Populisme et Démocratie sont-ils conciliables ?

                                                             par Daniel Soulat   17/03/2018

 

I/ Qu’en est-il historiquement : Dans la Grèce antique, Idiotès : est celui qui oublie le bien commun de la cité, l’homme livré au particulier qui n’espère pas l’universel. Avec la modernité, la définition de l’idiotès se transforme radicalement. En l’occurrence, ce n’est pas l’idiotès qui a changé, c’est l’universel auquel il se compare. De cette métamorphose va naître notre « populisme ». Idiot : l’homme restreint dans son intelligence, se comprend bien. Ethymologiquement, le suffixe isme implique une prise de position favorable envers ce qu’induit le substantif latin populus (peuple).

Les Nombreux, il s’agit de désigner, de façon triviale, la masse des habitants de la cité, citoyens ou non. Mais ils ne sont pas la masse des citoyens d’Athènes. Ils se distinguent des quelques-uns supérieurs  en qualité, ils sont attachés à leurs désirs propres, ils manquent de vue d’ensemble pour conceptualiser et vouloir le bien commun. Ils ne s’intéressent qu’à la Particularité, Platon utilise le mot grec idiov (la particularité), et même si on leur présente le logos, le discours Universel, ils ne le voient pas et s’en détournent, ils  sont privés de la raison dont se prévalent les quelques-uns.

Les  Quelques-uns, dans la cité pensent vraiment, et regardent les nombreux, les identifient et les désignent, alors qu’ils se définissent eux-mêmes, s’établit donc ainsi l’élite.

L’Elite déborde de préjugés, autrement dit de jugement avant l’expérience. Dans les anciennes démocraties, déjà l’élite soupçonne et parfois accuse le peuple de manque à l’universel, de trop s’intéresser à ses intérêts, pas au commun. D’une manière générale on oppose les Meilleurs (aristoi) aux nombreux, meilleur signifiant plus intelligents et vertueux. Aristote est le seul penseur grec à ne pas disqualifier les nombreux.

Enracinement : réalité historique, Emancipation : progrès, l’homme détaché de ses racines temporelles, spatiales, et des obligations communautaires. Il se trouve délivré des hiérarchies qui le tenaient dans une orbite étroite, il s’identifie à lui-même, car il peut inventer son propre destin. Les Lumières ont fait de la libération un absolu. Le débat entre émancipation et enracinement devrait demeurer dans une querelle courtoise avec un respect mutuel, mais on constate que c’est de l’ordre émotionnel donc conflictuel.

Liberté démocratique : la multiplicité est une faille que dénonce Platon, car la liberté démocratique permet à tous de s’exprimer, de vivre comme ils l’entendent. Ainsi la société libre sera-t-elle emplie de désirs contradictoires. «La démocratie est une tension, fondée sur des principes qui ne peuvent être réconciliés complètement. Une parfaite liberté et une parfaite égalité ne peuvent tenir ensemble. Elles ne sont pas contradictoires mais tenues par une tension qui permet le pluralisme : une négociation entre droite et gauche, entre prédominance de la liberté ou de l’égalité.»  

La Loi est ce qui rassemble ce qui vaut pour tous, le respect des lois est l’affaire de l’éducation, car l’instinct commande au contraire de se servir soi-même sans autre contrainte.

Populisme la première distinction de ce qui deviendra le populisme repose sur une distinction entre le peuple inculte et l’élite éduquée. Le populisme porte la marque d'une inquiétude et d'une protestation démocratiques contre la trahison, supposée ou réelle, des élites. Le peuple n’a pas toujours le sentiment d’être défendu par la démocratie, pourtant faite pour lui, il a l’impression que l’on se sert de lui pour mieux le trahir, c’est aussi de cette certitude que naît le populisme. « Le trait distinctif des populistes, c'est qu'ils affirment être les seuls à représenter ce qu'ils appellent le véritable peuple. ». Ce qui est problématique, ce n’est pas l’appel au peuple, mais sa «conception du peuple», le risque c’est l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des partis et des personnalités politiques qui s’en prétendent leur porte-parole.

II/ Actuellement, certains disent qu’Il ne s’agit pas d’un courant, mais d’une dimension et d’une pratique de la politique dans les sociétés démocratiques, ou, si l’on préfère, d’une manière qu’on peut dire «radicale» de concevoir la démocratie, qui revient à exiger de prendre à la lettre la définition classique «gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple». Or, qu’en est-il : «Ce peuple ne peut exercer sa souveraineté et son pouvoir que par des représentants qui vont penser, parler et agir en son nom». Entre le principe de la souveraineté populaire et l’Etat de droit, les tensions sont inévitables.

III/ Pour d’autres, sont populistes tous ceux qui sortent des cadres habituels, tous ceux qui rompent avec le « politiquement correct », mais avant tout, est qualifié de populiste, celui qui est partisan du populisme.

IV/ Démagogie. Le candidat populiste est-il celui qui va chercher ses voix dans les milieux populaires, celui dont le projet politique rencontre les exigences du peuple. Mais n’est-ce pas là précisément le but de la démocratie. Le mot démagogue désignait à l’origine le chef du peuple. Toute l’analyse grecque de la démagogie ancêtre de notre populisme, laisse apparaître la différence entre le principe de plaisir et le principe de réalité. Le propre du démagogue est de faire plaisir dans l’instant, tout est facile, il s’agit de proférer l’agréable au détriment du bien, de faire preuve de complaisance.

