L'Imaginaire, une nécessité ?

Du Dictionnaire Larousse, au mot imaginaire : qui n’existe que dans l’esprit, sans réalité, fictif.

Petite correction à cette définition : il existe une réalité psychique, « dans l’esprit ».

 

L’Imaginaire peut être conçu comme un refuge quand nous sommes malheureux. Dans ce cas il est vraiment nécessaire. Par exemple, un être difforme peut s’imaginer en Adonis, un sportif de seconde classe en champion olympique, quelqu’un qui a perdu un être cher l’entend parler derrière lui….cela fait du bien. La littérature ou  le cinéma peuvent aider ; ou  en musique, les romances, berceuses, ou au contraire le zim-boum-boum, etc… Le but est alors d’oublier  le Réel. Les rêves nocturnes se chargent parfois de ce travail.

Le gros avantage est que tout cela est gratuit : l’Imaginaire n’appartient à personne, au contraire de ce qui est Réel : les maisons, les entreprises, les partis, les Eglises, etc….

 

Mais l’Imaginaire est-il nécessaire même quand nous ne sommes  pas spécialement malheureux ? Et si nous voulons analyser notre vie, réfléchir à son Mystère ou simplement la décrire, ne peut-on se limiter au Réel ?

Le problème du Réel est qu’on a du mal à le cerner. Il est bien connu que la relation exacte d’un fait est très difficile même si on s’en tient à ce qui s’est passé, et est souvent impossible si on veut expliquer les motivations des protagonistes. Aussi a-t-on  recours à des situations imaginaires, dans lesquelles sont proposées ces motivations, avec ou sans succès, le consommateur en décide. C’est la mission principale de presque tous les Arts.

Littérature.

Comment mieux décrire l’ambition d’un jeune homme qu’en inventant un Rastignac : « Et maintenant, Paris, à nous deux ! ». Comment mieux décrire l’ennui provincial et le désir de s’élever dans la société par tous les moyens qu’en inventant une madame Bovary ?

Les Rastignac, Bovary,…  sont bien plus Réels que les personnes qui ont vraiment vécu et ont été les modèles de Balzac, Flaubert,….En effet, ils sont des concentrés de plusieurs personnes, dont l’auteur. Ils tentent de nous montrer  la vie telle qu’elle est.

Cinéma, théâtre.

Le cinéma et le théâtre ont les mêmes caractéristiques que la littérature. Le problème est que les personnages sont incarnés, alors que la littérature laisse le lecteur les imaginer, et par là même mieux sentir ses propres facultés d’ Imagination.

Peinture.

Surtout depuis les  impressionnistes,  le but des peintres n’est pas de copier le Réel, il y a pour cela la photo (tout juste inventée à l’époque). Il est de nous faire ressentir les émotions provoquées par un paysage ou des personnages. Pour cela, il y a recours à des traits et des couleurs qui ne sont pas les « vrais ». Par exemple, l’ambiance du « Moulin de la galette » de Renoir est bien mieux rendue que par une photo.

 

L’Imaginaire a donc comme fonction de décrire notre environnement, mieux que ne peut le faire une description purement factuelle.

 

Quels sont les domaines qui se passent de l’Imaginaire ?

- La Science (et sa fille la technique), qui veut se limiter à ce qu’on sait ou pourrait savoir dans le futur.  La Science est anti Imaginaire, ce qui la rend aride, et les Scientifiques peuvent parfois être bien ennuyeux !

Et pourtant, c’est dans les mathématiques qu’est le mieux décrit le mode de fonctionnement de l’Imaginaire : les calculs de courant alternatif sont parfois difficiles ; mais il est possible de les simplifier en ajoutant aux variables des variables complémentaires « imaginaires » ; le retour aux variables réelles se fait par des règles qui, heureusement, sont simples. On a triché avec le Réel pour mieux le calculer !

Parmi les Sciences, l’Histoire a un rôle particulier, en ce qu’elle décrit des faits, mais dès qu’on touche à l’Homme, on repart dans la littérature.

- Le sport. Là, il y a des résultats intangibles, quelques chiffres qui résument complètement un événement. Par exemple, Montigny a battu Magny 1 à 0. Cela a un côté rassurant, en ce que personne ne peut contester ; et l’arbitre a pour rôle de dire la « vérité ».

C’est peut-être ce côté incontestable qui donne au sport-spectacle tout son succès. Le sport pratiqué en amateur est autre chose : un rendez-vous bien réel avec soi-même, corps et esprit.

- L’économie, qui fonctionne un peu comme le sport, avec la performance au centre de l’activité, une unité de mesure qui arbitre les performances, l’argent, et ses paris (boursiers dans ce cas).  Etant tributaires de l’Economie pour notre vie quotidienne, nous pouvons dire que nous baignons  dans le Réel.

- Un art très spécial : la Musique. Certes, elle peut accompagner la littérature, lui donner du relief comme pour l’opéra ou la chanson conçue comme une romance (cf plus haut). Mais la musique a par essence un autre but : décrire, faire découvrir aux humains leurs propres  humeurs et les faire savourer : humeur  gaie (Clavier bien tempéré de Bach,  Chantons sous la Pluie…), amoureuse (Petite fleur de Sidney Bechet), triste (Requiem de Mozart), violente (musique militaire), joyeuse dans l’altruisme (Neuvième de Beethoven, l’Auvergnat de Brassens), …Humeurs bien réelles, bien que psychiques.

 

Et quid  des  Religions ?

C’est un fait incontestable que nous ne savons pas si « Dieu » (être supérieur à l’Homme) existe, sous une forme ou une autre. Cependant, nous ne pouvons exclure cette possibilité. Les religions ne sont donc ni Imaginaires, ni purement Réelles. Donc, si Il existe, alors les religions nous proposent de voir comment Il pourrait être (ceci est une version du pari de Pascal), de même qu’un roman propose une version du Réel ; mais contrairement à un roman, cette proposition dit aussi ce qu’Il  attend de toi, pauvre mortel, et la proposition est suivie, ou non, d’une adhésion. Le problème est que  beaucoup de croyants ne sont pas conscients de cette limitation à une proposition, car cette limitation n’est pas inscrite dans les textes fondateurs comme la Bible ou le Coran ; et cette confusion avec un Réel Historique est pour moi la source des guerres de religion : un désaccord sur le Réel se termine toujours mal.

Dans le même ordre d’idées, nous trouvons les utopies ou idéologies, avec leur rêve d’absolu (n’est-il pas nécessaire de penser un peu que l’organisation d’un monde meilleur serait une affaire simple ?), et aussi leur fréquente dégénérescence en violence (1789, 1917 ).

 

En conclusion, en plus de son côté « consolateur », l’Imaginaire a un rôle formateur fondamental, il permet d’apprendre à vivre, bien mieux que les représentations purement factuelles. Mais on ne passe pas sa vie entière à apprendre à vivre, et il faut bien « faire bouillir la marmite ». Et, la formation étant plus importante pour les jeunes que pour les vieux, la « consommation » d’Imaginaire devrait-elle être plus l’apanage des jeunes ?

Benoît DELCOURT

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