Nous avons déjà eu en novembre dernier un sujet sur la démocratie1 . Nous ne reviendrons donc pas sur ce qui a été dit à ce moment là, on se reportera au texte d'introduction et au compte rendu de cette séance2. On soulignera cependant que la discussion a beaucoup porté sur les dysfonctionnements de la démocratie et sur les dangers qu'elle court, et très peu, voire pas du tout sur les moyens d'améliorer concrètement et efficacement son fonctionnement.
Il nous faut distinguer deux niveaux dans une telle discussion : le premier est de nature plutôt philosophique, et concerne un objectif idéal à viser, tout en sachant qu'on ne l'atteindra jamais ; le second concerne les démocraties existantes, et les moyens pratiques de les améliorer, en se limitant peut-être au cas précis de la démocratie représentative française, tout en s'inspirant des aspects qui marchent bien chez nos voisins.
Une démocratie idéale est-elle possible ?
Si nous partons du principe qu'un peuple, quel qu'il soit, doit être gouverné, il faut se poser au moins les quatre questions suivantes :
à quoi doit servir ce gouvernement ?
quelles doivent être les limites de son pouvoir et de ses actions ?
comment doit-il être désigné ?
comment doit-il être contrôlé ?
L'objectif premier est d'avoir un système de gouvernement qui agisse au mieux des intérêts du peuple. Ceci peut être réalisé par tous les systèmes de gouvernance imaginables, mais seule la démocratie donne des réponses aux trois autres questions. Cependant, il est évident qu'il y a des divergences, même au sein de la seule démocratie, sur ce que sont ces « intérêts », d'autant qu'un groupe social donné est rarement homogène. On peut aussi penser que ce n'est pas en donnant le pouvoir au peuple que les décisions prises seront pour autant les meilleures. A l'opposé, on peut avoir affaire à des « tyrans éclairés », qui, sans rien demander au peuple, agiront dans le sens de ses intérêts, ou le feront avec l'aide d'une oligarchie de sages ou d'experts.
Mais, dans la mesure ou la démocratie permet de renouveler périodiquement les dirigeants ou d'exprimer d'une façon ou d'une autre la volonté du peuple, que cette volonté soit justifiée ou non, il apparaît que les fondements d'une démocratie idéale s'appuient sur trois idées-force :
respect de la liberté individuelle, c'est à dire se plier à la volonté du plus grand nombre, même si celle-ci est erronée ou inefficace. Ceci élimine tyrans et oligarques, dont l'effet éventuellement bénéfique ne peut être que ponctuel et ouvre la porte aux excès propres à la nature humaine ;
capacité des individus à s'exprimer en toute connaissance de cause, ce qui implique, au-delà de l'éducation initiale relative aux valeurs propres à un groupe social donné, d'avoir la possibilité d'accéder à des informations libres et non faussées, ce qui est très difficile même pour les personnes dotées d'un sens critique élevé ;
existence d'un climat de confiance entre le peuple et ceux qui le gouvernent .
Ceci revient à dire que, pour prendre des décisions collectives, applicables à tous les membres d'un groupe social, il faut d'abord respecter les individus qui le composent et s'appuyer sur eux.
Dans une démocratie, l'expression libre respectant les principes ci-dessus se traduit par un vote, qui peut lui-même s'exprimer de différentes manières, et pour lequel aucun « principe » idéal ne peut être avancé.
Enfin, quel que soit le mode de gouvernance, il est clair qu'aujourd'hui aucun gouvernement ne peut agir sans tenir compte de l'environnement mondial et de l'évolution des valeurs, toutes choses qui peuvent venir en opposition avec les principes démocratiques existants et la volonté du peuple.
En conséquence, il semble bien que, pour aller vers un monde meilleur encore plus démocratique, aucune approche théorique ne semble possible, la seule chose à faire étant d'identifier les défauts de fonctionnement des démocraties existantes et d'essayer de les diminuer ou de les faire disparaître de manière pragmatique sans en générer d'autres.
