Après Fukushima, faut-il sortir du nucléaire ?

Le développement du nucléaire civil pour la production d’électricité a suscité, presque dès le départ, un débat qui n’a jamais été serein. En effet, après un démarrage dans les années 50 où l’énergie nucléaire faisait consensus et semblait recéler la promesse d’un avenir énergétique sans souci pour des siècles,  le lancement de programmes importants de construction de centrales aux USA, puis dans la plupart des pays riches, France et Japon en tête, a fait naître un mouvement de contestation à l’égard du nucléaire, qui s’est peu à peu radicalisé au point d’aboutir à une véritable guerre de religion entre les tenants de cette énergie (le « lobby » nucléaire) et ses opposants.


Alors, qu’en est-il vraiment aujourd’hui, après trois accidents majeurs en 30 ans, Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima ? Peut-on toujours prétendre d’un côté que les risques sont de mieux en mieux maîtrisés et acceptables, et de l’autre que cela prouve bien que le nucléaire recèle tellement de dangers majeurs qu’il faut en sortir au plus vite ?


En fait, si on commence à regarder les choses sous un angle trop technique, on ne peut s’en sortir de manière rationnelle et objective. Il y aura toujours les experts « pour » qui contrediront les experts « contre », chacun avec des arguments réputés imparables. Et comme la question de la disponibilité de l’énergie, et singulièrement de l’électricité va se poser à moyen terme à la planète, c’est aux citoyens de décider de ce qu’ils veulent, et à nulle autre instance. On est alors confrontés à un énorme problème de prise de décision : comment le citoyen moyen, qui ne connaît rien aux techniques de production d’électricité, et encore moins de production nucléaire d’électricité, peut-il se forger un avis aussi objectif que possible sur une telle question,  et comment peut-il donner cet avis et à qui afin qu’une « bonne » décision soit prise? Il doit s’informer, certes, mais auprès de qui ?  Les instances officielles sont soupçonnées d'être à  la solde du « lobby », et ont de fait une certaine tendance à minimiser les risques. Les anti-nucléaires, de leur côté, sont encore moins objectifs, mélangeant vrais arguments et mauvaise foi dans un catastrophisme militant.


Certains diront que cette question est insoluble, et qu’il faut bien prendre une décision. La laissera t-on aux experts de la « techno-structure » d’Etat, ceux qui disent qu’ils savent ? Ou bien doit-on croire sur parole ceux qui nous prédisent les pires catastrophes au travers d’instances autoproclamées « indépendantes », si on ne s’arrête pas au plus vite ?


Il n’y a pas de réponse évidente à cela. Tout au plus peut-on lancer quelques pistes de réflexion en essayant de se cantonner  à ce qui est de bon sens et compréhensible par tous.


Les dangers du nucléaire


Pourquoi le nucléaire fait-il aussi peur ? Qu’est ce qui différencie autant une centrale nucléaire d’une centrale à charbon ? Il y a à cela des raisons objectives, et d’autres purement psychologiques, mais qui s’articulent toutes autour d’un seul point-clé : la radioactivité.


Les raisons objectives :


Les réacteurs nucléaires utilisent des matériaux fissiles faiblement radioactifs, essentiellement de l’uranium, pour produire de l’électricité, et rejettent des déchets fortement radioactifs, en quantités limitées. Ces déchets sont soit retraités pour en extraire d’autres matériaux fissiles plus ou moins réutilisables tels que le plutonium (en France, à l’usine de La Hague), soit entreposés dans des lieux qui doivent être parfaitement contrôlés afin de ne pas être disséminés dans l’environnement.

En fonctionnement normal, les populations avoisinantes ne sont pas exposées à la radioactivité. Les équipes de service et de maintenance non plus, sauf incidents isolés ou de faible gravité, comme cela arrive dans toute activité industrielle, sans conséquence pour la collectivité.

Par contre, si les matériaux radioactifs s’échappent des lieux où ils sont confinés, ils peuvent se répandre dans l’environnement proche ou lointain, contaminer les travailleurs et la population, et polluer de grandes surfaces, les rendant ainsi dangereuses pour la santé, voire impropres à la vie.

 
Les évènements pouvant conduire à cette situation sont de trois ordres :


Les raisons psychologiques :


La radioactivité est un ennemi invisible qui vous détruit sans qu’on s’en aperçoive lorsqu’on y est exposé. Ce qu’on ne voit pas et qu’on ne sent pas fait peur. De plus, les discours alarmistes sur ce thème font psychologiquement mouche dans les esprits, beaucoup plus que les discours rassurants d’experts supposés « à la solde du gouvernement ».


Les données et les enjeux de la situation française (1)


- La France a besoin d’énergie électrique. D’importantes économies sont possibles, mais risquent d’être contrebalancées par de fortes augmentations dues à la pénurie progressive de combustibles fossiles et au développement des véhicules électriques et de l’informatique ;


- La production nucléaire d’électricité représente 78% du total (22% en Allemagne). Il est donc plus difficile de "sortir du nucléaire" chez nous qu'ailleurs. Néanmoins, cette production est en partie substituable par des énergies renouvelables, surtout si cette « transition énergétique » comprend un programme d’économies d’électricité conséquent ;


- Sur 58 réacteurs nucléaires, 22 atteindront leur limite d’âge avant 2022, le dernier en 2040 ;


- En 10 ans, on ne peut construire les 11 EPR (réacteurs de 3ème génération, de type Flamanville, plus sûrs) nécessaires pour les remplacer ;


- En 10 ans, on ne peut réaliser les économies d’électricité et la substitution nécessaire par les énergies renouvelables pour compenser l’arrêt de ces 22 réacteurs ;

- En France, la sismicité est faible, il n'y a pas de tsunamis, et la filière à eau pressurisée est intrinsèquement plus sûre que les autres ;


- Dans le choix à faire, il faut tenir compte également de deux facteurs importants :

- Par conséquent, le choix citoyen ne peut se porter que sur trois possibilités :

En conclusion, le citoyen devra choisir entre :


-    accepter le risque nucléaire, qui peut encore aller jusqu'à un nouvel accident imprévisible de la gravité de celui de Fukushima, pour disposer sans contrainte particulière d’électricité abondante et bon marché pendant encore quelques dizaines d’années, et même près de 150 ans si les réacteurs de 4ème génération voient le jour ;


-    refuser tout risque nucléaire, mais accepter alors de modifier réellement en profondeur ses comportements et sa manière de vivre actuels, sous contrainte réglementaire forte.

 

                                                                                                          Jean-Jacques Vollmer

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Quelques chiffres relatifs au nucléaire

 

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(1) Bilan électrique 2011 : http://www.rte-france.com/uploads/Mediatheque_docs/vie_systeme/annuelles/Bilan_electrique/RTE_bilan_electrique_2011.pdf

(2) Rapport de la Cour des Comptes : http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPT/Rapport_thematique_filiere_electronucleaire.pdf

(3) http://www.negawatt.org/