Quel rôle joue l'intuition dans la compréhension du monde ?










  Du fait de la nature humaine, comprendre est une de nos exigences les plus profondes. En effet, l'esprit n'est satisfait que lorsqu'il trouve une explication aux êtres et aux choses. Comprendre est donc l'un des actes les plus importants de la connaissance car cela apporte, en même temps, la sensibilité sur les choses saisies et cela renforce l'intelligence. Mais avant de comprendre il faut connaître et aussi se familiariser avec cette connaissance, quand elle est complexe. Ensuite il faut avoir de l'intuition pour saisir ce qui est unique, incomparable et irremplaçable dans les êtres et les choses, les œuvres et les événements.

  On entend par intuition une forme de connaissance, directe et immédiate, qui ne recourt pas au raisonne-ment, c'est un don de perspicacité et de pénétration qui s'apparente à l'instinct et qui permet de voir d'emblée la nature cachée des êtres et des choses. Dans la compréhension joueront suivant les domaines : les intuitions divinatrices et intellectuelles, rationnelles de DESCARTES et irrationnelles de PASCAL et de BERGSON.

- L'intuition divinatrice est à la source de toute création. Elle fournit les idées de départ aux  découvertes et aux inventions.

- L'intuition intellectuelle, indépendante de l'expérience, elle apporte l'interprétation objective et contrôle le raisonnement.

- L'intuition rationnelle de Descartes apporte les vérités rationnelles, les propositions évidentes ou indémontrables qui servent de base au raisonnement.

- L'intuition irrationnelle de PASCAL a pour base la compréhension des manifestations du cœur, en tant que siège de l'affectivité (plaisir, douleur, sensations, émotions, sentiments et passions).

- L'intuition irrationnelle de BERGSON est comparable à un instinct supérieur, qui est apte, en pénétrant au cœur des êtres et des choses, à prendre contact avec leur intériorité profonde et de révéler ce qu'ils sont en eux-mêmes.

  Il existe deux grands types de compréhension. En effet l'être humain, du fait de sa nature, se situe à la croisée des chemins de deux mondes très différents qui ne s'abordent et ne se comprennent pas de la même façon. Si le premier, constituant le monde extérieur à l'esprit, est perçu directement et constamment par les cinq sens et l'affectivité, il n'en va pas de même pour le second, le monde intérieur à l'esprit qui n'est détecté que par la prise de conscience du vécu de ses manifestations. C'est dans ce monde que s'exerce le dialogue intérieur de l'être humain avec lui-même.

  Du reste le philosophe allemand DILTHEY a séparé les sciences humaines de la métaphysique. Il a distingué deux types d'explications : 1. L'explication ou l'interprétation objective des phénomènes denses du monde extérieur ; 2. La compréhension des phénomènes humains et spirituels quand l'humain saisit à l'intérieur de son esprit les manifestations de celui-ci, parce qu'il en aperçoit la signification vécue.

  D'ailleurs deux des définitions du mot esprit correspondent au second type d'explication. La première désigne le principe de la vie psychique, la seconde le principe de la vie spirituelle (ce qu'il y a de plus profond dans l'esprit humain, à savoir son âme, son essence divine ou sa nature profonde selon les convictions de chacun).  

  Je n'insisterai pas sur la compréhension des phénomènes du monde extérieur qui engage la partie consciente du psychisme et qui nous est familière depuis longtemps. Par contre, deux difficultés se présentent pour aborder le monde intérieur (la partie inconsciente du psychisme et le monde spirituel). La première est que notre société, matérialiste et hédoniste, ne nous incite pas à prendre contact avec ce monde caché. La seconde est que la compréhension de ces phénomènes présente un obstacle de taille car l'être humain ne saisit, en premier lieu, que la conséquence de ces phénomènes (ex. : il a un moment de vrai bonheur. Quelle en est la cause profonde ?) ou la somatisation de ceux-ci (ex. : il a mal à l'estomac. Quelle en est la cause? Physique ou psychologique?). Ne prenons que les phénomènes fâcheux pour une meilleure compréhension de ce qui se passe. Ensuite il faut qu'il prenne conscience du lien de cause à effet qui existe entre ces phénomènes et leurs répercussions sur le corps (avertissement du psychisme ou de la nature intime que quelque chose ne va pas en eux). Sans en être conscient il ne soignera que l'effet, que le  mal, et non la cause, c'est-à-dire les troubles passagers ou persistants de l'esprit (un trouble persistant, non soigné se somatisera à nouveau et ceci jusqu'à sa guérison). En second lieu il doit se rendre compte de la conséquence psychologique du phénomène situé généralement en marge de la conscience. Il lui reste alors à "aller chercher" la cause de ses troubles, consciente ou inconsciente. Exemple simple : un individu étouffe (symptôme physique d'un trouble psychique). Il étouffe parce qu'il est gêné et oppressé (conséquence psychologique du trouble psychique). Pour se libérer de la sensation d'étouffement l'individu ayant, par exemple, commis une faute qu'il a cachée, doit en prendre conscience et réaliser qu'il se sent coupable. En avouant sa faute il se libérera de son trouble et de sa somatisation. Ici la sagesse populaire a engendré de multiples expressions telles que : cela me reste en travers de la gorge, ce qui se traduit généralement par un mal de gorge ; j'en ai plein le dos, mal de dos ; je ne peux pas digérer ce qu'il m'a fait, mal à l'estomac ;  forte contrariété,  problème au gros intestin...

 

  L'être humain qui veut comprendre doit adapter le mode de compréhension à la connaissance qu'il veut saisir, il doit aussi l'inclure dans le système de connaissance adéquat car on ne comprend pas de la même façon un raisonnement philosophique, un morceau de musique ou une situation stratégique.

