Seize personnes ont participé à ce débat, qui s’est tenu à la suite de l’Assemblée Générale de l’association « Le Café-Débat de Saint Quentin en Yvelines ».
Le langage, l’expérience et la vérité
Une partie du débat a porté sur le besoin de préciser les définitions au-delà de ce qui en est dit dans le texte de présentation, sous peine de ne pas se comprendre, surtout sur ce sujet. Justifier ses croyances, ce serait la même chose que rechercher la vérité, quelle qu’en soit la forme. Entre démontrer et justifier, il y aurait « prouver », c’est-à-dire apporter des éléments simplement convaincants, alors que « démontrer » impliquerait l’intervention d’une preuve construite.
A l’opposé, il a été avancé qu’une croyance n’a nul besoin d’être justifiée, car elle ne concerne que soi : on n’a pas besoin de justifier à soi-même pourquoi on croit. La justification n’intervient que dans une relation avec les autres, pour expliquer ou pour convaincre. Ce que l’on croit n’a de valeur que pour soi, alors que pour vivre ensemble on a besoin de principes partagés par tout le monde, pas de vérités qui peuvent faire mal.
Ce point a été complété en détaillant la différence entre croyance et foi : la croyance est individuelle, elle est un jugement personnel. La croyance c’est admettre des dogmes sans se poser de questions. La foi implique une reconnaissance réciproque entre personnes, entre celui qui donne sa parole ou inspire confiance et celui qui la reçoit, ou fait confiance. On a foi en son médecin, en la promesse d’une personne qui nous a prouvé sa droiture, en la parole de Jésus parce qu’on la trouve juste et bonne pour le devenir de l’Humanité.
Concernant la vérité, deux points de vue ont été exprimés : le premier estime que la vérité est universelle, et que son approche réside dans l’accroissement cumulatif et détaillé de nos connaissances, en les choisissant et les hiérarchisant en fonction de leur utilité ; le second avance que la vérité est relative, et dépend beaucoup du contexte et de l’interprétation que nous faisons des faits en fonction de nos moyens de perception et de compréhension. Cette question de l’objectivité des valeurs et de la connaissance est exposée en détail dans l’ouvrage de Raymond Boudon « Le juste et le vrai »[i]. Elle est illustrée par la fable de l’éléphant et des six aveugles : « Six aveugles rencontrent un éléphant et se demandent ce que c’est. Le premier tâte le flanc et affirme que c’est un mur, le deuxième touche une défense qu’il prend pour une lance. Un troisième prend la trompe dans ses mains et pense que c’est un serpent qui ondule. Un autre, touchant une patte, la prend pour un arbre. Un autre encore, près de l’oreille dit que c’est un éventail. Le dernier prend la queue pour un cordage ». Tous les aveugles ont raison, mais n’expriment qu’un point de vue partiel. L’éléphant est tout cela à la fois, et il est même plus que cela. [ii]
Même en physique fondamentale, une particule est à la fois onde et corpuscule, et apparaît sous l’une ou l’autre forme selon l’observation qui en est faite.
La croyance religieuse
Curieusement, la question de la foi liée à une religion, à l’existence de Dieu, a été très peu abordée. Il a été simplement remarqué que croire ou ne pas croire en Dieu sont deux croyances de même niveau de logique, et qu’un athée n’est pas plus rationnel qu’un croyant.
Sur un autre plan, n'est-il pas réconfortant de croire en la parole de Celui qui nous parle d’un Dieu qui nous aime, nous protège, nous donne de l’espoir et nous réserve un au-delà délivré des peines et des souffrances ?
Les sources d’information, leur diffusion, leur valeur
L’essentiel des débats a porté sur les moyens modernes de communication et de transmission des informations, sur leur qualité, leur fiabilité, leur degré de véracité, et sur la volonté supposée de certains d’en faire des instruments de combat indépendamment de tout souci d’objectivité, privilégiant ainsi la méfiance généralisée plutôt qu’une confiance contrôlée.
En réponse aux indications contenues dans plusieurs chapitres du document introductif, il a été apporté les nuances suivantes : depuis le Covid 19, la confiance dans les affirmations des médecins et l’efficacité des vaccins a chuté, car trop de mensonges ont été proférés et d’erreurs commises, notamment par les responsables scientifiques et politiques ; une entreprise doit faire des bénéfices, c’est sa raison d’être, mais certaines exagèrent ; les sectes jouent sur la crédulité, mais les politiques aussi ; certains scientifiques trichent, mais pas tous ; certains complotistes sont plutôt des lanceurs d’alerte, des personnes éclairées ou moins naïves, des gens qui expriment des vérités qui dérangent.
