Nos habitudes s'opposent-elles au changement ?

Définition de l’habitude : C’est un mécanisme mis à la disposition de l’être par les efforts anciens, une manière d’être ou d’agir, un ensemble d’attitudes ou de capacités prévisibles, issues de multiples confrontations à une même situation. Les habitudes peuvent concerner les capacités physiques (marcher, écrire, …) ou les capacités cognitives et sociales. Elle fait partie des processus généraux de l’adaptation de l’individu à son milieu. Relativement permanente et stable, elle devient une seconde nature. Tout individu est constitué d’un ensemble organisé d’habitudes.

Comment se forme une habitude : Elle est issue de répétitions, de rythme, et d’apprentissage. C’est par l’expérience et le temps que l’habitude se forge. Avoir l’habitude, c’est ‘avoir appris’ ,‘j’ai contracté l’habitude, c’est reconnaître la valeur d’usage de ce que j’ai appris’. Elle donne un savoir faire, un pouvoir. Elle est la volonté de commencer à se répéter soi même. Elle est le résultat d’une éducation, inversement l’éducation est largement le fruit de l’habitude.

Analyse de l’habitude : C’est une faculté de conservation, elle fait survivre l’acte qui vient de se terminer, conserve nos efforts antérieurs tout au moins une partie. Ainsi, le fait conservé tend à se reproduire. Elle nous apparaît comme une sorte de spontanéité, nous fait agir avec précision, en nous dispensant de l’hésitation, de la délibération.

Selon Pierre Janet, le caractère général et le plus important de l’habitude, c’est qu’elle est un principe de continuité et d’uniformité. Elle conserve les phénomènes passés, elle relie le passé de notre vie au présent et à l’avenir. Les efforts que nous avons faits autrefois ne sont pas perdus, il en reste encore quelque chose aujourd’hui, et nous pouvons ajouter ce que nous apprenons actuellement, à ce que nous avons appris autrefois. C’est ainsi que deviennent possible l’éducation et le progrès.

Elle appartient à l’ordre des phénomènes psychologiques, quant à la disposition elle est premièrement un phénomène d’ordre physiologique. Soit on utilise les habitudes si elles sont favorables, soit on les neutralise si elles sont plutôt de nature à nuire. D’où l’éducation des sens, de la mémoire, de l’imagination destinée à favoriser l’association des idées.

Il est une forme de l’activité intellectuelle qui dépend plus étroitement encore de l’habitude, c’est la mémoire. La conservation des images et surtout leur association, c'est-à-dire leur reproduction dans l’ordre où elles se sont déjà présentées, est un résultat de l’habitude. La reproduction se fait de cette manière, parce que c’est de cette manière qu’elle est plus facile et plus rapide.

Henri Bergson distingue la mémoire habitude (action volontaire fondée sur la répétition, elle permet d’apprendre une leçon ou de s’orienter, …), de la mémoire souvenir (mémoire pure, involontaire).

Limite de l’habitude : Certaines habitudes engendrent un automatisme complet, les actions finissent par être exécutées d’une façon parfaite et rapide, cependant sans être accompagnées de conscience. Mais toutes ne parviennent pas à ce degré, beaucoup restent faibles et, les actions qu’elles déterminent sont encore accompagnées de conscience. En s’habituant, l’organisme économise son attention, cela peut aussi être cause de risques (inattention du conducteur automobile), ou d’appauvrissement des capacités intellectuelles (travail simple et répétitif). L’étroitesse d’esprit et la routine sont les dangers auxquels s’expose l’habitude trop spécialisée. A force d’exercices on finit par intégrer des conduites et à les reconduire machinalement, au regard du coté mécanique de l’habitude, il y a risque d’un arrêt de la réflexion, au sujet des savoirs acquis théoriques et pratiques. La volonté peut alors lutter contre ces habitudes, et les détruire peu à peu, en favorisant la formation d’habitudes contraires. Le risque pour H.Bergson, c’est de se laisser aller à l’automatisme facile des habitudes contractées.

Natures d’habitudes :

·                 habitude active : conduit à reproduire de plus en plus les mêmes actes ;

·                 habitude passive : conduit à ressentir de moins en moins les mêmes états de sensibilité.

