Comment se comporter avec la vérité ?

Pour commencer, décrivons comment notre éducation façonne notre lien à la vérité.

L’école primaire enseigne principalement la lecture, le calcul, l’orthographe : dans ces matières, il y a le vrai, et le faux 2+2=4 c’est vrai, = 5 c’est faux. Le bon élève devient alors un fervent du vrai et peut même arriver à penser que le monde est binaire, vrai ou faux, gentil ou méchant… A la maison, l’enfant est au contact d’un monde plus subtil, où l’affection joue un plus grand rôle (c’est également le cas de la cour d’école).

Au collège puis au lycée, même si l’enseignement de vérités incontestables se poursuit, l’enfant est de plus accompagné dans sa perception de la vie, à travers la littérature principalement, et la philosophie pour la terminale Il apprend que la vie n’est pas seulement binaire, qu’il est possible de préférer par exemple Rabelais à Montaigne, ou le contraire, et à raisonner ses choix personnels.

 Les jeunes adultes, quand ils ont été bien éduqués, ont donc appris des vérités de deux types, que je qualifierai dans la suite d’« incontestables », et  de « personnifiées ».    

Le meilleur exemple de vérités « incontestables » est la vérité scientifique. Elle demande à être établie, ce qui est parfois un processus de longue haleine, incluant des phases de doute, des controverses, pendant lesquelles le seul comportement honnête est de dire « je ne sais pas ». Au bout d’un certain temps, un être raisonnable est capable de distinguer le vrai du faux. Le meilleur exemple actuel est celui du réchauffement climatique. L’alerte a été donnée il y a trente ans par les climatologues, mais il a fallu combattre toutes sortes d’avis négatifs et péremptoires venus de certains philosophes (par exemple Luc Ferry), de scientifiques d’autres spécialités (Allègre, qui parlait de « fausse alerte »), qui n’avaient pas travaillé la question, et de politiques, surtout Etats-uniens, Bill Clinton, Georges W. Bush et Donald Trump. Le débat à ce sujet est maintenant clos, mais il existe encore des partisans de « vérités alternatives » qui voient dans les catastrophes climatiques la main mise des je ne sais quelle puissance, occulte ou non : pour ce qui est des « fake news », ces rumeurs, mensonges volontaires ou non, balancées sur Internet, il faut savoir d’où elles viennent, qui les génère, et à qui cela profite.

_Plus complexes sont les vérités « personnifiées ». Prenons le cas de l’art. La postérité établit petit à petit, statistiquement, des préférences qui favorisent les bons auteurs. Beethoven par exemple est incontournable, mais il est permis de lui préférer Wagner… Les théorèmes sont ici remplacés petit à petit par des choix d’œuvres reconnues qui passent à la postérité. Si vous vous intéressez à l’art en question, il ne vous est pas interdit de rejeter toutes ces œuvres reconnues, il faut savoir que cela vous classe dans une minorité, ce qui n’est pas un drame. Petit à petit, émergent donc des standards, généralement liés à une époque, et acceptés par la majorité,. En musique on parle du « répertoire », ensembles d’œuvres jouées fréquemment. Il y a donc une certaine sorte de vérité en Art, mais elle n’est pas binaire, elle s’établit statistiquement et à posteriori.

Passons maintenant aux religions. Longtemps les chrétiens ont réduit le comportement devant le Mystère de la Création à l’affirmation d’un Dieu Historique, qui serait donc incontestable, ce qui à mon avis, a été la source de l’inquisition et des guerres de religions. Moins longtemps la République (Française) a cru que la Raison et le Progrès remplaceraient la Foi. Citons par exemple Robespierre, Auguste Comte, et plus généralement la gauche de la troisième République. Tout cela n’est plus de mise : les sciences ne détruisent pas les religions, et vice-versa, et cela pour raison simple, selon moi : elles ne procèdent pas de la même logique. Les religions, à mon avis, ne sont ni vraies ni fausses : elles sont plus modestement des voies proposant aux humains une attitude devant le Mystère de leur existence ; elles en déduisent comment se comporter envers les autres humains. Aucune preuve de leur Vérité n’est à rechercher. Et les dogmes qu’elles enseignent ne sont guère que des essais, faits par des dirigeants successifs, pour se représenter le dit Mystère. Par exemple le dogme de la Trinité, représente assez bien, à mon avis ce que pourrait être ce qu’on appelle Dieu ; mais cela ne convient pas aux musulmans, qui y voient une atteinte à Son unicité ; est-il légitime de se combattre pour cela, car nous n’en savons rien ni les uns ni les autres, même si nous sommes sensibles ou non à ces dogmes. La Foi dans ces conditions n’est que l’intérêt (voire la passion, la ferveur) porté à ces questions, ce qui se vit mieux en communauté.

       Propos iconoclastes ? Je ne le pense pas. Depuis une trentaine d’années les dirigeants de « grandes religions » reconnues (chrétiennes, juive, musulmanes, bouddhistes, indouistes, etc…) se réunissent chaque année, à Assise ou ailleurs, pour des prières communes. Or ces réunions ne pourraient pas avoir lieu s’il n’y avait pas le consensus qu’au fond, toutes ces religions ne sont que des réponses humaines au même Mystère, qui, lui, est incontestable.

                                           Benoît Delcourt       Le 1er Octobre 2022

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