La charité apporte du soulagement, mais est-ce la solution?

AH Reprise Accroche

 

Dans la relation à autrui, comment deux approches de la notion de charité, celle d’un chrétien, fondée sur l’exemple évangélique d’aimer son prochain quel qu’il soit, à l’exemple du Christ et celle d’un athée pour qui la philanthropie, la coopération, et l’assistance mutuelle, traits comportementaux normaux de tout être humain, et raison du succès de l’espèce, pourraient-elles converger ?

 

Bruno et moi nous vous proposons un échange sur ce thème. Ce dialogue reprend nombre de références bibliques disponibles pour ceux qui le souhaitent.

 

 BS   Pour un chrétien, la charité est ce qui porte à vouloir le bien d'autrui. Le dictionnaire dit : « Charité : capacité à ressentir qu’un être nous est cher ».  La charité n’est pas le monopole des chrétiens, mais elle est au centre du message chrétien. Pour un chrétien, chaque être humain est « cher » à Dieu, et doit par conséquent l’être aussi pour chacun de nous.

 

Les gestes et les paroles de Jésus rapportés par les Evangiles sont une illustration de l’élan de charité que nous sommes invités à partager. Il se caractérise par trois séries de situations :

 

-         L’élan personnel vers l’autre et notamment vers les personnes les plus marginalisées dans la société.

 

-         La vision conviviale de la société : l’image du repas festif, où chacun est appelé, est récurrente dans les Evangiles. Saint Paul souligne la dimension universelle de la charité selon l’exemple donné par Jésus : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. »

 

-         Désamorcer la violence : Face à l’adversité, face aux menaces, il ne faut pas se laisser entraîner dans l’escalade de la violence, mais par notre comportement essayer de faire prendre conscience à l’adversaire de sa violence.

 

 AH : La philanthropie qui porte à désirer le bien d'autrui, par l'amélioration matérielle et morale de tous, est une vertu partagée aussi par des institutions et des courants de pensée autres que chrétiens, dont certains non déistes. Le désir du bien d’autrui, cohabitent en chaque homme avec le ressentiment, la jalousie, l’égoïsme. La propension des humains à la philanthropie pourrait trouver sa source dans un trait déterminant du succès de notre espèce, la collaboration et l’assistance à autrui. La solidarité n’est-elle pas la meilleure assurance vie d’autant plus indispensable que les conditions de survie sont extrêmes ? Un individu seul est extrêmement vulnérable, et la meilleure assurance vie, c’est l’autre.

 

 BS : Comme je l’ai dit ci-dessus, la charité n’est pas le monopole des chrétiens. Les notions de « philanthropie », « désir du bien d’autrui », « solidarité », « la meilleure assurance vie, c’est l’autre » sont toutes des composantes de la notion de « charité ».

 

Pour la phrase « Le désir du bien d’autrui, cohabitent en chaque homme avec le ressentiment, la jalousie, l’égoïsme », je proposerais une rédaction un peu différente : « Le désir du bien d’autrui cohabite avec l’instinct de survie qui peut nous pousser à l’égoïsme, au meurtre du concurrent, … ». La charité est aussi un instinct de survie, mais intégré dans une vue collective du bien commun.

 

 AH. S’entendre sur le sens de chaque terme est un préalable à tout échange. Il n’est pas certain pour « Amour » dont la signification ici a toute son importance, que l’on entende tous la même chose. Pour le plus grand nombre, l’AMOUR est un sentiment électif. L’aphorisme de Montaigne, à propos de son amitié profonde envers La Boétie « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : Parce que c’était lui, parce que c’était moi », est saisissant de concision. Donc, pour moi l’amour est un sentiment qui s’adresse à un ou une élue et ne peut concerner tout le monde. Il y a d’autres termes pour désigner un sentiment positif apriori envers les autres : l’altruisme, la philanthropie, la sympathie, l’affection. Il n’est pas certain que des textes sacrés, vieux de plusieurs millénaires, rendent compte de ces subtilités.

 

 BS : Je ne vois pas d’opposition entre « élection d’une personne » et amour universel, « l’élection d’une personne » ne doit pas se traduire par un repli sur soi.

 

Dans l’Eglise catholique on accorde beaucoup d’importance au mariage et à la famille, cela ne doit pas être compris comme un repli sur soi, au contraire, la famille est la cellule, le point d’appui, à partir desquels rayonnent la convivialité et la vie sociale.

 

« Altruisme, philanthropie, sympathie, affection » sont bien sûr des dispositions qui convergent avec la notion de charité.

