Quel est notre rapport au temps ?

Le temps est une notion qui semble aller de soi et qui s’impose à nous.Notre conception commune (aristotélicienne) reçoit le temps comme donné. Mais Augustin énonce la difficulté de penser le temps : “ Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. ”. A cause de cette impossibilité à penser le temps de façon homogène, on a placé le temps dans plusieurs cases : le temps physique qui sert à penser le mouvement, le temps métaphysique ou le temporel, conçu en opposition à l’éternel, le temps anthropologique qui est le temps de l’action et du langage, le temps historique et économique qui utilise la chronologie pour classer le temps en époques, en cycles, en tendances, le temps vécu…

 Ceci fait que notre rapport au temps dépend de multiples facteurs :

 -          de notre origine : les Occidentaux pensent un temps linéaire et irréversible alors que les Orientaux pensent un temps circulaire et les Extrême-orientaux, un temps cosmologique fonction du cycle des saisons. 

 -          De nos centres d’intérêt : le temps du géologue sera plus long que celui de l’historien lui-même plus long que le temps vécu par un être humain.

 -          De notre attitude face à la vie : capacité à vivre le présent, à aller de l’avant et à ne pas ressasser le passé.

Enfin, on ne peut réfléchir sur notre rapport au temps que si ceux avec qui on en discute supposent qu’il existe en soi, et qu’ils en ont la même définition (ici, temps linéaire)

Selon E. Klein, “ la physique rassure car selon elle, le temps avance en maintenant la forme des lois du monde ”. Le temps linéaire est ainsi validé par le principe de causalité (tout fait a une cause.) Mais d’autres principes de la physique (plus une particule va vite, plus elle dure) sont éloignée de nos préoccupations quotidiennes et nous éloignent du temps qui est celui de nos centres d’intérêt.

L’être humain est borné par son temps dans le temps, et à moins d’un centre d’intérêt extérieur à lui et commun à de nombreuses personnes, son temps lui est propre, limité et irréversible. Pourtant il voudrait garder tous les avantages de la réversibilité de l’espace. Ainsi on confond souvent le trajet parcouru (qui est réversible : on peut aller de Paris à Montigny comme de Montigny à Paris) au temps mis pour le parcourir (qui est irréversible). Or le temps est tout puissant. Et comme le dit Jankélévitch “ le temps est la forme la plus inexorable de notre destin, de notre finitude ”. Camus affirme que l’individu “ appartient au temps et à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s’y refuser. Cette révolte de la chair, c’est l’absurde ”.

Malgré l’absurdité de la condition humaine soumise au temps et la mort, l’être humain est tourné vers le devenir, vers le futur. Le passé, le souvenir et la mémoire, n’existent que dans le présent de celui qui y pense, à l’instant où il y pense (ex : les souvenirs d’enfance). Mais il ne peut plus y revenir alors que de toutes façons, il y aura un futur, clos par la mort. L’homme a donc toujours tenté de résister à l’irréversible. Par exemple, en espérant par le rajeunissement nier l’irréversibilité du temps. Mais la chirurgie esthétique, si elle efface les rides, n’efface pas le contenu de la mémoire, ni le passé. La nostalgie est fréquente par peur du devenir : Verlaine est l’inconsolable, Lamartine demande au temps de “ suspendre son vol ”, nous-même nous branchons-nous volontiers sur radio nostalgie. Nous voulons diriger, dominer notre temps, c’est pourquoi nous essayons de le fragmenter, de bien le cadrer sur un agenda qui nous indique nos rendez-vous, nos priorités d’action. Nous essayons aussi de l’utiliser de façons variées (travail, loisir, repas…). Nous divisons le temps en ce que l’on est obligé de faire (payer ses impôt, exercer sa profession) et ce que l’on veut faire pour son plaisir (aller au théâtre, jouer au foot…). Aussi confondons-nous souvent la durée d’une occupation avec le temps. C’est pourquoi il est parfois difficile d’assumer les obligations matérielles de la vie quotidiennes, qui “ nous prennent tout notre temps ” et dont la répétition et le caractère mécanique génèrent l’ennui, le sentiment de “ perdre son temps ”. Il faut faire le plus vite possible, le plus de choses possible. Nous avons ainsi l’impression d’accélérer le temps, alors que nous ne faisons que comprimer la durée de nos activités, que gérer notre temps. Notre société actuelle, hantée par la vitesse, trouve le temps long. L’impatience devient la règle. On refuse le temps, on refuse d’attendre l’Autre, et on se complaît dans le narcissisme. Entre futur et passé, le présent est souvent oublié, mis au service du devenir ou du regret nostalgique.

Nous pensons le temps à travers les rapports que nous entretenons avec les autres et la société et en nous écartant du temps cosmique nous nous éloignons de la nature. Le temps  devient dès lors un espace clos dont nous essayons de quadriller le moindre recoin. Mais pour Bergson, revenir en arrière ne consisterait qu’à reperdre le terrain gagné, et pour Jankélévitch “ le sens unique, c’est le progrès obligatoire ”.

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