Crises et catastrophes sont permanentes dans l’histoire humaine...
Aussi loin que l’on remonte dans le temps, l’histoire de l’humanité est jalonnée de crises et de catastrophes. A commencer par le mythe sumérien du Déluge que l’on retrouve dans la Bible ou dans l’Epopée de Gilgamesh. Ou, plus récemment, le mythe de l’Atlantide décrit par Platon au quatrième siècle avant l’ère vulgaire. La mémoire humaine a conservé le souvenir de catastrophes locales telles que l’éruption du Vésuve décrite par Pline le Jeune, ou, plus étendue et bien pire, celle de l’effroyable épidémie de peste noire (peste bubonique) qui ravageât l’Asie Centrale et l’Europe au quatorzième siècle. Impuissants, les êtres humains ne pouvaient que subir ou périr.
Ces événements, qui paraissaient relever de la nature des choses, étaient même intégrés dans l’imaginaire et l’organisation de la société. Ainsi les grandes crues du Nil étaient-elles repérées sur des nilomètres gravés qui ont servi d’assiette pour le paiement des impôts depuis les pharaons jusqu’aux temps des souverains ottomans. Il en allait de même avec le Yangzi Jiang et des empereurs chinois. Chez nous nos anciens gardaient mémoire de la possibilité de crues décennales ou même centennales.
Ce sont les famines qui surtout marquèrent les esprits. Accidentelles ou provoquées, les dernières les plus mémorables furent la Grande Famine irlandaise du milieu du dix-neuvième siècle, l’holodomor de 1920-1921 en Ukraine, celle du Grand Bond chinois de 1960. Il nous semble que ces horreurs soient de l’histoire ancienne malgré des drames comme celui du Biafra en 1984.
... mais nous croyons savoir les maîtriser
Avec les progrès de la technique, ceux de la médecine, grâce aussi aux organisations internationales, officielles ou ONG, ces catastrophes ont sinon disparu, du moins en a-t-on limité les conséquences. La pandémie de COVID-19 n’aurait occasionné « que » près de 7 millions de décès dans le monde, et n’a eu des effets significatifs « que » pendant deux ou trois ans. Ce qui, toutes proportions gardées, demeure limité : après trois siècles de croissance la population européenne aurait diminué d’un tiers après le passage de la peste noire.
Alors sommes-nous sortis du temps des grands cataclysmes ? Certes les crises politiques qui engendrent des conflits locaux perdurent. Les crises financières qui « purgent » de temps à autre des économies en surchauffe surviennent régulièrement. Il en va de même pour les conflits politiques et sociaux. Mais tous ces événements ne mettent pas en cause jusqu’à présent notre civilisation. En sera-t-il toujours ainsi ? Que peut-on craindre ou espérer ?
Qu’en est-il vraiment ?
Il y a deux façons d’envisager cette question. Une optimiste, l’autre pessimiste.
La première compte sur les progrès de la science et de la technique comme en témoignent l’émergence des vaccins à ARN-m, des nouvelles techniques d’édition du génome (CRISPR-Cas9), des cellules artificielles répliquant le vivant, de l’IA, du moteur à hydrogène, de la maîtrise future de l’énergie de fusion (ITER), etc. Mais comme la langue d’Esope ces avancées peuvent être les meilleures ou les pires des choses selon l’emploi qui en est fait. A l’instar du feu céleste apporté aux hommes par Prométhée ou Lucifer, elles peuvent nous apporter bonheur ou dévastation.
Le progrès pour réparer les nuisances du progrès, on y croyait jadis. Ainsi, dans les années 70, à la suite de la parution du rapport Meadows (« Halte à la croissance »), le premier Ministre de l’époque, Raymond Barre, sans ignorer les risques de pollution, estimait qu’on pouvait régler ce problème dans une économie decroissance en y consacrant par exemple 5 à 10 % de l'accroissement du produit national brut. Nous sommes sortis de cette illusion. Il n’empêche que l’on continue à mener ou même à envisager des pratiques que l’on sait avoir des effets négatifs dont nous sommes aujourd’hui incapables de mesurer les conséquences (par exemple l’ancien projet d’extraction de nodules polymétalliques des fosses océaniques).
