Faut-il oser prendre une décision qui dérange ?

A- Cas qui ne dérange pas à priori: Quatre adultes, un couple marié et les parents de la femme, sont assis sous un porche dans une chaleur abrutissante dans la petite ville de Coleman, au Texas, à environ 53 miles d'Abilene. Ils sirotent tristement de la citronnade, observant le ventilateur souffreteux et entamant de temps à autre une partie de domino. À un moment, le père de l’épouse suggère de se rendre ensemble à Abilene pour se restaurer dans une cafétéria. Le gendre pense que c'est une idée folle mais n’ose pas contrarier sa femme qui voit si peu ses parents. Les deux femmes ne semblent pas opposées à cette idée, et voilà tout ce petit monde qui se met en route entassé dans une Buick sans air climatisé, soulevant sur le chemin des nuages de poussière. À Abilene, ils mangent un déjeuner médiocre dans un endroit glauque et reviennent à Coleman épuisés, suants, et peu satisfaits du périple. C’est une fois de retour à la maison qu’ils se rendent compte qu'aucun d'eux n'avait vraiment voulu aller à Abilene. Le beau-père l’avait proposé et les autres l’avaient accepté juste parce que chacun avait pensé intérieurement, sans le vérifier, que les autres étaient désireux d'y aller.

Ceci illustre la difficulté d’un groupe non structuré à prendre une décision et à gérer collectivement son accord. Dans cette fable moderne, aucun des quatre membres du groupe ne souhaitait se rendre à Abilene, mais par crainte d'offenser et de se contredire mutuellement, ils y finissent tous !

 

B- Oser décider : Décider, c’est assumer ses responsabilités, c’est assurer une certaine efficacité. Il ne s’agit pas d’isoler l’acte de décider de toute réalité concrète, humaine. Décider, c’est déjà agir en conscience, c'est-à-dire savoir concrètement que notre action a un impact pour nous, comme pour les autres. A trop vouloir programmer, poussé par la société à s’assurer de tout, il devient plus difficile de se risquer. Le passage du désir à la réalité est de l’ordre d’un risque.

L’incertitude ambiante, caractéristique d’un environnement complexe et chaotique, limite la perception de signaux clairs et nets. D’autre part, la rapidité du changement ne laisse que peu de temps aux délibérations et ne permet pas d’envisager toutes les éventualités. Il faut agir vite, les opportunités n’attendent pas. C’est en cela que la prise de décision est surtout une prise de risque.

Il faut de l’audace et du courage. Décider se révèle être la capacité de l’homme à prendre des risques dans un choix conscient.


C- Quatre types d’environnements décisionnels :

1- Simple : contexte simple, changement prévisible ;

2- Compliqué : relations causes à effets peu perceptibles ;

3- Complexe : interconnexions multiples, pas de solution unique ;

4- Chaotique : incertitudes, changement rapide, instabilité.


D- Objectif et décision, la course poursuite : L’objectif est statique, alors que la vie est mouvement, il marque un coup d’arrêt dans le temps qui ne respecte pas la continuité de la vie. Ce n’est donc pas l’objectif qui est intéressant, puisqu’il n’est qu’une étape, mais bel et bien le mouvement des objectifs successifs autrement dit les étapes.

La difficulté est donc une course poursuite, l’objectif initial nécessite parfois des recadrages.

Une décision qui dérange ? Si on se réfère à l'étymologie ce serait presque un pléonasme. Décision vient du latin decisio (« action de (re)trancher », « décision, accord amiable, arrangement, solution »), dérivé de decido, decidere (« couper, retrancher, ôter »), composé du préfixe de- et de caedo (« couper », « frapper », « tuer »). Cela fait mal ... ça dérange donc. Mais ça dérange celui ou ceux qui sont l'objet de la décision, ceux qui la subissent, l'employé licencié par exemple qui subit la décision de l'employeur qui prend la décision de le licencier. Mais par contre la question d'oser prendre la décision, c'est à dire la question d'avoir le courage de trancher, et donc de déranger les autres, se pose quand à elle pour celui qui prend la décision. Et c'est bien du point de vue de ce rôle d'acteur de la décision que la question posée nous invite à débattre.