Les défauts du fonctionnement démocratique
Avant même de les recenser, il est clair qu'un malaise existe depuis longtemps et s'accentue au fil des élections, même parmi les plus démocrates de nos concitoyens. Le signe le plus flagrant est celui d'une énorme abstention à toutes les consultations électorales, dont les raisons, accentuées par les excès médiatiques et les réseaux sociaux, s'expriment sous forme d'opinions lapidaires telles que :
le bipartisme permet de gouverner, mais pas de choisir vraiment en fonction de ce qu'on pense et désire
le vrai pouvoir n'est pas aux mains des politiques, mais des lobbies de toute sorte
la classe politique, dans sa grande majorité, est corrompue, à la solde des lobbies et des ambitions personnelles, sans moralité, ne pensant qu'à ses avantages
les élus ne représentent pas vraiment ceux qui les ont élus et les promesses électorales sont rarement tenues (problème de confiance)
ceux qui gagnent une élection, même de justesse, exercent totalement le pouvoir et dans beaucoup de cas il y a une « tyrannie de la majorité » sur la minorité qui s'estime « opprimée »
le pouvoir est le fait d'une oligarchie politique qui en a fait un métier : ce sont « toujours les mêmes têtes » pour lesquelles on nous demande de voter
les électeurs ne sont jamais consultés quand une décision majeure doit être prise. On devrait imiter les suisses et leurs référendums réguliers
le gouvernement s'occupe de tas de choses qui ne devraient pas être de son ressort
l'absence de vote blanc ne permet pas d'exprimer son rejet de toutes les parties en cause
les élus sont très souvent incompétents dans les responsabilités qui leur sont attribuées. A l'inverse, on fustige très souvent la « république des juges » et celles des experts...
Il faut cependant tempérer, et essayer d'expliquer cette avalanche de reproches, qui sont souvent le fait de généralisations abusives de cas particuliers, ou le résultat de rumeurs propagées par les réseaux sociaux et les médias, et prises comme argent comptant par beaucoup de gens.
Nous devons distinguer dans les événements à la source de ces opinions les aspects objectifs des aspects symboliques. Par exemple, quand un politique est convaincu de malversations, c'est toute la classe qui en pâtit. Il en va de même dès qu'on se met à parler des rémunérations des élus, forcément toujours trop élevées, sans que personne ne songe à vérifier ce qui se colporte. On retrouve bien ici la nécessité de donner une information objective aux citoyens par ceux dont c'est le métier, et de former l'esprit critique de tout le monde afin que chacun soit en mesure de forger son propre point de vue..
En matière de généralisation dangereuse, il y a notamment le fait de traiter de la même façon toutes les élections, qu'elles soient locales3, départementales, nationales. Un village de quelques centaines d'habitants ne devrait pas se préoccuper de savoir si son maire est de gauche ou de droite, et la plupart des décisions devraient être prises avec la participation accrue des habitants sur des sujets qui les touchent directement et quotidiennement. Par contre, l'excès de référendums au niveau national serait une aberration, les électeurs répondant rarement à la question posée.
Propositions pour le débat
La discussion pourra certainement évoquer les autres points de manière plus précise et plus approfondie. On pourra notamment s'inspirer d'une enquête récente dont « Le Monde » du 21/04/2014 fait état. Il serait souhaitable que le débat puisse s'organiser selon trois axes :
compléter la liste des défauts ci-dessus, en y adjoignant des arguments pour les étayer ;
pour chaque défaut identifié, apporter si possible une idée, une piste de réflexion, même embryonnaire, pour y pallier
ajouter des remises en question de choses considérées comme acquises (par exemple, pourquoi la majorité est-elle à 50% 4et non à un autre chiffre ? Pourquoi les trois pouvoirs ? Pourquoi ne pas élire les juges ? Ainsi que des réflexions d'ordre plus général, par exemple sur le rôle de l'administration, l'éducation civique, la généralisation des décisions par consensus, etc
Jean-Jacques Vollmer
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1 http://quentin-philo.eklablog.com/face-au-conflit-des-valeurs-quelle-democratie-a112902570
2 http://quentin-philo.eklablog.com/compte-rendu-du-08-11-2014-conflit-des-valeurs-et-democratie-a113295198
3 http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/rapport_pr_giran_0212.pdf
4 http://www.laviedesidees.fr/Les-vertus-du-plus-grand-nombre.html