L’identité est-elle un masque ?

Café-débat du 19 février 2022.

 

Proposé par Nesrine AZIZI

 

      La notion d’identité est polysémique, plurielle et ambiguë. Selon le Larousse, le verbe « identifier » a pour sens premier « considérer comme identique, c’est-à-dire ne faisant qu’un avec quelque chose ». Il signifie en même temps « ce qui distingue et ce qui différencie ». L’identité sert donc à établir la singularité d’un sujet et à le rendre discernable d’avec d’autres, mais également ce qui l'assimile à autrui. L’identité est instituée par un prénom et un nom propre qui, commun à toute une lignée, renvoie l’identité individuelle à celle d’un groupe de personnes auquel on est assimilé. Au nom et prénom s’ajoutent obligatoirement, une pièce d’identité, une empreinte et une signature propre à chaque individu.

 

Cette dualité caractéristique de l’identité - différenciation/assimilation - est fondamentale au développement de chaque individu. En effet, la singularité de chacun, dans le sens affirmation de soi, est toute aussi importante que son besoin d’assimilation à ses semblables comme mécanisme de défense contre l’exclusion et le sentiment d’aliénation.

 

Une autre caractéristique de l’identité est qu’elle n’est ni figée ni statique. Elle est processuelle et en perpétuel changement : elle serait donc une construction permanente et dynamique. Le passage à la puberté, à l’adolescence, à la maternité/paternité, ou à la retraite sont des étapes de la vie qui soulèvent des questions d’identité.

 

Néanmoins, s’il est important de chercher un ancrage identitaire dans ses origines, sa culture, sa langue, il est également courant de vouloir se défaire de cet héritage qui enferme la personne dans un cadre prédéterminé. Déclenché de manière volontaire ou subie à la suite d’un incident extérieur, le refus de son identité héritée se traduit par une volonté de se forger une identité personnelle hors des appartenances collectives en masquant, ou même en rejetant, tout ou partie de l’héritage reçu.

 

Or parfois l'identité modelée, construite au fil du temps et des expériences de la vie, ou celle adoptée, devient synonyme de fabriquée, de factice et donc de non-authentique.

 

Peut-on alors considérer qu'à partir d’un certain âge, la plupart du temps l’entrée à l'âge adulte,- souvent synonyme d’inhibition - notre identité brute (sans le conditionnement extérieur), est perdue au profit d’une identité nouvelle : une identité-masque? Est-ce le travail d’un adulte éclairé de prendre conscience des masques qu’il a affichés afin de se faire adopter par la société, et de les faire tomber pour retrouver son authenticité ? Ou au contraire, cela fait-il partie du « ça-va-de-soi » ?

 

Le masque comme accessoire renvoie le plus souvent à une métaphore d’une attitude empreinte de fourberie et d’une volonté de dissimuler ou de cacher quelque chose qui, révélée, pourrait dans l'esprit de celui qui la cache, lui porter préjudice.

 

Ainsi, dans un souci d’ajustement d’une image de soi qu’on perçoit comme défaillante, il s’agit de véhiculer à travers ce masque une image plus attrayante à l’Autre, au risque de se faire rejeter par lui s’il vient à découvrir ce que l’on essaie de masquer. Cela est valable, que ce soit dans un cadre professionnel, comme dans la recherche d’un emploi, ou, de façon plus personnelle, lorsqu’il s’agit de se faire des amis ou de se trouver une âme sœur ; les masques sont alors déployés… Du moins au tout début.

 

Cette attitude qui consiste à avancer masqué, à se construire une identité fictive par le biais d'artefacts, laisse penser que nous possédons deux identités : l’une personnelle et l’autre sociale. La première serait l’apanage d’un cercle restreint, comme celui de la famille par exemple, où l’on ne risque pas d'être jugé ou ostracisé. La seconde identité, savamment élaborée, est dirigée vers les autres. Serait-elle une identité provisoire, affichée le temps d’un entretien d’embauche ou d’un premier rendez-vous ? De toute façon, « chassez le naturel il revient au galop » nous disait le poète latin Horace. De plus, cette identité factice ne risque-t-elle pas de coller à jamais à la personne qui abuserait de son usage ?

 

Outre le fait que cette attitude pose la problématique de l’aliénation de soi, résultant de l’absence de congruence, elle peut le plus souvent aboutir sur une profonde crise d’identité. Celle-ci résulte, soit d’un état d’épuisement à force de vouloir être ce qu’en fin de compte on sait que l’on n’est pas ; ou alors, elle résulte de la frustration de ne pas arriver à véhiculer l’image de soi, ou l’identité que l’on souhaite imposer, cela parce que l’Autre ne nous perçoit pas comme on l’aurait voulu et ainsi ne ‘’valide’’ pas cette identité. C’est d’ailleurs pour cela que certaines personnes ont recours à des agences de relooking pour travailler leur image, leur façon de parler ou de s’habiller. De même, et dans le cadre de la construction d’une identité professionnelle ou numérique, recourir à des spécialistes du personal branding[1]pour soigner son identité en ligne et ainsi se faire une bonne réputation, car autrement c’est Google qui s’en charge à notre insu. Cette réputation est donc la gratification traduisant la validation par l’Autre de l’image offerte de soi. Cela veut-il dire que l’on peut s’acheter une identité et que se faire construire une identité peut-être finalement, tout comme d’autres, un service monnayable ?

 

Nesrine  AZIZI


 

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[1]Ce terme désigne une technique consistant à mettre en valeur ses compétences et son, image professionnelle.