Dès lors pourquoi faudrait-il avoir du courage pour prendre une décision qui dérange ... les autres ? Le courage étant la vertu par laquelle nous affrontons le risque ou le danger, en quoi celui-ci est-il nécessaire dès lors que notre décision s'applique et donc dérange les autres et non nous-mêmes ?

Où est alors le risque pour nous, où est le danger que nous devons affronter ? Ce risque, semble t-il, vient des autres et de leur réaction suite au dérangement occasionné par notre décision, dérangement que les autres nous imputent comme conséquence de notre décision. Et c'est dès lors cette imputation qui est pour nous le danger que nous devons affronter. Entendre l'autre nous dire « ta décision me fait mal » peut être pour nous une souffrance morale et c'est donc le risque d'une telle souffrance que nous devons affronter lors de la prise de décision. C'est donc pour cela qu'il nous faut du courage, qu'il nous faut oser prendre une décision qui dérange.

Mais nous voyons dès lors que nous aurons à affronter ce risque seulement si la réaction de l'autre qui nous dit « ta décision me fait mal » est pour nous une souffrance, ou du moins un problème moral à affronter. Si, en effet nous ne nous soucions pas des réactions des autres suite aux conséquences de nos décisions, alors il n'est nul besoin d'avoir du courage pour prendre lesdites décisions. C'est notre préoccupation morale par rapport aux réactions des autres à notre égard, suite aux conséquences de nos décisions, qui nous oblige au courage. C'est le souci de l'autre qui nous amène à considérer, lorsque l'on prend une décision, le mal que celle-ci peut provoquer chez l'autre. C'est pour faire face à notre responsabilité dans le mal que nous faisons à l'autre que nous avons besoin de courage. C'est parce que nous sommes dérangés par le dérangement des autres suite à notre décision qu'il nous faut du courage pour prendre cette décision. Mais ne confondons pas le dérangement des autres et notre propre dérangement. En effet, alors que le dérangement des autres suite à notre décision correspond à un fait objectif, à un changement dans ses habitudes, à une rupture dans sa vie, à des risques et à des souffrances supplémentaires pour lui, le dérangement que l'on peut avoir suite à cette imputation de l'autre est quant à lui d'ordre purement moral, il dépend de la valeur que l'on attribue à l'autre.

Un décideur n'a pas d'état d'âme dit-on ! Ce qui ne veut pas dire qu'il ne prend pas en compte les réactions possibles des autres face à ses propres décisions, mais il les intègre comme un élément objectif dans sa prise de décision , la considération morale passant après pour certains.

Entre la position du décideur d'une part, qui avance sans se retourner, sans « état d'âme » ni « cas de conscience », sans souci des autres, et donc sans morale, et d'autre part la position de celui qui n'ose jamais prendre de décisions dès lors que celles-ci peuvent déranger les autres quel équilibre faut-il trouver ?

Cet équilibre il faut sans doute aller le chercher entre, d'une part l'éthique de conviction qui nous pousse à agir et donc d'abord à décider en fonction de la valeur morale intrinsèque de nos décisions, et d'autre part, l'éthique de responsabilité qui nous pousse à mesurer et à prendre en compte les conséquences possibles de nos décisions. Nous pouvons ainsi être amené à prendre des décisions qui font mal à ceux à qui elles sont destinées, mais dont l'action à plus long terme serait plus positive que celle qui résulterait d'une non décision. Cela conduit à l’ambivalence suivante :

 Vaut-il mieux avoir tort avec tous les autres, qu’avoir raison tout seul ?



Conclusion : Le courage de prendre des décisions qui dérangent est donc toujours nécessaire .... Il nous faudra toujours avoir à oser pour prendre une décision, oser affronter la réprobation morale de l'autre !

Remarque : Le management est l’art de prendre des décisions à partir d’informations insuffisantes, instables ou biaisées.

Citation : « J’ai entendu vos points de vue. Ils ne rencontrent pas les miens. La décision est prise à l’unanimité. » (Charles de Gaulle)

Daniel SOULAT

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Bibliographie :

Oser décider, Marie Luce Brun, les éditions de l’atelier

Quel est le processus de décision, Alain Fernandez

Oser la confiance, V.Lenhart, B.Martin, B.Jarrosson Insep Editions

Café débat la Bastille Paris