L'augmentation du temps de loisir modifie-t-elle la notion de travail ?

Qu’est ce que le travail ? Il désigne l'effort physique ou intellectuel qui doit être accompli pour faire quelque chose ou obtenir un résultat recherché. Du point de vue économique, il est synonyme d’emploi. Du point de vue sociologique, le travail est l'ensemble des activités humaines répétitives, parfois pénibles, non gratifiantes, ensemble des taches ou des règles  obligatoires. Ex: le travail en usine, les travaux agricoles....

 

Les loisirs ? Je les définirais comme étant des activités non-contraintes que l’on peut pratiquer aux heures libres; des activités que l’on veut faire, et qui apportent un sentiment de satisfaction et/ou de contentement; des activités qui se réalisent par l’entremise de nos habiletés et ressources personnelles.

 

LOISIRS

 

Ce temps libre est généralement consacré à des activités essentiellement non productives d’un point de vue économique, voire ludiques ou culturelles : bricolage, jardinage, sports, divertissements... ce qui a entraîné un glissement sémantique vers ce dernier terme, à tel point qu’il s’est créé une distinction entre le sport et les loisirs.

 

Les deux sphères d’activités sont distinctes, même si elles sont parfois interdépendantes. Mieux, loisir et travail sont mêmes considérés comme diamétralement opposés, et inconciliables. Ainsi, il est inimaginable de jouer pendant le travail et le travail doit être absent de nos loisirs.

 

Ces loisirs se subdivisent en plusieurs catégories, selon leur "sérieux" ou leur sens; suivant qu'ils correspondent à une passion ou qu'ils aboutissent à un emploi ou un changement de carrière :

 

• Loisirs type sérieux : activité amateur, passe-temps ou bénévolat fait avec passion (requérant pourtant des compétences professionnelles !). Cela peut devenir une activité habituelle (le café débat ou natation). Par l’apprentissage, l’acquisition de connaissances et d’expériences satisfaisantes, on peut être conduit à une carrière ou à une seconde activité, rémunératrice ou non. (champion de natation, arbitre de judo ou le travail effectué par nos amis du Ressy)

 

• Loisirs "frivoles" : ces activités, relativement courtes, agréables et intéressantes ne demandent pas de formation(s)  particulière(s). On les effectue par gout, par curiosité, comme le théâtre, le cinéma, la lecture… ou encore le farniente, crise de paresse, repos vide de toute action…

 

• Loisir à base de projet : engagement créatif, parfois compliqué ou complexe, unique ou occasionnel, qui est effectué aux heures libres ou lors de périodes sans obligations désagréables.

 

• Une autre forme de loisir, et non pas un allongement du temps de travail : la passion du métier. Ainsi en est-il du médecin qui bénévolement donnera quelques heures de son temps pour soigner les plus démunis, le cuisinier qui passe ses repos dans sa cuisine, ou qui ne quitte jamais son lieu de travail car il s'y sent presque plus chez lui qu’ailleurs … ces exemples suggèrent que, pour ces gens, certaines activités principales reliées au travail sont si attrayantes qu’ils les poursuivent en dehors de leurs emplois rémunérés.

 

Encore un exemple ? Une activité si prenante, si riche et complexe que le travailleur passe tout ou partie de ses loisirs à y réfléchir. Comme le scientifique confronté à une énigme, un mathématicien à la recherche d’une formule…

 

TRAVAIL

 

Le sentiment de travailler dans l'épanouissement vient avec la garantie d'un emploi gratifiant, où l’effort accompli aboutit à une "œuvre". Donc quand nous avons le sentiment d'avoir participé à la bonne marche des choses (de l'entreprise, de la société...). Une action qui sera riche de sens pour nous comme pour notre entourage.

 

Mais cela suffit-il pour nous dire ce qu’est le travail de nos jours ? Exemple : pour déprécier le travail et le vider de sa substance, donnez-donc à un travailleur, un commercial, un employé lambda une tâche mécanique et sans intérêt pour son activité habituelle. Il la fera sans plaisir non? Si en plus vous lui donnez le sentiment permanent que le produit de ce travail n’a pas vraiment de sens et que vous allez jusqu'à lui dire que, de toute façon son travail est inutile = vous le privez de la dimension de l’œuvre ! Ce qui serait à la limite du sadisme. Je suppose que, dans notre sacro sainte société de consommation, nous ne pouvons pas agir ainsi... 

 

Le problème, c’est que j'ai le sentiment que, pour certains, nous en sommes là. Pas seulement parce qu’il y a des centaines de millions de personnes dans le monde qui travaillent sur des chaînes de productions, sous les ordres de "petits chefs". Ou parce que l’encadrement humain dans l'entreprise est soumis et soumet à une telle pression la masse salariale que seul compte la productivité et le rendement. Pas plus parce que le « marché de l’emploi » se réduit comme une peau de chagrin et que tous, jeunes comme moins jeunes, pensent qu'il vaut mille fois mieux un emploi sans intérêt et sans avenir que le spectre sombre du chômage et de la désocialisation dans le but d'avoir un revenu aussi modeste soit-il. Mais de manière plus fondamentale à mes yeux, parce que nous vivons dans une société qui a entrepris de désinvestir peu à peu la valeur du travail, pour investir massivement la "valeur" du loisir.

