Constitution européenne (2) : les arguments pour le OUI et le rejet du NON
Les raisons principales de voter OUI sont exposées dans le papier précédent. Je ny reviendrai pas, même si on pourrait préciser ou approfondir certains points.
Par contre, je voudrais essayer de faire une synthèse globale de ce que jai compris depuis maintenant trois mois des raisons de voter NON, au travers de la lecture de la Constitution elle-même, de divers ouvrages dexégèse, de ma participation à des forums de discussion sur Internet, et de lécoute de plusieurs débats à la télévision et à la radio sur ce sujet.
La première chose qui me vient à lesprit est la suivante : les partisans du NON nont pas darguments objectifs, à une ou deux exceptions près. Ou plus exactement, leurs arguments de fond sont de nature, soit de principe, soit subjectifs. Je mexplique :
- arguments de principe :
o il ny a pas eu dAssemblée Constituante élue par le Peuple, il y a donc déficit de démocratie, cest une raison suffisante pour rejeter le texte, quel quil soit ;
o le libéralisme est un mauvais système, qui favorise le grand capitalisme international et écrase lindividu ; or, le texte inclut des références au système libéral, et interdit ainsi la possibilité de faire fonctionner lEurope avec un autre système ;
o le texte proposé nest pas celui dune Constitution, car il inclut des parties importantes issues des Traités précédents, qui ne sont pas de même nature ;
o on nous demande de voter oui ou non à un texte trop compliqué et quon ne comprend pas, ce qui est un abus de pouvoir ;
o la Constitution est « gravée dans le marbre » pour cinquante ans, car les procédures de révision sont tellement complexes quon ne réussira jamais à réunir toutes les conditions pour changer quoi que ce soit.
- arguments subjectifs :
o le texte est libéral, voire « ultralibéral », et ouvre la voie à une plus grande exploitation des travailleurs par le grand capital : nivellement social par le bas, délocalisations dans les nouveaux pays entrants, uniformisation culturelle, etc
o à lopposé, le texte permet lémergence dune « grande Europe » supranationale, qui va réduire à néant le poids de la France, son autonomie, sa liberté daction et de choix, et la transformer en « toutou » dune Commission toute puissante pilotée par des personnes non élues ;
o de façon plus générale, tous les articles du texte sont examinés sous leur aspect le plus sombre, c'est-à-dire dune interprétation maximaliste vers ce que lon craint le plus et qui est le plus défavorable au citoyen. Ceci conduit les partisans du NON, essentiellement ceux du NON de gauche, à vouloir mettre dans la Constitution, de façon explicite, non susceptible dinterprétation, un certain nombre de choses, pour empêcher toute possibilité de mener une politique « anti-sociale » au sein de lEurope ;
o cest une occasion unique de faire savoir aux dirigeants que le peuple en a assez de ce genre de méthodes, et, quoi quil arrive, donner un « grand coup de pied dans la fourmilière » pour « faire bouger les choses ».
Bien sûr, en dehors de ces deux catégories darguments de fond qui sont, sinon recevables, du moins susceptibles dêtre discutés sérieusement, il y en a toute une kyrielle que je qualifierais « darguments de combat », qui font appel aussi bien à la peur des gens, quà des « interprétations » à la limite du mensonge. Mais je ninsisterai pas sur cette catégorie, très polémique, car on la trouve aussi chez certains partisans du OUI auxquels je ne massocie pas.
Enfin, et ce nest pas le moindre, les partisans du NON pensent fermement que le NON français sera un « coup de tonnerre » dans le ciel européen, et que cela ramènera illico les 25 pays autour de la table de négociations pour revoir le texte et en produire un qui soit « meilleur ». Cest un pari optimiste, voire utopique, qui, à mon avis, conduit simplement à sacrifier les aspects positifs concrets du texte actuel au nom dun futur indéterminé doté dun texte que lon espère amélioré, chacun ayant en tête ses propres améliorations qui ne sont pas celles du voisin ..