Bien que la discussion sur ces points ne soit pas allée très loin, il a été néanmoins répondu qu’il est toutefois curieux que ces « faux complotistes » qui sont en forte minorité fassent l’objet d’une audience aussi élevée dans les médias et les réseaux sociaux. Il a été rappelé que lorsqu’un doute prétend exister sur un événement quelconque, y compris des résultats scientifiques, la charge de la preuve incombe à ceux qui doutent, parce que, si on peut montrer que quelque chose existe, il est impossible de montrer que quelque chose n’existe pas. Je peux montrer que les chevaux existent, je ne peux pas montrer que les licornes n’existent pas. C’est à Trump de démontrer qu’il y a eu des fraudes lors de l’élection présidentielle aux USA en 2020, pas à Biden de prouver qu’il n’y en a pas eu.
Une personne s’est revendiquée ouvertement complotiste, estimant que tout ce qui dépend de la pensée « officielle », tout ce qui apparaît comme « étonnant », est le fait de complots cachés, mis au jour grâce aux réseaux sociaux (et non à cause d’eux) qui seraient la meilleure source d’informations crédibles pour la recherche de la vérité. Ainsi, en politique, il existerait un nouvel ordre mondial caché qui tire les ficelles au travers des dirigeants de tous les pays. Pour défendre ce point de vue, elle indique faire confiance à ses émotions, à son ressenti, qui sont la caractéristique de l’humanité, plutôt qu’à des analyses critiques trop impersonnelles. Cette position n’a pas été commentée.
L’influence des médias a été aussi abordée. S’il y a consensus pour dire qu’Internet est un outil extraordinaire pour obtenir des informations et des connaissances en un temps record, des objections ont été avancées concernant leur fiabilité, notamment quand on les cherche sur les réseaux sociaux et non grâce à des sites « sérieux », « crédibles » et « officiels », sans dire quels sont les critères qualifiant ainsi ces sites, en dehors de quelques exemples fournis (France Info, Légifrance, CNRS, NASA, Airbus, etc). Il existe aussi des sites décortiquant objectivement les fausses informations. Quant aux sites porteurs d’une « pensée différente », il leur est donné une importance exagérée, car il est bien connu que « les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne »[iii], que le métier de journaliste a bien changé, est devenu plus difficile et plus formaté (par les lignes éditoriales, les conférences de rédaction). Les chaînes d’information se font une concurrence acharnée conduisant à diffuser les mêmes choses en même temps, souvent en quelques lignes ou quelques secondes, sans véritable vérification, ou encore en constituant des dossiers à charge n’exprimant qu’un seul point de vue pour dénoncer un « scandale » réel ou imaginaire, sans qu’aucune thèse contradictoire ne soit évoquée pour aller vers plus d’objectivité. Il s’agit là de la mise en œuvre parfaitement assumée du biais de confirmation, peut-être pour de nobles motifs, mais en utilisant une démarche trompeuse éloignée de la recherche de la vérité.
Dans le domaine médical, il a été dit que la science n’explique pas tout. Certains ont fait état de faits particuliers, personnels ou bien connus, inexplicables dans le cadre de la science actuelle : remèdes de rebouteux qui marchent, guérison inattendue après consultation téléphonique d’un guérisseur, effet Placebo, homéopathie, etc. Les plus optimistes pensent que les progrès de la science permettront certainement d’expliquer cela dans le futur.
L’éducation et la formation de l’esprit
Plutôt que de se concentrer sur l’accumulation de connaissances dont une bonne partie est inutile, l’école devrait en priorité se focaliser sur l’acquisition par les enfants de méthodes de pensée, et singulièrement leur apprendre la manière de forger leur esprit critique dans le but de savoir résister aux attraits de la mode, de la pensée dominante, de la dictature du groupe, des injonctions des réseaux sociaux. On éviterait ainsi les conséquences désastreuses des harcèlements de toute nature dont on a vu encore récemment les aboutissements tragiques.
Les avis divergent quelque peu quand ont été évoquées certaines fables contées par les parents à leurs enfants : la croyance au Père Noël, la petite souris des dents de lait, le petit Jésus qui avait prévenu avant de faire une bêtise, etc. Certains pensent que cela influe sur les croyances ultérieures des enfants, d’autres estiment au contraire qu’ils savent parfaitement s’en dégager en apprenant ainsi à distinguer la vérité de l’affabulation.
La formation tout au long de sa vie, l’expérience acquise lorsqu’on prend de l’âge devraient nous inciter à valoriser la vieillesse et favoriser ainsi la transmission et la qualité des connaissances.
En guise de conclusion
Il a été décrit brièvement la naissance et la diffusion d’une fausse information ayant abouti à ce qui a été appelé en 2008 – 2009 la « vague de suicides à France Telecom ». On en trouvera la description détaillée dans l’ouvrage indiqué de Gérald Bronner.
Compte-rendu rédigé par Jean-Jacques Vollmer
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[i] Raymond Boudon : « Le juste et le vrai » Fayard 1995
[ii] On trouvera de cette fable une description audio détaillée en suivant ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=OU3VXzPLDYg
[iii] Cette question est développée dans l’ouvrage de Gérald Bronner « La démocratie des crédules » PUF 2018