« Rire souvent et beaucoup ; gagner le respect des gens intelligents et l’affection des enfants ; savoir qu’un être a respiré plus aisément parce que vous avez vécu : c’est cela réussir sa vie »
Emerson (philosophe et poète, 1803 – 1882).
Le rire est un sujet sérieux et un objet d’étude scientifique. Ainsi, une association (CORHUM) a été créée en 1987 regroupant des chercheurs étudiant le rire dans ses aspects littéraires, linguistiques, historiques, sociologiques, anthropologiques et psychologiques. Par ailleurs, la médecine (neurologues, psychiatres) s’est penchée sur les bienfaits du rire sur la santé. La littérature est donc abondante sur le thème du rire. Néanmoins, nous assistons depuis une dizaine d’années à un regain d’intérêt au phénomène du « rire » de la part d’acteurs et praticiens d’horizons divers (psychanalystes, psychothérapeutes, professions paramédicales, gestionnaires, coachs en communication et développement personnel). Des écoles de rire et des parcours de formation aux métiers du rire ont vu le jour depuis le début des années 2000. Il s’agit d’un nouveau phénomène socioculturel intéressant à analyser. Dans ce cadre, nous nous interrogeons : pourquoi ce regain d’intérêt au « rire » qui est pourtant le propre de l’Homme ? Est-ce que l’humain redécouvre le rire ?
Tout d’abord, qu’est-ce que le rire ? Selon le dictionnaire Larousse, le rire est « une manifestation d’une gaieté soudaine par l'expression du visage et par certains mouvements de la bouche et des muscles faciaux, accompagnés d'expirations plus ou moins saccadées et bruyantes ». De manière générale, les définitions mettent l’accent sur le fait qu’il s’agit « d’une expression faciale traduisant un sentiment de gaieté et comportant deux aspects (visuel et sonore) » (Smadja, p9). Nous adhérons au point de vue d’Eric Smadja (2007) pour qui : « tout comportement humain, mimiques faciales ou autres « techniques corporelles » doivent faire l’objet d’une approche globale, pluridisciplinaire comportant les aspects biologique, psychologique et socioculturel » (p5). Dans le cadre de notre questionnement, nous appréhendons le rire en tant que « valeur thérapeutique et hygiénique ».
Quel a été le regard porté sur le « rire » par les sociétés à travers l’histoire ? La perception a-t-elle évolué ? Que nous apprennent les philosophes et historiens ? Dans un « Que-Sais-Je » consacré au thème du rire (2007), Éric Smadja (psychiatre et psychanalyste) relate l’évolution la perception du rire depuis l’Antiquité. L’auteur précise : « à cette époque (celle des auteurs de l’antiquité : Platon et Aristote), le rire est considéré comme une des « grimaces de la laideur ». Le rire est laid, obscène, troublant les convenances sociales. Il fait échec à l’idéal de maîtrise de soi que l’homme de la cité devait faire preuve » (p13). Cette perception négative se poursuit au Moyen Age. Il faut attendre la Renaissance pour que le rire soit « anobli, revalorisé et positivé » (Smadja, 2007, p21). Désormais, le rire exprime la joie de vivre.
Et qu’en est-il aujourd’hui ? La perception du rire est favorable et nous pouvons même avancer qu’il y a une forme d’instrumentalisation du rire dans le domaine de la communication. En effet, l’art de la rhétorique pour les « grands » conférenciers ou orateurs consiste à élaborer des discours parsemés de blagues soigneusement choisies afin de « faire pétiller les interventions » (Aguilar, 2003). Dans un autre domaine, le rire est fortement recommandé : la séduction ! Nicolas Guégen (2010), enseignant – chercheur en psychologie sociale, a réalisé des expérimentations confirmant l’importance du rire comme moyen de séduction.
Quels sont les nouveaux métiers du rire ? Mis à part le business du « rire » (festivals du rire, one man show, films comiques, médias dédiés au rire) qui représente une activité très lucrative, des métiers sont apparus autour du rire : animateur certifié de club de rire, rigologue expert. Nous vivons une époque qui privilégie la rationalité de l’expertise et de la compétence certifiée. Autrement dit, pour qu’une profession ou pratique soit prise au sérieux, il est important de recourir à des dénominations ou titres pompeux. Notons également que ces techniques de développement personnel et de bien-être sont de plus en plus affinées : sophrologie ludique, méditation du rire, rigologie, yoga du rire. Le point de départ de ces techniques se trouve dans une méthode proposée en 1995 par un médecin généraliste, le docteur Kataria qui considère le rire comme une forme de gymnastique comportant des exercices à effectuer pour garantir une certaine hygiène de vie. La posture du Dr Kataria peut se résumer comme suit : « On ne rit pas parce qu’on est heureux mais on est heureux parce qu’on rit ». Il existe plus de 6 000 clubs de rire dans 60 pays à travers le monde (Source : http://www.laughteryoga.org). Quelle est la dynamique qui s’y produit ? En fait, il s’agit d’exercices d’auto stimulation déclenchant le rire dans un cadre collectif favorisant un échange ludique.
