Peut-on rire de tout ?

De Platon à Descartes et encore aujourd’hui, nombre de philosophes ont tenté de définir l’humour en s'’interrogeant sur les mécanismes de déclenchement du rire.

L'’humour et les mots d'’esprit ont toujours constitué une « soupape » par rapport à la répression étatique et sociétale, en rétablissant une communication contre l’'interdit de dire.

Molière et La Fontaine, à leur époque, ont usé de ce stratagème pour critiquer les mœoeurs, le clergé, et même la Cour du roi.

L’humour, banni de toutes les dictatures (interdiction de rire en Afghanistan pendant le talibanisme), reste résolument du côté de la liberté. Il est aussi une force de survie, de résistance : on n’est plus prisonnier de ce dont on sourit, ou du moins pas de la même manière, même si l’'humour n’'aide à vivre que l’'instant.(Sous les traits du moine borgne, dans « Le nom de la rose », on voit à quoi ressemblent ceux qui craignent le rire et le destin qui les attend).

Le rire est considéré aujourd’hui comme un véritable remède préventif à consommer sans modération. Il agit sur la peau, les os, la respiration en provoquant un massage des côtes. Il accélère le rythme cardiaque et la régénérescence tissulaire. C’'est également un anti dépresseur naturel et, par la production d'’endorphine (hormone du plaisir), permet d’évacuer le stress et l’'angoisse. Les services hospitaliers, en particulier pédiatriques, ont bien compris son aspect bénéfique sur les petits malades et ont largement ouvert leurs portes au « rire médecin » ou à « Dr Clown ».

Le rire est indispensable à la vie, et Rabelais disait qu'’il était le propre de l’'homme.

L'’humour, qui en est un des déclencheurs, reste lié quant à lui à des conventions sociales dont on sait qu’'elles sont différentes selon les pays, les moments, les milieux. Il  a également un double visage qui, dans le meilleur des cas peut ouvrir le sens et, dans le pire, le verrouiller.

Freud, conscient de la fonction de l'’humour, notait que : « personne ne peut se contenter d’'avoir fait un mot d’'esprit pour soi seul ».

 

« On peut rire de tout, mais pas avec n’'importe qui » : cette formule est du regretté Desproges qui ajoutait : « Mieux vaut rire d'’Auschwitz avec un juif, que de jouer au scrabble avec Klaus Barbie ».

Lors de notre discussion, nous pourrons revenir sur le dérapage de Dieudonné, la polémique sur le film de Begnini : « La vie est belle » ou bien sur le faux pas de Timsit sur les trisomiques.

Les bornes qui permettaient de distinguer le bien du mal, l'’acceptable de l'’inacceptable, la dérision du mauvais goût, sont sans cesse repoussées (on le voit bien avec les Guignols sur Canal +). Bien souvent, on ne rit plus avec, mais contre quelqu’'un, mais peut-être que le refus de la politesse et du savoir-vivre est une façon comme une autre de dénoncer le mensonge et les faux-semblants…

Si, pour Montesquieu, « la gravité est le bonheur des imbéciles », la frivolité qui consiste à ne rien prendre au sérieux a-t-elle conscience qu'’elle est dérisoire ?

Peut-on rire de tout ? J'’aurais tendance à répondre qu'’on le puisse ne fait aucun doute, mais le doit-on pour autant ? En tout cas, certainement pas n'’importe comment et toujours dans le respect de soi et des autres, sans tomber dans l’'hypocrisie… Pas facile !...

Mais quand le rire devient offense ou fait appel à des sentiments anti-démocratiques tels que le racisme et l’'antisémitisme, il devient pénalement condamnable : le rire s'’arrête où commence le délit.

Pour finir sur Dieudonné dont les propos sont à l'’origine du choix de mon sujet, je pense que ce qui fait rire durant un spectacle (ou un meeting) pour lequel les gens se sont déplacés de leur plein gré, ne saurait être reproduit pareillement à la TV, car là, le message s'’impose à tous. La responsabilité de celui qui le véhicule est dès lors engagée. Ex. : Le « Heil Israël » de notre ami cité plus haut, ou bien le « Durafour crématoire » de Le Pen sont des propos diffamatoires qui tombent sous le coup de la loi. Il n’'est plus question d’'humour ici, mais bel et bien de provocation. Le rire n’'est plus utilisé pour amuser, mais pour faire passer un message politique dont certains trouveront la justification plus que contestable.

Il n’est pas question de censurer mais seulement d’'affirmer que le lieu (la TV) et le moment (conflit israelo-palestinien et tensions inter-communautaires en découlant) ne permettent pas la tenue de tels propos.

 

Rappelons qu'Aristote prônait la théorie de la modération dans son « Ethique à Nicomaque ». Le juste milieu est ce qui s’impose à la morale et permet de savoir jusqu’'où on peut aller trop loin.

 

DANY

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