La vieillesse, un tabou?

LE TEMPS DES DERNIERES ESPERANCES

 

Au Louvre, on peut voir une statue de Voltaire,le corps presqu’entièrement nu, décharné et aux veines saillantes. Cette œuvre de Jean-Baptiste Pigalle, sculptée dans le marbre quelques années avant la mort du philosophe, créa le scandale. Comment avait-on osé exposer un de nos plus grands penseurs dans cet état de décrépitude dû au grand âge ? Et que peut-on lire dans ce message muet laissé par l’artiste alors que Voltaire traversait l’ultime étape de sa vie ?

 

Lire la note en bas de la page 2.

 

  ELUCUBRATIONS 

 

 … Et voilà que tout ce qui m’a emballée, réjouie, qui a enrichi ma pensée, permis de l’exprimer, tout cela aujourd’hui me paraît vain, j’en suis bien attristée et ceux que j’aime n’y sont pour rien ! La faute au virus ? Oui bien sûr, il nous tourneboule les esprits celui-là, nous rend cinglés dit-on. Mais en ce qui me concerne, c’est ma faute, ma très grande faute : comment ai-je pu devenir vieille au point que parfois les choses m’indiffèrent. Après avoir tant aimé, ri et pleuré, après avoir vécu des années à me nourrir de livres, de la sagesse des sages, à flirter avec la poésie et les choses de l’Art, à expérimenter, à réfléchir, à me dire que, ça y est, cette fois, je tiens les choses par le bon bout… tout soudain devient abstrait, mes idées se délitent et puis m’échappent. J’ai l’impression parfois de n’être plus qu’un tas, tout juste bon à roupiller devant Caroline roux, le JT, sur le dernier livre de Pascal Picq ou d’Adèle VanReth. J’ai quelquefois la tentation de dire :  A quoi bon, puisqu’il est trop tard.

 

Il faudrait qu’un jour nous parlions de ce que c’est que d’être vieux...A qui ? Aux jeunes bien sûr, mais il y a peu de jeunes en ce lieu.

 

Peut-être nous demanderaient-ils :

 

Est-ce que les vieux ont la trouille de la mort ou la trouille d’être morts ? Lorsqu’ils racontent leurs souvenirs, la mémoire les arrange-t-elle un peu afin de donner belle forme au récit de leur vie ? Cette mission est-elle impossible pour certains parce que leur vie fut un bordel pas possible depuis le début jusqu’à la fin ? Et que pensent-ils, les vieux, du temps qui passe ?

 

AH, LE TEMPS !Justement, parlons-en :

 

Pierre nous dit que les siècles ne coïncident pas avec l’Histoire. Mais c’est sûr… et bien sûr ! [t1] Le temps, celui que l’Homme -qui a la manie de tout mesurer -a débité en secondes, en minutes, en heures, en jours et en semaines, et puis en mois, en années et en siècles…afin de pouvoir affirmer qu’il existe, ce temps-là je vous le dis, n’est qu’artifice : le temps c’est l’histoire de l’Humanité, il se construit au fur et à mesure qu’elle avance et chacune de nos vies se fossilise en lui, en soutient l’édifice. Et c’est nous qui passons. Pas le temps puisqu’il est l’Histoire des Hommes et qu’elle ne finira qu’à la fin, non pas du monde, mais de l’Humanité. Cette idée est tordue je le sais, mais ne pourrait-on l’examiner, ne serait-ce que pour s’exercer de temps en temps à voir les choses par un autre biais ?

 

Plus on avance dans la vie, plus celle-ci prend de la vitesse comme si on nous avait fourgué dans le tambour d’une essoreuse soudain devenue folle. Le jour se lève. Quelques heures plus tard le soir tombe. Et c’est une journée qui vient de passer, une de plus, mais aussi une de moins, hélas !Parce que, sachez-le :  nous,les vieux, en voulons toujours davantage. Pourquoi? Pour être avec vous les petits, encore et toujours, pour vous protéger, vous aider à vivre, à mourir peut-être, pour vous prendre dans nos bras, prendre aussi vos enfants dans nos bras, pour vous soulager du fardeau de vos chagrins, de vos peines et tourments... On ne peut pas vous laisser tout seuls sur la terre comme des orphelins et nous avons ce désir fou : connaître la fin de l’histoire de chacun. D’avoir donné sans doute trop d’importance aux vanités, on se dit maintenant que notre grande chance ce fut d’aimer… et d’être aimés. 

 

Encore quelques mots à l’adresse des enfants, et de tous les compagnons rencontrés en chemin :  sans vous,je vous le dis, sans vous, nos vieux cœurs depuis longtemps en auraient eu assez de battre, et cela pour rien !

 

 NOTE : En observant la statue de Voltaire on est saisi par l’expression emplie d’intelligence du visage, beau et ressemblant, et par le sourire d’espérance qui l’illumine.Cette œuvre serait donc l’allégorie du triomphe de l’esprit sur le corps.

 

                                                 Charlotte Morizur. Pour le 28 novembre 2020.

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