Mais dira-t-on, cette recherche permanente de l’équilibre entre les bénéfices du progrès et ses nuisances n’est pas nouvelle. Et l’espèce humaine a toujours trouvé des solutions. C’est ignorer que le contexte a changé. Au moins pour deux raisons, l’accélération des processus et leur nature. Accélération technique, c’est le phénomène que signalait Hartmut Rosa comme une des composantes de l’accélération sociale (il y ajoutait accélération du changement social et accélération du rythme de vie), accélération qui serait le problème central de nos sociétés en ce qu’elles n’ont pas le temps de s’adapter. Leur changement de nature enfin les rend moins prévisibles : nous savons maîtriser les évolutions linéaires voire cycliques (le cobwebdes économistes), mais aujourd’hui la part de l’imprévisible s’accroît (phénomènes de second ou de troisième ordre, chaos même s’il est déterministe). Nous en avons la preuve ces jours-ci avec cette vague de chaleur inattendue alors même que nous savons le réchauffement climatique inéluctable.
Invitation à la prospective
Comment se préparer aux défis de l’avenir ? Seule l’approche prospective peut nous permettre d’anticiper. Pour amorcer la discussion tentons quelques amorces de scenarios relatifs à la seule question du réchauffement climatique et de ses conséquences.
1. Succédant aux célèbres Grandes Invasions Est-Ouest, de nouvelles Sud-Nord sont inévitables. Quels que soient les moyens mis en place (aide aux populations, barrières légales, physiques, militaires). Comment s’y préparer ?
2. En plus de l’inhabitabilité, des pénuries alimentaires des peuples migrants, la ressource en eau, inégalement répartie et distribuée, sera génératrice de nombreux conflits (il y en a déjà, larvés, pour le Nil ou l’Euphrate). Des solutions techniques comme le dessalement de l’eau de mer dégradent les écosystèmes marins.
3. Dans nos pays l’accès aux ressources alimentaires, hydriques, énergétiques, se durcira. Pointe l’inévitable menace du rationnement comme ce fut le cas lors de la dernière guerre et jusqu’en 1947. Cela entraînera le développement de pratiques illégales comme le marché noir et conduira à recourir à des politiques répressives. Quid alors de la démocratie ? L’UE sera dirigée par des politiciens nationalistes autoritaires.
4. Ce renforcement du nationalisme, conduira chaque nation à rechercher le maximum d’autosuffisance dans tous les domaines. Car la menace de l’embargo sur des produits essentiels (médicaments par exemple) pourra servir efficacement d’arme, comme l’arme alimentaire. Il en sera fini du libéralisme économique et du libre-échange.
5. Avec le réchauffement, notre capacité à nous nourrir nous-mêmes sera compromise, comme celle de la plupart des pays du bloc occidental. Par contre la Russie (et dans une moindre mesure la Canada) deviendra le grenier à céréales de l’humanité du fait des terres libérées par dégel du pergélisol. Cela changera totalement l’équilibre géopolitique de la planète. En tout cas la Chine, qui a déjà de gros problèmes agro-alimentaire, perdra son statut de puissance dominante.
6. A noter que ce dégel du pergélisol libérera de nouveaux pathogènes qui provoqueront de nouvelles pandémies.
7. Avec la multiplication des catastrophes et l’augmentation de leur gravité, le système assuranciel qui nous garantit ne pourra pas perdurer. Ni les réassurances prises en charges par les Etats au titre des catastrophes naturelles.
Tout ceci, et bien d’autres choses qui ne sont pas abordées ici, semblent être de la politique et de l’économie fiction. Mais cela mérite un minimum de réflexion.
Discutons-en.
Pierre Marsal le 14 Octobre 2023
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