Les professionnels intéressés par ces techniques sont issus essentiellement des domaines suivants : le social, l’enseignement, l’entreprise et la santé. En effet, il existe de nos jours un large consensus sur les bienfaits du rire sur la santé au regard des résultats des nombreuses recherches menées dans le domaine médical. Le docteur Henri Rubinstein (2003), neurologue, distingue trois principaux axes des manifestions physiques du rire : (1) l’axe musculaire puisque le rire fait travailler tous les muscles depuis ceux du visage jusqu’à la musculature abdominale ; (2) l’axe respiratoire dans la mesure où le rire favorise les échanges respiratoires ; (3) et l’axe neuro-hormonal où les fonctions impliquées sont relatives à la perception de la douleur, la mémoire et l’apprentissage.
Dans le cadre de ce café-débat, je vous propose d’échanger autour de ce phénomène socioculturel à savoir l’émergence de ces structures et nouveaux métiers dédiés au rire. Selon vous, a-t-on besoin de clubs de rire ? Dans quels espaces « s’exerçait » le rire autrefois ? Que pensez-vous de cette idée de « rire provoqué ou forcé » afin de stimuler le rire ? Etes-vous favorables ou plutôt réticents à l’idée d’aller rire dans un club de rire ? Peut-on donner une explication au fait que l’idée de création des clubs de rire vienne d’Inde ? Y a-t-il des facteurs culturels favorisant l’adoption de ce genre de méthodes ? Par ailleurs, de notre observation en clubs de rire, nous avons dégagé un constat : la majorité des participants est composée de femmes d’une part et émane essentiellement des secteurs médicaux et socio-éducatifs d’autre part. Pourquoi y a-t-il plus de femmes que d’hommes lors des séances de rire ? Quelle est la place du rire dans votre vie de couple, familiale, amicale ? Est-ce que vous y portez une attention particulière ?
Débat introduit par Nadia Tebourbi
E-mail : nadia_tebourbi@yahoo.com
La présentation du café-débat sur TV FIL 78 :
http://www.tvfil78.com/tv/videos/le-78-les-bienfaits-du-rire-au-quotidien/
revenir au blog et voir les commentaires.
Bibliographie :
Aguilar M., 2003, Speech Tonic : 170 histoires drôles pour faire pétiller vos interventions, Paris, Organisation.
Guéguen N. (2010), Au bonheur d’en rire, Revue : Cerveau & Psycho, n°41, Septembre – Octobre, pp26-29.
Rubinstein H. (2003) Psychosomatique du rire. Rire pour guérir, Paris : Robert Laffont.
Smadja E. (2007) Le rire, Paris : Presses universitaires de France, Que sais-je ? N° 2766.
« Besoin de rire ! », Le Monde Dossiers et Documents, 409, Juin 2011.
CORHUM : Association pour le développement des recherches sur le Comique, le Rire et l'Humour (http://www.humoresques.fr )
Suggestions de lecture :
Arnould, D. (1990) Le rire et les larmes dans la littérature grecque d'Homère à Platon, Paris : les Belles lettres.
Bergson, H. (1981) Le Rire : essai sur la signification du comique, Paris : PUF
Chatenet, A. c. du Guillot (2009) Goscinny : faire rire, quel métier !, Paris : Gallimard.
Dagen, J., A.S. Barrovecchio (2010), Le rire ou le modèle ? : le dilemme du moraliste, Paris : H.Champion
Jouanna, D. (1998) Le rire chez les grecs, Paris : Ellipses.
Ménager, D. (1995) La Renaissance et le rire, Paris : Presses universitaires de France.
Poirot-Delpech, B. P. Debailly, P. Robrieux, J. J. Van Den Heuvel, Le rire de Voltaire, Paris : Éd. du Félin.
Pouilloux, J. Y. (1993) Rabelais : rire est le propre de l'homme, Paris : Gallimard.
Raquin B. (2008) Rire pour vivre : Les bienfaits de l'humour et du rire ! , Paris : Editions Dangles.