Dynamique et maîtrise de l’habitude : La volonté reste toujours maîtresse de ses habitudes (acquisition, maintien, suppression), elle peut être assimilée à l’association des idées par analogie aux mouvements. L’enchaînement des mouvements les uns aux autres ou des idées, facilite leur reproduction, les rend plus aisés.

Rôle de l’habitude dans la vie : Elle a une influence sur  la vie intellectuelle, sensible, et morale. Selon Hegel, elle est un élément essentiel de l’existence de l’esprit en l’homme. L’habitude comme processus d’intégration : c’est bien une acquisition par l’individu des règles de vie, lui permettant de vivre en société avec l’autre. Aristote a lui aussi considéré l’habitude comme l’acquisition d’une manière d’être.

David Hume quant à lui a dit : « l’habitude par là même, est le grand guide de la vie ». C’est ce principe seul qui nous rend notre expérience profitable, et nous fait attendre dans l’avenir, une suite d’évènements semblables à ceux que nous avons constatés dans le passé.

L’habitude de considérer la manière dont les choses ou des phénomènes se produisent, procure à l’homme une forme de certitude, rassure et conditionne nos comportements.

Habitudes et progrès : La nouveauté des instants féconds, donne à l’habitude sa souplesse, et son efficacité. L’habitude dans ce cas, peut être considérée comme une assimilation routinière d’une nouveauté. Dans la théorie de Gaston Roupnel, il ne faut pas prendre l’habitude comme un mécanisme dépourvu d’actions novatrices. Il y aurait contradiction dans les termes à dire que l’habitude est une puissance passive. La répétition qui la caractérise est une répétition qui en s’instruisant construit.

Samuel Butler dit très bien : « l’introduction d’éléments légèrement nouveaux dans notre manière d’agir est avantageuse : le nouveau se confond avec l’ancien et cela nous aide à supporter la monotonie de notre action. Mais si l’élément nouveau nous est trop étranger, la fusion de l’ancien avec le nouveau ne se fait pas ». C’est ainsi que l’habitude devient un progrès. D’où la nécessité de désirer le progrès, pour garder à l’habitude son efficacité. Cette facilité que nous donne l’habitude, pour accomplir des actes intelligents sans perception personnelle, nous permet de faire de nouveaux progrès, et d’employer notre intelligence à des œuvres plus élevées. Elle nous permet de conserver le passé, ce qui est une condition essentielle du progrès. C’est grâce à elle que nous pouvons aller en avant, sans avoir besoin de revenir sans cesse en arrière, mais ce n’est pas là, la condition unique du progrès. Il ne suffit pas de garder ce que l’on possède, il faut encore acquérir. Or, l’habitude tend à nous maintenir dans le passé, elle est par essence ennemi du changement et présente ainsi un obstacle au progrès, qui n’a rien d’insurmontable. Il y a à craindre de vivre trop de la vie d’habitudes, de se laisser enchaîner par elles et de rester dans l’immobilité au travers des préjugés et du conformisme. Elle est la condition nécessaire du progrès mais n’y suffit pas.

Changement : Jacques Rhéaume le décrit comme le passage d’un état x, défini à un temps t, vers un état x¹ à un temps t¹, où x et x¹ dans le domaine psychosocial peuvent représenter un être humain ou un milieu social qui, après « changement », devient à la fois autre chose et la même chose (sinon il y a disparition). Larousse : action de changer, de modifier quelque chose, transformer. Il y a plusieurs degrés de changements (modification profonde, rupture de rythme …), apportés par de l’innovation, de la nouveauté, de la modernité. Le changement peut déstabiliser, faire perdre la confiance liée à l’incertitude et à la peur de l’échec, généralement une étude de risques doit l’anticiper, c’est une des premières tâches à accomplir dans la conduite du changement. Le changement pose trois conditions (savoir, vouloir, pouvoir). Il suscite chez les humains les réactions les plus diverses, allant de l’espoir le plus fou, jusqu’à la crainte, voire la phobie. A moins qu’il n’engendre qu’une réaction désabusée.

Le changement, c’est faire ce que l’on ne sait pas faire sans un travail d’adaptation préliminaire.

Typologie des changements :

·                 premier critère : intentionnalité (volontaire ou imposé),

·                 deuxième critère : temporalité (brutal ou progressif),

conduit aux changements :

·                 de crise (imposé et brutal), adaptatif (volontaire et brutal),

·                 prescrit (imposé et progressif), construit (volontaire et progressif).

