystème terrestre. L’humanité sera-t-elle assez sage pour disposer pacifiquement d’un tel pouvoir sur les êtres et les choses ?

 

Les dieux grecs en doutaient quand Prométhée, un titan connu pour avoir créé les hommes et volé le savoir divin « le Feu sacré de l'Olympe », pour l’offrir aux humains. Il sera cruellement condamné par Zeus à être attaché à un rocher pour se faire dévorer le foie par un aigle

 

La connaissance, jalousement gardée.

 

Les savoir-faire étaient parcimonieusement transmis au sein des corporations entre gens de métiers, notamment les architectes et tailleurs de pierres. Plus que jamais, aujourd’hui, la connaissance industrielle et économique revêt une importance stratégique. Elle est protégée par des brevets pour assurer un retour sur investissement de la recherche. La compétition scientifique entre les nations développées est vive et les sanctions sans appel : les décrocheurs encourent le déclassement, la régression économique et sociale.

 

Avec l’irruption de nouveaux acteurs, l’éducation, l’enseignement, la recherche et l’innovation sont désormais devenus stratégiques. Depuis la révolution néolithique l’Humanité s’est engagée dans une course effrénée. Mais vers quel destin ?    

 

 

 

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme (Rabelais)

 

                                                     André Hans  10 Juin 2017

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