L'amitié est-elle plus qu'un lien social ?
L'amitié est un lien très fort. C'est indéniable. C'est par excellence un rapport important entre l'individu et la société. Synonyme de lien social c'est cependant aussi un sentiment qui « échappe » aux règles sociales.
Quand on évoque cette émotion, les réponses divergent sensiblement selon que la réflexion porte sur ce qu'est l'amitié en général ou lorsqu'il s'agit de parler des amitiés particulières avec des personnes nommées.
Dans un sondage (IPSOS 2000), si 96% des personnes interrogées considèrent l'amitié - en général - importante à leur équilibre personnel, 49% des consultés la jugent indispensable à titre personnel.
Aucune amitié - à ma connaissance - ne naît spontanément, au coin d'une rue ou dans une rame de métro : on appelle ça un coup de foudre, ce n'est pas de l'amitié, mais un sentiment amoureux, mais ceci étant une autre histoire.
En général donc, l'amitié répond à des codes sociaux bien dessinés par les sociologues. C'est en pratiquant nos différentes activités, par notre intégration à la société que naît cette relation : à travers le milieu professionnel, l'environnement résidentiel et les cursus scolaires, comme dans les réseaux sociaux personnels : clubs de sport, parti politique, café débat...
Toujours dans le sondage cité plus haut, c'est dans le milieu scolaire que nous rencontrons un quart de nos amis. Nous construisons notre personnalité et nos éducations accompagnées de personnes qui vont développer leur propre identité sur un schéma semblable au notre, ainsi commencent donc certaines amitiés.
Dans le milieu professionnel, où nous passons quand même l'essentiel de notre temps, sur un certain nombre de mois ou d'années, ce taux tourne aux environs de 20%. Ici, nous ne choisissons pas nos relations. L'amitié franchit rarement les barrières sociales et hiérarchiques. Quelques relations de camaraderie voire un peu de sympathie naissent dans un même service, ou par même niveau hiérarchique, mais voilà tout ! Après tout disait une de mes collègues, on passe déjà tout notre temps ensemble au boulot, c'est pas en plus pour le (la) supporter le soir ou le dimanche !!!!
De plus, si vous avez la malchance de travailler dans un milieu où s'exerce de la jalousie ou des rancoeurs, voire quelques rumeurs, difficile d'imaginer y trouver un ou une amie...
Seule l'absence d'enjeux qui créeraient des tensions, l'interdépendance dans la fonction ou la valorisation du poste de travail de chacun peut permettre à une amitié de se créer... à hauteur d'environ 3.5 ou 7%... !
Nos relations de voisinage, quant à elles, n'évoluent vers l'amitié que dans environ 15% des cas. Le peu de contrainte qui existe dans la relation de voisinage est propice à la naissance d'affinités et d'amitiés. La fréquentation des MJC, des maisons de quartiers est favorable à l'apparition de ce lien social qu'est l'amitié. Quel que soit le lieu de vie (cité U, HLM, résidence pavillonnaire), le relationnel s'établit facilement, autour des enfants, des personnes à mobilité réduite ou des personnes âgées comme autour d'un pied de fraisier, de la tonte de la pelouse, des enfants, des fêtes de quartier ou de village...
Dans les quartiers dits sensibles, les regroupements sont liés à des notions de clans. Et souvent, pour certains résidents de ces quartiers sensibles, chacun reste chez soi de peur de rencontrer des « délinquants », et préfèrent se taire plutôt que de devenir la cible d'un groupe dit d'enragés, fi de l'amitié. Mais le débat n'est pas là !
Pour le reste, l'environnement personnel (personnes rencontrées par l'intermédiaire de la famille ou des amis) les taux sont inférieurs ou égaux à 10%.
De même, il y a ces relations qui naissent de passions communes, comme le sport, la musique ou un café débat, et dont les contraintes sociales sont quasi inexistantes. Seuls sont alors en jeu nos propres critères, notre appartenance à une catégorie sociale, à nos valeurs etc.
Voilà dont définis les éléments qui permettent la naissance d'une relation amicale. Enfin tel qu'on peut en résumer - brièvement et succinctement - ce qu'en disent les études sociologiques. Alors, les sentiments dans tout cela... ??
Autant je comprends le principe d'une relation née de notre appartenance à tel ou tel groupe (...), autant je ne peux croire qu'une amitié se résume à cela : un lien social entre deux êtres humains. Car enfin, l'amitié est-elle vraiment aussi rationnelle ? Ainsi, parce que nous avons un parcours similaire, nous pouvons être amis ? Et nous ne pouvons envisager facilement d'avoir des liens avec des personnes issues d'autres classes sociales...
