Reconnaître lhumanité de lAutre présente un grand intérêt pour cet Autre même, car cela lui garantit légalité de traitement. Après la découverte de lAmérique, 2 théories se sont opposées : pour lune, les Indiens avaient une âme, donc étaient des hommes selon les catégories morales de lépoque, pour lautre, les Indiens navaient pas dâme, donc nétaient pas des hommes. Dans la controverse de Valladollid, le moine B. de Las Casas essaie dargumenter en faveur de lhumanité des indiens contre les représentants du roi dEspagne. Lenjeu est de taille : si les Indiens sont des hommes, on ne peut les mettre en esclavage. Mais les intérêts économiques du royaume dEspagne lemportent Le même débat transposé au début du XX°s. forme le sujet du roman de Vercors, Les Animaux Dénaturés.
Pour reconnaître que celui qui me fait face est un « homme » et non un animal ou un objet, je dois rencontrer son humanité. De nombreux philosophes pensent que certains sentiments archaïques comme la pitié, le respect et lamour participent de cette rencontre.
Pour Descartes, dans le Traité des Passions de lAme, la Pitié est une espèce damour donné à celui « qui souffre du mal duquel nous lestimons indigne ». Nous reconnaissons que lAutre souffre et ne la pas mérité parce que nous avons déjà vécu une expérience de linjustice. Nous nous identifions à lAutre qui lui, est anonyme.
Pour Rousseau, La Pitié peut ainsi devenir de légocentrisme, être une mise à distance de lAutre. Ainsi la pièce dun euro donnée à un SDF permet de soulager sa culpabilité inconsciente dans la comparaison de « lHomme SDF et pitoyable » avec soi-même, de marquer lindignité de celui qui reste malgré tout, un Homme et aussi de justifier sa mise à lécart : on ne le touche pas, on ne fait que déposer furtivement de quoi laider à rester un Homme en vie. Dans ce cas, lHomme-SDF nest quun être abstrait.
Le Respect est le sentiment quen présence dAutrui, mon horizon est limité puisquil voit ce que je vois et quil me voit en train de voir. Selon Sartre dans lEtre et le Néant, « lAutre est indispensable à la connaissance que jai de moi-même », il peut minterdire ou me contraindre. Je suis donc soumis à lAutre. Au contraire, dans lAmour, je ne veux pas être aimé pour ce que je suis, mais pour « qui » je suis. Cest parce qu il est réciproque que lAmour me révèle lhumanité de lAutre.
Mais il y a incommunicabilité des consciences : on ne peut se « communiquer » à lAutre : je suis seul à percevoir, à sentir, à penser ce que je perçois, sens et pense et je ne peux pas ,même si je le voulais, le communiquer à Autrui. Lautre est un alter ego, un autre que moi.
Pour reconnaître lhumanité de lAutre, je dois faire de lAutre mon semblable en évitant de le voir tel que je voudrais quil soit, mais comme il est, dans toute son altérité car cest ainsi que je voudrais quil me reconnaisse. Ce que je désire, « cest le désir du désir de lAutre » (Hegel). Mais comme cest aussi ce que lAutre veut, il y a « une lutte à mort » pour la reconnaissance, à jamais inachevée (« lenfer, cest les autres », Huis Clos, Sartre). Ainsi comme je voudrais que mon fils soit un bon violoncelliste, je lui fais donner des cours et je lui demande de travailler constamment. Mais lui, qui aime le hard rock, ne se sent pas reconnu pour ce quil est, se sent incapable de répondre à mes demandes et en conçoit un fort sentiment dinfériorité tout en luttant pour imposer ses goûts. Les Autres sont toujours les instruments de mon salut et de mon supplice.
Pour reconnaître lhumanité de lAutre, je dois aussi accepter ses différences, son voisinage, sans généraliser, sans lui attribuer des signes distinctifs qui permettraient de le classer, de lobjectiver. Ainsi, des expressions populaires ont été créées à partir de généralisations et se sont ancrées dans la façon dont nous percevons ceux qui en sont lobjet («saoûl comme un Polonais ; fort comme un Turc ; fourbe comme un Chinois ).Il est donc possible de penser à la suite dHegel, « quil ny a donc pas de place pour autrui et pour une pluralité des consciences ». Nous sommes confrontés à un dilemme qui est soit, dêtre objet pour lautre, soit de traiter lautre comme objet.
Pour vivre ensemble, la politesse sait laisser exister lautre par toute une série de rituels (lui dire bonjour, arriver à lheure au café philo ), permet dattendre la réciproque, dexiger que le prochain nempiète pas sur son espace personnel et sache se comporter comme un lointain. Ayant été formés par léducation à la tolérance, valeur universellement reconnue comme bonne, nous ne pouvons attenter à limage de lAutre sans nous sentir coupables, sans nous mettre à lécart de ces autres avec lesquels nous vivons. Pourtant, lintolérance reste aussi naturelle que lagressivité.
Seule la bienveillance réciproque fondée sur la reconnaissance du mérite propre et personnel de chacun, permet de vivre ensemble. Cest lAmitié : « lhomme est lami de lhomme. La société de son semblable lui convient et le charme ». Aristote, Ethique à Nicomaque, IV°s. av.JC.
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