 

 AH La charité ne porte t-elle pas à vouloir faire le bien d’autrui sans même que celui-ci le désire. En effet, il existe un certain nombre d’individus qui préfèrent inspirer la haine et la crainte (fort sentiment d’exister) à l’amour ; mais surtout pas l’indifférence et le mépris. D’ailleurs amour et haine ne sont-ils pas les deux faces d’une même pièce, deux opposés si proches, qu’il est facile de basculer de l’un à l’autre (haïr l’aimé). Des individus de pouvoir cultivent la domination par la crainte. Ceux-là seront plus difficiles à aimer que d’autres            

 

 BS : Certes, il faut « aimer tout le monde », mais dans la pratique, nous sommes confrontés à des « personnalités difficiles », et puisque je prenais ci-dessus l’exemple de la famille, lorsqu’on a un enfant difficile, on lui consacre encore plus d’attention qu’aux autres. Un enseignant est convaincu de sa mission même si les élèves sont peu coopératifs. Si nous avons un proche qui se laisse prendre par des addictions, nous essaierons de l’en détourner.

 

C’est une composante importante de la charité que notre attitude face à la violence. Jésus dit : « Heureux les doux », « Heureux les artisans de paix », nous devons faire ce qui est en notre pouvoir pour faire prendre conscience de leur violence aux personnes « qui préfèrent inspirer la haine ».

 

.AH : Mais, ne fait-on pas la charité pour soi et non pour les autres ? La charité pour certains ne risque-t-elle pas d’engendrer un sentiment narcissique. En analyse transactionnelle la charité ne développe-t-elle pas une relation parent/enfant, une relation de dépendance et inégalitaire, une relation de subordination et de clientélisme ?

 

 BS : Dans l’élan de charité, il y a recherche de convivialité, donc on le fait aussi bien pour soi que pour les autres.

 

La charité ne génère-t-elle pas un sentiment narcissique ? Cela peut arriver. Je ne suis pas dans la tête de Mère Teresa ou de Jean Vannier… On parle beaucoup d’eux. Tous les admirateurs qui se félicitent de leur travail feraient peut-être mieux d’essayer de les imiter et de moins les louer…

 

La charité génère-t-elle une relation de dépendance ? Il est vrai que la charité peut prendre, selon les circonstances, une relation de type parent à enfant, enseignant à élève, médecin à malade ; mais dans toutes ces démarches il y a un objectif : rendre l’enfant autonome, que l’élève s’émancipe, guérir le malade.

 

L’un des gestes de Jésus nous invite à un renversement de la relation du maître au disciple : au début d’un repas, il décide de laver les pieds des disciples, montrant ainsi que celui qui veut se faire le plus grand doit se mettre au service des autres.

 

AH : L’assistanat peut parfois enfermer dans la dépendance. Redonner la confiance en soi à une personne peut suffire à la sortir d’une mauvaise passe. Par exemple, l’Ecole de la 2éme Chance. Peu porté sur la charité comme tu peux le constater, j’ai néanmoins de l’estime pour le concept de l’abbé Pierre. « Aider les autres, n’est-ce pas la meilleure manière de s’aider soi-même »

 

  BS : Aider quelqu’un à se remettre debout est typiquement une démarche de charité.

 

Les « vedettes » de la charité comme l’abbé Pierre, Mère Teresa, Jean Vannier et quelques autres, ont créé des communautés conviviales entre exclus et « gens normaux » et cela a profité à tout le monde … Ce sont les exemples qu’il faudrait amplifier pour que la vie dans nos sociétés soit moins dure.

 

Bien des gens qui vivent à la fois dans le confort et la solitude ressentent ce besoin de convivialité, mais ne trouvent pas la voie pour y répondre.

 

 Mais est-ce une solution à long terme ?  

 

 AH : Nous arrivons là au cœur de notre débat. Certaines misères sont des tonneaux des Danaïdes, des puits sans fond, dont les causes sont souvent d’ordre idéologique (croyances, archaïsme et obscurantisme).

 

 

 

BS : Il y a beaucoup de misère dans le monde, et pourtant, les moyens matériels d’assurer une subsistance digne à chacun ne manquent pas. Nous sommes là au cœur de la notion de charité : le malheur des hommes est la résultante du manque de charité, du manque de convivialité. Certains conflits ont une source idéologique. Face à cette question on peut dire, comme Saint Paul : « L’amour ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ». Le travail pour mettre à l’épreuve nos connaissances et nos croyances relève aussi de la charité. 

 

Les conflits de « source idéologique » sont, pour une raison ou une autre, des phénomènes communautaristes : un groupe veut se protéger contre d’autres, mais cela ne va pas dans le sens de la vision universelle que doit nous inspirer la charité. (Malgré l’Evangile, des chrétiens peuvent aussi être animés de réflexes de défense communautaristes.)