Les réponses à cet ensemble de raisonnements sont les suivantes :
- oui, le texte nest pas parfait, loin de là, mais il existe en vertu de compromis trouvés entre nations qui ont souvent des vues diamétralement opposées, et cela a pris des années pour létablir entre diplomates aguerris. Croire quon pourra ainsi le modifier de fond en comble simplement parce que la France a dit NON cest prendre ses désirs pour la réalité, cest méconnaître les méthodes des relations internationales, cest faire preuve de naïveté ;
- il est vrai quon aurait pu essayer de faire appel à lélection dune Assemblée Constituante, ce qui aurait au moins éliminé une objection de principe sur le « déficit de démocratie ». Mais il est peu probable que cela aurait conduit à un texte foncièrement différent de celui-ci, puisque, au bout du compte, les luttes de pouvoir et les divergences de vues entre nations auraient été les mêmes. De plus, il aurait certainement été difficile davoir laccord de tous les pays sur le seul fait de mettre en place une Assemblée Constituante élue par tous les peuples dEurope. Cela aurait signifié sengager de manière forte, voire irréversible, dans le sens dune Europe fédérale dont beaucoup ne veulent même pas entendre parler ;
- le seul point recevable, de mon point de vue, est celui davoir voulu soumettre au vote un texte unique mélangeant des aspects purement constitutionnels, les parties I, II et IV, et les éléments acquis issus des Traités précédents (Partie III, annexes et protocoles). Y aurait-il eu deux documents, un purement constitutionnel, et un autre sur les politiques de mise en uvre, avec des procédures de révision et de mise à jour différentes, cela aurait bien éclairci les choses et évité les multiples confusions dans les débats. Cest une maladresse de fond, mais qui, à mon avis, nest pas suffisante pour tout rejeter en bloc pour cette seule raison ;
- si on se borne aux seules parties constitutionnelles, le texte a bien lallure dune « vraie constitution » : les valeurs de lUnion, les institutions et leur fonctionnement, les procédures de révision. Le texte est suffisamment général pour nêtre ni de gauche, ni de droite, et permettre aux gouvernements élus des différents pays et au Parlement selon sa couleur, de mener une politique de gauche ou une politique de droite, comme cest le cas chez nous et dans bien dautres pays ;
- lEurope ne naît pas « ex-nihilo ». Elle se construit depuis cinquante ans en rapprochant peu à peu les différentes cultures des pays qui la composent. Elle est donc, par nature, et contrairement à la France de 1789 ou aux Etats-Unis du XVIII° siècle, une entité particulière. Pourquoi alors vouloir lui appliquer forcément les critères qui ont prévalu dans le passé et que connaît bien le droit constitutionnel, et lui refuser toute innovation mieux adaptée à son cas ? Par exemple, pourquoi vouloir à tout prix une « Constituante » qui ne passera jamais auprès de pays qui nen ont jamais connue ? Ou une séparation complète des pouvoirs, alors que chaque pays veut conserver sa souveraineté et ne déléguer que les parties quil choisit lui-même ? Cette façon de procéder a montré sa valeur depuis les années cinquante, même si ce nétait que dans le domaine économique ;
- on aurait pu aussi éviter décrire « libéral » dans le texte, cela aurait certainement calmé les esprits avides de pureté. Néanmoins, concrètement, quel autre système pourrait aujourdhui se substituer de manière valable au libéralisme ? On vit en système libéral depuis des décennies et on y restera, les autres systèmes ayant montré clairement les impasses auxquelles ils menaient. Le vrai problème est donc dêtre attentif à la mise en place des régulations et des contrôles nécessaires à ce système libéral afin datteindre léquilibre souhaitable entre la libre entreprise et les droits des individus, plutôt que de gloser sur le principe dun libéralisme qui, de fait, na pas dalternative crédible. Souvenons-nous des guerres féroces menées dans le passé au nom de la pureté de principes moraux ou religieux, alors que les peuples ne souhaitaient quune chose, vivre en paix avec leurs voisins ;
- sur le libéralisme encore : noublions pas que dire NON, cest accepter de vivre avec le Traité de Nice jusquen 2009 au moins, c'est-à-dire avec des règles beaucoup plus « libérales », sans clause sociale, sans prise en compte généralisée de limpact social dans toutes les lois qui seront votées. Cest le « prix à payer », disent les optimistes de la renégociation, mais cest surtout un pari risqué et qui coûtera cher à ceux qui le défendent ;
- il aurait été sans doute préférable de ne pas mentionner dans la Constitution « la concurrence libre et non faussée » ; mais il naurait pas été plus pertinent dy introduire partout des interdictions relatives aux questions sociales. En effet, cela conduirait à institutionnaliser tout un ensemble de règlements pour empêcher toute politique de « droite », et par conséquent risquerait de mener directement à un régime totalitaire où tout ce qui nest pas prescrit est interdit ;
- la Constitution nest pas « gravée dans le marbre ». Même si les procédures de révision sont lourdes, ce qui est plutôt normal pour ne pas changer tous les huit jours un texte fondamental, il faut faire confiance à nos représentants, quels quils soient, pour arriver à un accord final lors dune révision. Cela a été le cas à de multiples reprises dans le passé, où les Traités de Maastricht, Amsterdam et même Nice ont été approuvés à lunanimité des pays. La règle de lunanimité nest donc pas un point bloquant par principe, car chaque pays est bien conscient quà un moment donné il faut bien conclure, donc faire des concessions ou alors en tirer les conséquences pour soi-même. De toute façon, la Partie III et les annexes devront être remises à jour et complétées régulièrement, puisque par nature les sujets qui y figurent sont à ajuster en permanence
En conclusion, il est préférable, me semble t-il, de rester concret et pragmatique devant un texte de cette nature :
- ne pas chercher à décrypter chaque article dans le détail et se perdre ainsi dans les méandres des interprétations subjectives et de la peur du possible ;
- se faire expliquer lensemble, si possible par des personnes ou des sources différentes, et exercer son esprit critique ;
- en rester aux grandes questions du type : y a-t-il un progrès ou non par rapport à lexistant ;
- ne pas se laisser impressionner, ni dun côté ni de lautre par ceux qui jouent sur la peur du futur et la méfiance de nos élus ;
- faire confiance, en définitive, à la méthode du cheminement progressif et consolidé dune Europe qui avance en tenant compte de ses acquis ;
- rejeter laventure du coup de pied dans la fourmilière et du pari sans lendemain.