V/ Eduquer le peuple à sortir de sa particularité, élargir son regard, lui apprendre à bien penser, à débattre à développer l’esprit critique. Eduquer à la citoyenneté ne consiste pas à défendre une idéologie, mais à développer discernement, jugement, responsabilité, éléments qui lui permettront de se forger sa propre opinion sur le destin commun.

VI/ Citoyen : Au XXIe siècle : Le citoyen n’est plus celui qui dépasse son intérêt privé pour se mettre au service de la société à laquelle il appartient, mais celui qui dépasse l’intérêt de sa société pour mettre celle-ci au service du monde. Ainsi, celui qui voudrait protéger sa patrie face aux patries voisines, est devenu un demeuré. Le citoyen contemporain est à la fois individu dont l’intérêt particulier est prépondérant et un citoyen du monde. Il apprend que l’humanisme consiste à préférer  le lointain au prochain, mais il n’apprend pas que le prochain, le seul réel devant nos yeux représente l’exigence première qui permet toutes les autres.

 

VII/  Entendre la plainte des électeurs qualifiés de populistes :

Osons un point de repère, un article de Laurent Fabius, en 1994, alors qu'une nouvelle cohabitation imposait un gouvernement de droite à François Mitterrand. À la suite des élections cantonales, prenant la mesure de l'insatisfaction grandissante du pays devant « les ravages du chômage », « l'usure de l'État providence », le « mal de vivre », « le mal d'espoir » et le « mal gouverner », l'ancien Premier ministre écrivait : « Nos compatriotes, plus que d'autres peuples peut-être, ont par tradition besoin d'un grand dessein ».

Et Emmanuel Macron déclara le 19 mars 2017 : « Si être populiste, c'est parler au peuple de manière compréhensible sans passer par le truchement des appareils, je veux bien être populiste. Mais ne m'appelez pas démagogue, car je ne flatte pas le peuple. »

Lors de son intervention, dans la cour Napoléon du Louvre, au soir de son élection le 7 Mai 2017, le Président Emmanuel Macron s’est ainsi exprimé « j’ai entendu l’expression d’une colère, d’un désarroi, parfois des convictions, et je les respecte », « les fractures sociales et les divisions de notre nation, ont conduit certains à un vote extrême ».

L’importance de se mettre à l’écoute de cette population et de prévenir l’aggravation de ces déséquilibres s’impose (pauvreté, désindustrialisation, désertification rurale, chômage).

Entendre la colère de beaucoup, issue d’une société divisée en trois groupes : un tiers est constitué par les connectés’, ce sont les bénéficiaires de la mondialisation qui vivent dans des centres urbains. Un tiers craint le déclassement, et un tiers vit sans mobilité sociale et dans la précarité ou le chômage, ce sont ces derniers tiers qui sont qualifiés de populistes, et estiment ne pas compter pour le premier tiers.

Ce constat est le même pour grand nombre d’observateurs, mais ils n’ont pas le même sentiment d’urgence et ne partagent pas les mêmes options économiques.

Le risque d’un effet ‘bulle’ que connaissent souvent ceux qui vivent dans la ‘France d’en haut’, dans les métropoles, qu’ils soient élus, intellectuels ou même journalistes, sera d’autant plus important. Ils risquent de ne pas comprendre ce qui se passe dans la ‘France d’en bas’.

 

VIII/ Résumé : Le ‘populisme’ évoque un courant d’opinion(s) fondée(s) sur l’enracinement (la patrie, la famille) et jugeant que l’émancipation (mondialisation, ouverture) est allée trop loin. C’est aussi une exaspération des désespérances. Le populisme est une «fièvre » symptomatique, d'une " maladie" causée par une démocratie qui craque, « puisqu’à l’issue d’un choix binaire : on n’élit plus le meilleur d’entre nous, mais le moins pire».  

 «La connotation péjorative du populisme est une manière euphémisée de remettre au goût du jour la  thèse selon laquelle la rationalité est du côté des élites, et que toute influence du peuple dans la conduite des affaires est irrationnelle», entrevoit le sociologue et politiste Yves Sintomer.

Il est normal qu’une démocratie lutte en permanence contre la démagogie, qui représente depuis l’origine sa tentation, son fléau mortifère. Le mot populisme ne doit pas devenir l’invective dont on se sert pour ignorer les angoisses du peuple, une démocratie, qui lutte par des invectives contre des opinions contraires, montre qu’elle manque à sa vocation de liberté. Le populisme ne serait donc pas synonyme d’extrémité politique, mais d’une manifestation d’impatience envers la politique.

IX/ Conclusion : La mode du populisme est l'expression de la séparation à l'œuvre dans nos démocraties entre les deux natures du peuple, sociale et politique, et du retournement de l'une contre l'autre. Le défi n'est donc pas seulement de prendre en compte la colère, mais de comprendre le motif de la plainte.

Aujourd’hui s’il faut éduquer les milieux populaires à l’ouverture, il faudrait surtout éduquer les élites à l’exigence de limites, au sens de la réalité, à l’écoute et au respect de l’engagement.

L’article 3 de la constitution étant : ‘La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum’, est-ce compatible avec la démocratie définie par ‘le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ? ». La question de savoir comment et dans quelle mesure le « peuple » est associé à son propre gouvernement est évidemment centrale.

Selon Pierre Rosanvallon « l’actualité du populisme, c’est l’actualité d’une fatigue démocratique, qui est moins capable de légitimer les pouvoirs issus des urnes, c’est l’ombre noire des dysfonctionnements démocratiques. Il faut certes critiquer le populisme, mais simultanément réfléchir au développement d’une démocratie post-électorale. 

 

       Les notes prises en cours de séance par Daniel Soulat peuvent être lues dans le commentaire n° 4 .

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