 

 AH : Tant que nous ne nous attaquerons pas aux causes de cette misère, à la racine du mal, cette misère et ce mal subsisteront. L’amour envers les miséreux ne changera rien à leur misère, mais pourra éventuellement la rendre plus supportable. Désormais, on soigne les lépreux.

 

Ne doit-on pas rechercher une solution durable à un problème, l’anticiper, oser poser les questions qui dérangent ? Certes il y a des problèmes que nous ne pouvons pas encore résoudre mais atténuer les souffrances est déjà un progrès. Une charité ne traitant que les symptômes, plutôt que s’attaquer aux causes, ne prendrait-elle pas le risque de ne pas anticiper des situations ingérables.

 

 BS : « Une charité ne traitant que les symptômes », cela pourrait se dire des « bonnes œuvres », la charité va à la racine du mal : le mal est l’absence de cette charité qui doit pousser les hommes à vivre dans la convivialité et rechercher le bien commun.

 

  AH : Prenons un exemple difficile, une question encore taboue - bien que les langues commencent à se délier -. En Afrique, alors que la population compte actuellement que 1,2 milliard d'habitants, des centaines de milliers d’individus, fuyant la misère, risquent leur vie en traversant la Méditerranée. Qu’en sera-t-il quand, d'ici le milieu du siècle, elle doublera pour atteindre, selon l’Unicef, 4,2 milliards d’habitants en 2100. On va droit dans le mur. Comment les Européens accueilleront-ils sans risque de déstabilisation, un milliard d’Africains ? Certes, on arrivera toujours à les nourrir, mais quelle vie pourra-t-on offrir à ces réfugiés ? N’est-on pas en train d’armer une bombe à retardement ?  Toute la charité du monde sera impuissante face à l’ampleur du phénomène.

 

 

 

BS : La question soulevée mériterait un autre café-débat.

 

L’Afrique, dont beaucoup de régions souffrent du réchauffement climatique, est pourtant un continent potentiellement riche. La manière de mettre en valeur les milieux naturels africains ne peut être transposée des méthodes de l’agro-industrie occidentale. Les modèles de développement propres à l’Afrique viendront des Africains et pour cela ils doivent peut-être s’affranchir des modèles occidentaux.

 

On peut supposer aussi que la transition démographique finira par arriver, comme pour les autres continents.

 

La situation des pays africains pose également la question de la solidité des institutions publiques. Le bon fonctionnement des institutions publiques dépend des hommes et de leur sens du bien commun. Et le sens du bien commun est une forme d’expression de la charité. 

 

 Deux visions

 

 AH : Ces deux conceptions, celle d’une humanité orientée vers un dessein eschatologique et celle de l’acceptation d’une part d’insaisissable d’un monde non finalisé, partagent néanmoins des valeurs éthiques communes. Ces valeurs, qui les poussent spontanément à porter assistance à autrui sans nécessairement le connaitre, les amènent à se retrouver néanmoins dans une pratique complémentaire de terrain.

 

-          La première conception est d’abord un engagement répondant à l’exemple donné dans les récits évangéliques qui nous fait considérer que nous sommes tous frères.

 

-          La deuxième conception est une sorte de réflexe, une spontanéité qui pousse à porter assistance à celui qui se trouve en danger, persuadé que nous serions en droit d’attendre de même

 

« Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle » Kant s'interroge sur ce que pourrait être une loi déterminée par une volonté bonne, absolument et sans restriction.   

 

 BS : Oui, je pense qu’André a bien exprimé les cheminements des deux visions, visions qui néanmoins se rejoignent.  Par la voie de la raison, comme le formule Kant, on retrouve le caractère universel de la Charité tel qu’il a été illustré dans les récits évangéliques.

 

 

 

Remarque : Charité et loi morale : Il y a dans les lettres de saint Paul, comme dans les Évangiles, de larges passages pour opposer Charité et préceptes de la loi morale :

 

L’élan de charité n’a pas besoin de loi morale pour s’exercer. L’élan d’amour nous fait voir immédiatement ce qui est bon pour l’autre. C’est quand l’élan d’amour fait défaut, que l’on se replie sur les préceptes de la loi morale : tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, …

 

La loi morale n’est pas mauvaise en soi, mais si l’on s’en tient aux seuls préceptes de la loi morale, c’est que l’on agit sous la contrainte et non pas porté par l’élan de charité. 

 

Pour lire le compte-rendu du débat, cliquer ici.

.

 revenir au blog et voir les commentaires.