Non, d'eux-mêmes, les sociologues savent qu'il y a une part émotionnelle dans l'amitié. Et que ce sentiment échappe aux règles sociales...
Posez la question autour de vous : avez-vous des amis ? Pourquoi le sont-ils ? Viennent-ils tous d'une même catégorie socioprofessionnelle ? Ont-ils les mêmes avis politiques, les mêmes goûts artistiques que vous ? Sont-ils nos ‘clones' intellectuels ?
La question qui me tarabuste, qui m'a donné envie d'initier ce débat est loin d'être anodine : pourquoi celui-là plutôt qu'un autre ? Pourquoi, ainsi, suis-je, devenue amie avec Claudie plutôt qu'avec Nathalie, que j'ai pourtant rencontrée au même endroit, dans le même contexte et dont les parcours sont similaires au mien ? Qu'on ait croisé l'un ou l'autre au travail, au club, au café débat ou ailleurs... ce sont bien les sentiments qui créent une amitié.
L'amitié est la forme la plus aboutie de l'altruisme : l'individu s'y accomplit dans un autre lui-même. Cette relation mutuelle est d'autant plus forte que, contrairement à l'amour, elle ne doit rien à la passion. En observant l'autre, on se découvre peu à peu, on redessine sa propre identité qu'on n'avait accepté de fait, et que seul le regard qu'on porte sur l'ami et donc sur soi même nous permet de voir... Il faut accepter de se montrer sans fard, accepter les défauts et l'imperfection de l'autre, comme on prend conscience des siens. Pour certains, l'ami est le miroir de ses propres émotions, la preuve qu'on existe pour quelqu'un. C'est un rempart contre cette solitude qu'on vit, même dans la multitude. Celui qui sait nous critiquer et qu'on peut critiquer à son tour sans rupture...
Il en est de l'amitié comme d'une plante fragile : on l'entretient, on doit parfois faire le sacrifice d'un peu de temps, mais c'est ce temps donné qui enrichit notre relation. Sentimentalement, l'amour passe, on en guérit (souvent), on en trouve un autre (si on a su libérer son cœur), un jour ou l'autre, mais de la perte d'un vrai ami, s'en remet-on un jour ? Et des amis, combien en avons-nous ? Je ne parle pas de ses relations qui finissent par disparaître un jour, de ces collègues avec qui on a travaillé des années, avec qui on est parti en vacances et qui, le jour de la retraite ou du changement d'emploi ne donnent plus de nouvelles... Et les exemples de fin d'histoires « amicales » sont nombreux, nous en avons tous à raconter.
Quand bien même on peut expliquer ce sentiment par des explications académiques, sociologiques et philosophiques, ce qu'est l'amitié, une fois tout les éléments réunis, il faut une alchimie... et entre autres, c'est tout de même d'accepter de se confier, de se dévoiler, pire, se mettre à nu ! et de savoir jusqu'où ça peut aller..?
Dans le jeu du purement émotionnel, j'aurais pu aussi vous parler de nos faux amis, ou de ces amitiés étouffantes, castratrices, dans lesquelles certains se trouvent enfermés. On peut aussi aborder l'amitié dans le couple ou entre membre de la même famille ; de l'amitié virtuelle ; de l'amitié homme/femme mais aussi de l'amitié homme/homme, cette bonne vieille amitié virile et soi-disant incompréhensible pour nous les femmes. Tout autant nous pourrions parler de l'amitié femme/femme, en dehors de la connotation femme/mère, amitié qui répond en écho à celle de ces messieurs. Nous pourrions parler de ceux qui n'ont pas d'amis. Ou qui ne savent pas les garder.
Pour conclure, je dirais qu'après avoir lu Kant, Aristote ou Claire Bidart (L'amitié, un lien social. La Découverte. 1997), je ne sais toujours pas pourquoi l'un ou l'autre sont mes ami(e) s. Que, même si en effet je retrouve toutes les clefs définies par les sociologues dans mes relations amicales avec l'un ou l'autre, je dirais que, homme et femmes confondus, ils tiennent largement sur les doigts d'une seule main. Qu'ils jouent un rôle primordial dans ma vie comme j'espère en jouer un dans la leur. Et, aussi irrationnel que ça puisse paraître, peu m'importe les études qui sont faites, pour moi l'amitié, comme le dit Montaigne en parlant de son amitié avec La Boétie : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi » (Les essais livre I chap. XXVIII.)...