 

Et je m'interroge. La crise du travail serait-elle une crise spirituelle ? Quelle valeur donne-t-on alors, dans cette société dite moderne, au travail et à ceux qui l'accomplissent. Quel sens donner à l'un ou à l'autre, dès lors qu'ils sont dissociés, qu'on dévalorise la notion de travail et qu'on encense la société de loisirs ?

 

Les communautés primitives reposaient sur le potentiel de leurs membres pour réaliser des tâches ponctuelles (chasse, pèche...). La spécialisation y était faible et, par conséquent, la division du travail quasi inexistante. Le critère d’appartenance tribale y était d’ordre territorial. Chaque tache était valorisée. La stratification sociale vient de l'élection de chefs, porteurs du pouvoir, défenseurs de la communauté, ou la nomination de prêtres, gardiens de la culture et du savoir. Sous leur protection, les paysans, y accomplissent un travail valorisé, car de lui dépend la survie de la communauté, etc.

Je vous fais grâce de la complexification et de l'évolution de la société. Avec le développement des techniques, de la mise en place évidente des clivages de la société et l'augmentation de la population, le travail change, prend ou perd son sens pendant que le loisir est mis en avant.

 

Au 19ème siècle, on pouvait écrire "le travail fut sa vie" sur sa tombe, en une époque ou tous les régimes et religion encensaient les bienfaits du travail. De nos jours on pourrait voir adopter les devises : "la vie commence après le travail", ou « L’évangile du travail a été détrôné par la valorisation sociale du bien-être, des loisirs et du temps libre».

 

Concernant leur avenir, quelle question se pose alors la majorité des lycéens d’aujourd’hui ? La question ne semble plus être (question que j'aurai pu me poser en son temps) : « comment parvenir à trouver ma voie vers une profession qui soit tout à la fois utile et m’apporte de vraie satisfaction ? »  mais plutôt celle que pourrait se poser nos enfants de nos jours : « vers quoi se diriger pour gagner le plus possible et en profiter pour mener une vie confortable ?». Ou encore : « comment peut-on se débrouiller pour profiter de tous les avantages de la consommation… sans avoir besoin de travailler pour ça ? ».  L’implicite est : "le travail, c’est seulement un moyen pour avoir de l’argent et l’argent est le moyen de satisfaire aux besoins de la vie et de se donner des loisirs".

 

Donc, s’il faut  travailler pour avoir de l’argent, passe encore, cela donne au travail une certaine justification, mais quant à lui donner une valeur en soi, c’est tout à fait autre chose. Le résultat ? Ceux qui sont conditionnés par avance dans un monde du travail dévalorisé iront peut-être faire des petits boulots ingrats, ennuyeux, sans intérêt, sans trop se plaindre ou pas. Ils rêveront de devenir le nouveau people à la mode, sortant d'un jeu télé, vedette d'un jour à la télé ou sur internet, dupe ou non de la société de consommation.

 

S’il faut une vertu de patience, ce n’est donc pas pour travailler - puisque "la vrai vie est ailleurs" et non pas dans le travail, puisque le travail, c’est pour attendre que la journée soit finie ! Et on tente d'oublier que ce loisir chèrement payé est un peu bref, quand on travaille onze mois sur douze ! Ce sont des heures par jour et des années de vie... Ne serait-il quand même pas souhaitable que le travail soit un "lieu de joie" ou tout au moins de satisfaction plutôt qu'une enceinte de labeur pénible.

 

Il faudrait alors se faire une religion du loisir, pour croire y trouver le salut ! Croire en cette industrie du loisir qui nous vend massivement de l'illusion sous forme de leurre, mais qui substitue la satisfaction d'un loisir à celle d'un travail bien accompli.

 

Pour ma part, il me semble important que toutes les facultés intellectuelles de chacun soient mobilisées : sens de l'observation, mémoire, intelligence, imagination. C'est la première condition pour que le travail de l'homme ait un sens et soit fécond dans la durée. Et utiliser ces mêmes facultés pour les loisirs aideraient alors à améliorer son travail, et contribueraient à notre évolution personnelle, permettant de concilier épanouissement personnel et performance.   

 

Tout comme le "travail sans loisir", le "loisir sans travail" n'a pas de sens. Trouver cet équilibre me parait primordial, et repenser son fonctionnement individuel peut s'avérer nécessaire. L'augmentation des temps de loisirs ne doit pas forcément être une source sans fin, où l'on finit par perdre le gout du plaisir qu'il procure. Repenser la valeur de son travail, accepter de sauter le pas et faire évoluer dans sa carrière est aussi un challenge intéressant, qui peut conduire à l'épanouissement et à son équilibre personnel. Le travail a encore de beaux jours devant lui… non ?

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