Une étude récente de l’INSEE (« les salaires en France » édition 2006) montre que non seulement les salaires n’ont progressé que de 8% en huit ans, mais qu’en plus les employés et les professions intermédiaires (techniciens, infirmières, instituteurs, contremaîtres, chefs d’équipes etc..) n’ont cessé de s’appauvrir. Plusieurs millions de personnes, au cœur même de la classe moyenne, ont vu leurs fiches de paie régresser, phénomène qui dans le passé n’apparaissait que dans les périodes de récession !
L’excellent ouvrage de Jacques Cotta « 7 millions de travailleurs pauvres » (Fayard, 2006) est à cet égard tout à fait édifiant ! Il y montre en effet comment ces 7 millions de français vivent avec moins de 800 euros par mois. 39% des salariés gagnent moins que 1,3 fois le SMIC ! Selon les dernières statistiques du chômage, plus d’un tiers des postes créés ces derniers mois sont précaires. Aujourd’hui la somme des ouvriers et des employés représente 60% de la classe active et ne gagne pas plus de 15 000 euros net par an en moyenne ! Selon l’Insee, la moitié des salariés embauchés en 2001 à temps complet appartenait à la catégorie des bas salaires contre 41 % en 1992 ! Et pour les moins qualifiés d’entre eux le salaire horaire n’excède pas 10,30 euros brut.
Cette dégradation touche aussi les plus qualifiés, notamment les enseignants/chercheurs et les chercheurs, les jeunes médecins généralistes qui se sont endettés à long terme pour ouvrir un cabinet et qui peinent à trouver une clientèle, les médecins hospitaliers étrangers, les avocats qui n’ont pas décroché une place de salarié dans un grand cabinet et qui vivotent uniquement par le biais de l’aide juridictionnelle d’une indemnité de 300 euros pour permettre aux plus démunis d’être défendus par un avocat commis d’office, etc. La moitié des cadres a perdu du pouvoir d’achat : 12% en moyenne sur 15 ans (voir « Urgence Sociale » de Pierre Larrouturu chez Ramsay, 2006).
Le secteur public ne fait pas exception. « Au cours des années 90, les emplois les moins qualifiés de la Fonction publique ont été de plus en occupés par des personnes très diplômées » souligne l'Insee. Selon le panel « Génération 98 » du Cereq (Centre d'études et recherches sur les qualifications), 64% des jeunes recrutés dans la Fonction publique possèdent des diplômes bien supérieurs à ceux requis pour le concours qu'ils ont passé. Ils gagnent donc moins que ce que leur niveau de qualification pouvait leur laisser espérer.
Les jeunes sont dans ce drame généralisé les plus touchés. A qualification égale, un jeune de moins de 25 ans, reçoit par rapport à un quinquagénaire 17% de moins s’il est ouvrier, 15% de moins s’il est employé et 76% de moins s’il est cadre ! Si on ajoute à cela la dévalorisation économique des diplômes, on mesure mieux l’ampleur de la panne de l’ascenseur social et la façon dont elle bloque aussi les classes moyennes, comme le note le sociologue Louis Chauvel dans son ouvrage « les classes moyennes à la dérive » (le Seuil, 2006). Le problème est moins celui des quinquas et sexagénaires que celui de leurs enfants dont une masse aujourd’hui fait fasse à un véritable déclassement social. Même si les jeunes adultes de 2006 bénéficient en moyenne de deux années d’études en plus, ils sont la première génération qui, en période de paix, peut moins bien faire que ses parents au même âge ! Cette interruption du modèle de mobilité sociale ascendante de génération en génération est le point névralgique de la crise des classes moyennes dont beaucoup seront exclus. Les jeunes générations ont à faire face à une tension nouvelle : chômage, précarisation, déclassement, dépendance à la famille, incapacité à s’assumer. Même si les familles déploient des solutions de solidarité, le résultat collectif est que la méritocratie régresse et que l’effet « fils à papa » s’impose dans de nombreux secteurs d’activités ! C’est ce qui fait dire à Alain Mergier, sociologue, co-auteur de l'ouvrage « Le descenseur social » (Plon, 2006) : « l'ascenseur social fonctionne, et même bien, sauf qu'il descend ».
On assiste à un retour en arrière alors que dans les années 1940, on avait troqué le modèle tayloriste pour le fameux modèle fordiste à la source des "Trente Glorieuses" et reposant sur une amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de travail, on renoue en France, avec le vieux modèle socio-économique archaïque du 19ème siècle fondé sur la flexibilité, la précarité, la peur, la paupérisation. Selon Patrick Artus, économiste bien connu, le capitalisme est en train de s’autodétruire. Quand tout ce qui va au salaire diminue et que les bénéfices explosent, alors la bulle explose et la cohésion sociale avec elle !
C’est pourquoi l’un des 4 axes politiques majeurs de la campagne de Ségolène Royal concerne le pouvoir d’achat et la valeur du travail.
Que proposent notre gouvernement pendant ce temps ? La soit disant baisse des impôts ? Pour un revenu moyen de 17 000 euros par an, la baisse de l’impôt représente seulement 247 euros par an. Pendant ce temps, cette année 190 milliards d’euros vont aller aux bénéfices des grands groupes alors qu’ils seraient allés aux salaires en 1982. Les bénéfices explosent au Cac 40.
Quant au texte récent discuté à l’assemblé nationale et présenté par Thierry Breton il contient un amendement présenté par Edouard Balladur se contentant d’obliger les dirigeants d’entreprises à conserver tout ou partie leurs options d’achat jusqu’à la fin de leur mandat sans limiter les rémunérations exorbitantes des grands patrons !
Nicolas Sarkozy, propose de favoriser les heures supplémentaires qui seraient totalement exonérées d’impôts et de charges sociales. Cela revient à alourdir la prise en charge par les finances publiques et donc par les contribuables d’aujourd’hui et de demain (par la dette) la politique salariale des entreprises (sa proposition coûterait au minimum 4,6 milliards d’euros selon l’Institut de l’entreprise).
Il faut alors rechercher, pour offrir des remèdes, ce qui peut bien expliquer les raisons pour laquelle la France qui revendique le sixième rang des puissances économiques mondiales, rétribue aussi mal ses salariés. Il s’agit aussi d’un pays où les revenus que se distribuent les grands patrons équivalent à 400, 600 ou 800 fois le SMIC et où les actionnaires (environ 5 millions de personnes) ont reçu des dividendes en augmentation de 52% entre 1994 et 2004. La réponse est connue et est partagée par la plupart des économistes, c’est celle fort bien exprimée par Xavier Timbeau de l’OFCE « depuis 10 ans, le revenu par tête n’a pratiquement pas augmenté. C’est la conséquence d’un manque criant d’investissement public et privé. ». On pourrait préciser d’un manque d’investissement public et privé notamment en matière de formation et de R&D qui est à la source de l’innovation et donc de la croissance et donc de la production de richesse. Et pourquoi ce manque d’investissement ? Essentiellement parce que tout est fait pour favoriser l’utilisation des bénéfices des grands groupes, privés et publics, pour la spéculation au détriment de l’investissement productif.
C’est pourquoi l’augmentation du SMIC ne peut pas non plus être le seul instrument de rééquilibrage des salaires, il faut aussi massivement investir dans l’éducation, la professionnalisation, la recherche et le développement ! C’est ce que font aujourd’hui tous les pays à fort taux de croissance économique avec une politique salariale juste… et c’est bien ce que propose Ségolène Royal et que je partage totalement.