Habitudes et Changements : Ce qui fait l’objet de cette réflexion, ce n’est pas seulement l’habitude acquise, mais l’habitude contractée par suite d’un changement, à l’égard de ce changement même qui lui a donné naissance. L’habitude contractée par le changement, nécessite au début effort et concentration, plus tard quand l’habitude est acquise, la facilité vient, l’effort s’oublie et succède l’habitude machinale.

Félix Ravaisson dit : « si l’habitude, une fois acquise, est une manière d’être générale et permanente, et si le changement est passager, alors l’habitude subsiste au-delà du changement dont elle est le résultat ».

Dit autrement : « Il ne faut pas changer, ou alors il faut que le changement assimilé s’inscrive dans les habitudes ». 

Pour l’être vivant, le changement qui lui est venu du dehors lui devient donc de plus en plus étranger, le changement qui lui est venu de lui-même lui devient de plus en plus propre.

Conclusion : L’habitude est créée à partir de la volonté, en fonction du temps elle devient appliquée inconsciemment ou involontairement, puis modifiée par la volonté. Elle  libère l'homme pour des tâches moins matérielles. L'habitude est bien une seconde nature au travers de la spontanéité, mais c'est aussi un comportement intelligent quoique non conscient. Elle gère un état permanent et c’est une force, elle peut devenir un obstacle à l’évolution apportée par un changement dans sa période transitoire, pour redevenir une force pour le changement devenu en état permanent, donc inclus parmi les habitudes acquises. L’aspect psychosociologique est dominant dans les habitudes, il s’ensuit que les comportements (manière d’être, de penser, de réfléchir et d’agir, relations avec les autres), s’adaptent plus ou moins bien en fonction du type de changement, de son mode de prise en compte (savoir, vouloir, pouvoir), ainsi que de la gestion des risques. Selon Bergson, les habitudes raidissent les âmes humaines.

--> Les habitudes sont à la fois : un frein, un obstacle, une force face au changement.

Et comme disait Pierre Bézier : « Que ces facilités dont on bénéficie aujourd'hui, ne fassent pas perdre de vue qu'il y a toujours des progrès à faire, des perfectionnements à apporter, des aventures à vivre, des risques à courir ».  

Question : Face à la modernité les choses changent, mais si vite, est-ce que les habitudes des individus pourront suivre, puisque la question actuelle n’est plus comment faire passer le changement, mais comment former les individus à vivre le changement permanent ?

Nota : ce sujet parait anodin, en fait il n’en n’est rien, l’habitude a été abordée par différents personnages. Le mémoire sur l’habitude de Maine de Biran 1799 « Influence de l’habitude sur la faculté de penser », pourrait faire l’objet d’un débat à lui seul.

                                                                                                                     

                                                                                                                                                    DDaniel SOULAT

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Bibliographie :

Maine de Biran 1766 – 1824, 1799 Influence de l’habitude sur la faculté de penser 1799

Lecture de l’habitude site durkheim.uchicago.edu/Texts/1884a/34.html    

Félix Ravaisson 1813 – 1900 Thèse sur l’habitude en 1837         

Aristote Du tempérament moral

Pierre Janet 1859 - 1947 Thèse Automatismes Psychologiques 1889,  Philosophie et Psychologie 1896

Soren Kierkegaard 1813 – 1855 Répétition

Henri Bergson 1859 – 1941 Matière et Mémoire 1896

David Hume 1711 – 1776 Traité de la valeur humaine 1739

Gaston Bachelard 1884 – 1962 L’intuition de l’instant 1932

Gaston Roupnel 1871 – 1946 Propos sur l’habitude         1927

Samuel Butler 1835 – 1902 La vie et l’habitude 1877

Paul Ricoeur 1913 – 2005 Lecture ricoeurienne de Ravaisson dans le volontaire et l’involontaire Benoit Thirion

GWF Hegel 1770 - 1831            Philosophie du droit 1821          

Jacques Rhéaume Vocabulaire Changement et Psychosociologie 2002   

La conduite du changement ESEN        

Christophe Faurie Conduite et mise en œuvre du changement

Pierre Bézier 1910 - 1999 CAO UNISURF Renault Petite histoire d’une idée bizarre 1982