     Comprendre c'est saisir le sens :  

- d'un signe. Le signe est un objet matériel simple qui, par convention, tient lieu d'une réalité complexe. Traduire un certain langage, un système de signes ou de symboles suppose d'en avoir la clef, ainsi on ne peut comprendre l'algèbre, la musique, une langue étrangère que si on en connaît les signes, les notes ou l'alphabet (Champollion a déchiffré les hiéroglyphes, l'écriture cunéiforme n'a pas encore été décryptée).

- d'un symbole. Le symbole est généralement un objet concret chargé d'affectivité, il évoque quelque chose d'abstrait ou d'absent (ex. : le train symbole de l'évasion, la blancheur symbole de l'innocence...). Le symbole révèle aussi les secrets de l'inconscient (ex. : le soleil, symbole masculin : actif, rayonnant, fécondant et pénétrant ; la terre, symbole féminin : passive, fécondée) : symboles venant de la nuit des temps. Ils traduisent l'effort des hommes pour déchiffrer et maîtriser un destin qui leur échappe à travers les ignorances et les mystères qui les entourent.

- d'un mythe. Le mythe est un récit fabuleux qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects du génie ou de la condition humaine, personnelle ou collective (le mythe de Prométhée, le mythe de la caverne, le mythe de Don Juan...).

- d'un archétype. Chez Jung, les archétypes sont des symboles originels et universels, actifs et très puissants, appartenant à l'inconscient collectif. Archétypes à qui Jung attribue un rôle central dans la vie psychique. Exemple : l'archétype de Dieu a déclenché de tout temps de grands mouvements religieux, moraux, artistiques... Cet archétype, projeté sur le soleil, donne le Dieu-Soleil qui éclaire et guide comme un père, d'où le soleil symbole psychologique du grand principe masculin et du père.

Comprendre c'est rendre raison d'une chose.

Rendre raison c'est : 1. rechercher une explication claire et précise de celle-ci. 2. La rendre légitime en la faisant admettre comme juste et conforme à la raison. 3. Trouver sa raison d'être en justifiant le bien fondé de son existence. Expliquer une chose équivaut à trouver l'origine de son phénomène, sa cause, son essence, ses conditions d'existence, son but...  Ceci transforme cette compréhension en connaissance, et pour finaliser celle-ci, il reste à la transformer en savoir pour l'intégrer à notre vie intellectuelle par des expérimentations successives. Elles conforteront et préciseront l'explication (connaître ne signifie pas forcément pouvoir utiliser ; alors que savoir implique qu'on soit capable d'employer ce savoir avec discernement). Comprendre c'est ensuite incorporer ce savoir dans un concept auquel ses propriétés le destine, ou en créer un.

     Comprendre c'est créer des concepts.  

Un concept regroupe un certain nombre de connaissances ayant des propriétés communes inscrites dans celui-ci. Il est formé par abstraction et généralisation. Un concept possède un nom générique, un nom spécifique et des propriétés (ex. : l'embranchement (nom générique) des vertébrés ou vertébrés (nom spécifique) ayant une colonne vertébrale (propriété).  

     Comprendre c'est créer des systèmes de connaissances hiérarchisés...

en vue d'en saisir le sens et de pouvoir l'expliquer. Ces systèmes sont constitués de concepts qui prennent chacun une place rationnelle et fonctionnelle en s'enchaînant les uns les autres (ex. : la géologie a pour concept général  la  géologie, les propriétés de celui-ci sont : structure et évolution de l'écorce terrestre. Ce premier concept est divisé en d'autres concepts appelés ère (leurs noms spécifiques sont : l'ère archéenne ou précambrienne qui a pour propriété : terrains ne détenant pas de fossiles, l'ère primaire...). Les ères sont elles-mêmes subdivisées en périodes (ex. : le cambrien, première période de l'ère primaire dont la propriété est : premiers terrains des temps fossilifères).

     Des facteurs psychologiques et moraux interviennent dans la compréhension.

Ainsi la curiosité : on cherche ou ne cherche pas à découvrir et à comprendre. La volonté et l'attention : on veut ou on ne veut pas comprendre. La culture : on peut ou on ne peut pas comprendre. La crédulité intervient aussi car être crédule c'est accepter  les doctrines, les idéologies, les dogmes... sans compréhension profonde de ceux-ci. Naturellement l'affectivité intervient : nous comprenons d'autant plus facilement que cela nous intéresse ou qu'on aime. D'ailleurs une maxime illustre ce qui précède : "d'un côté il faut connaître pour aimer, de l'autre il faut aimer pour mieux connaître".  La  recherche de l'objectivité fait que l'on doive s'affranchir de la partialité, des préjugés, des a priori... pour donner une représentation aussi fidèle que possible de la réalité.  

  Dans les deux mondes, faire l'expérience de ce qu'on a appris et de ce qu'on a compris est primordial car la compréhension est plus encore, comprendre ce n'est pas seulement assimiler les connaissances à la seule vie intellectuelle, c'est transformer ces connaissances en culture, c'est-à-dire les intégrer intellectuellement et spirituellement à sa personnalité, à son moi profond, c'est-à-dire prendre à cœur, faire sien l'objet, la valeur ou l'être auquel la personne se donne.

 

     En conclusion toute compréhension, aidée par les exemples, se réalise grâce aux intuitions qui surgissent en cours de processus, interrompant momentanémment le travail de la raison. D'ailleurs sans intuition aucune compréhension n'est possible, c'est une donnée de la nature.

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