Religions : pourquoi cette obsession du sexe ?

A l’origine de ce texte, un étonnement. Alors que les religions sont censées se préoccuper de spiritualité, de transcendance, en un mot de « s’occuper d’une nature supérieure que l’on appelle divine et de lui rendre un culte », pourquoi sont-elles à ce point obsédées par ce qu’il y a dans nos culottes ? Pourquoi l’acte le plus banal, le plus naturel, le plus trivial qui soit, la copulation, pratiquée par toutes les espèces sexuées depuis des centaines de millions d’années, puisse à ce point obséder les religieux.
Voici pensais-je, un sujet aussi plaisant que facile à aborder. Une abondante littérature sur un tel sujet ne devait certainement pas manquer. Erreur ! Si quelques études partielles existent, Gabriel Audisno, un éminent inconnu de l’université de Provence, constate que le temps de la synthèse n’est pas encore venu. Loin de nous la prétention d’une quelconque synthèse. Nous nous contenterons seulement d’explorer quelques pistes de réflexion.


Je vous en proposerai trois :


1. Écoutons d’abord un vieux réflexe. Chercher à qui profite le crime ? Y a-t-il des raisons objectives de pouvoir et de profits à s’immiscer dans les alcôves pour s’ériger en gendarmes de la vie sexuelle des autres.


2. Seconde piste. Lors de leur établissement, les religions ont épousé les usages, les pratiques, les valeurs et les mythes des sociétés dont elles sont issues pour ensuite les codifier

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3. Troisième piste. La pudibonderie qui est une forme extrême de la pudeur, serait-elle naturelle à notre espèce, et les religions ne feraient-elles qu’en forcer le trait ?

Première piste


Raisons objectives de pouvoir et de profits des religieux de se faire les gendarmes de la vie sexuelle des autres.
 

A y regarder de plus près, les religions ne se contentaient pas de s’immiscer dans les alcôves. Elles prétendent aussi avoir droit de regard sur tous les aspects de la vie des populations jusque dans les consciences, de la naissance à la mort. Ainsi, Michel Foucault soulignait « …le développement des procédures de direction et d’examen de conscience, vers le milieu du 16e siècle». La confession, imposée à la masse des fidèles catholiques, est un remarquable dispositif de contrôle. Le concile de Trente, milieu du 16ème siècle, apparait comme le grand tournant en matière de répression sexuelle et de contrôle de la famille. Mais Gabriel AUDISIO dans : « Famille, religion, sexualité » note des divergences entre chercheurs « la prise en main de la société par l’église, dans le domaine de la famille et des comportements sexuels, se situerait pour les uns au XIe siècle avec la réforme Grégorienne ; les autres vers le 14e siècle au moment de la réforme. Mais déjà dans l’épître aux Galates, rédigé dans les années 54-56, Paul exhorte à se laisser mener par l’Esprit pour ne pas se laisser guider par la convoitise charnelle. Peu importe la controverse sur les lieux et les époques. Ce qui compte, c’est que cette surveillance si étroite, jusque dans les recoins les plus intimes des consciences, permettait de les contrôler. Il est amusant de constater que depuis leur origine, les religions ont toujours tenté de s’immiscer dans la sphère la plus privée de l’être humain, dans les méandres les plus secrets de l’intimité, afin d’asseoir leur pouvoir. Pour l’anecdote, souvenons-nous que le Pape Clément VII (7) au 16ème siècle, a été amené à statuer sur la virginité d’une Reine, la 1ère  épouse d’Henri VIII et que le différend a conduit au schisme anglican. Mais ce contrôle, source de pouvoir, est aussi une source de revenus. Au moyen-âge, abbayes et  monastères ont possédé jusqu’à 25% des terres agricoles, obtenues par différents legs de chrétiens soucieux de se faire pardonner leurs fautes. En occident le clergé est demeuré puissant et opulent jusqu’au 20ème siècle.
Si aujourd’hui en Europe, et particulièrement en France, la pression de la religion historiquement dominante, a baissé à la mesure de sa perte d’influence, aux États-Unis un courant protestant : « Le puritanisme » encadre encore fortement la société.  C’est un courant Luthérien pour lequel, “la ‘chair’ est une autre manière de dire le péché originel. Ce véritable “intégrisme sexuel” est représentatif de la montée du fanatisme religieux qui, aux États-Unis, s’accompagne du renouveau de l’ultra-conservatisme politique. Curieusement, ce véritable “maccarthysme sexuel”, s’accompagne de voyeurisme moral, comme dans l’affaire Lewinsky.


Seconde piste


Les religions ont repris et reproduit des usages des sociétés dont elles sont issues.

Pour Durkheim, père de la sociologie française,  « La religion est une émanation de la société et une célébration de la société par elle-même ». Les religions ont repris à leur compte, assimilé et codifié des usages des sociétés dont elles sont issues. Des fouilles archéologiques ont révélé certaines pratiques culturelles, bien antérieures aux religions auxquelles elles sont généralement associées. Par exemple, une archéologue turque a découvert que certaines femmes sumériennes il y a 6 000 ans portaient sur la tête un voile, semblable au voile réputé islamique d’aujourd’hui. Aujourd’hui, ce voile dans nos banlieues prend une tout autre signification, en l’occurrence, l’appartenance à une communauté endogame fermée à toute union extérieure, notamment à la communauté exogame dans laquelle elle est immergée, plus par intérêt que par choix.
Dans tout l’espace méditerranéen, l’infériorisation de la femme codifiée par les religions du Livre est bien antérieure à ces religions. Les mariages arrangés ont été de tout temps, dans les sociétés agraires et pastorales le moyen de ne pas disperser le patrimoine et de le garder au sein de la lignée. La surveillance étroite des femmes, la répression féroce de l’adultère féminin par lapidation, garantissaient que les biens ne sortent pas de la lignée masculine. Ensuite, les livres saints ont repris et codifié ces usages. Une tradition millénaire a façonné nos esprits, que nous soyons hommes ou femmes, de manière que le masculin serve de norme inconsciente, d’étalon universel. Pour Pierre Bourdieu, «la domination masculine est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne l’apercevons plus ». La méfiance à l’égard du féminin est bien partagée. «Je te remercie, mon Dieu, de ne pas m’avoir fait naître femme», répètent les juifs orthodoxes à la prière du matin. On n’a pas besoin d’être juifs orthodoxes pour le penser secrètement le matin devant sa glace, en se rasant.


Troisième piste


La pudibonderie qui est une forme extrême de la pudeur pourrait être une inclination naturelle.


Sans vouloir dédouaner le moins du monde les religions, reconnaissons néanmoins qu’elles n’ont pas le monopole de la pudibonderie. Les multiples expériences révolutionnaires laïques, de la Commune de Paris à la révolution Chinoise en passant par la révolution Russe, notoirement antireligieuse, ont fait preuve, elles aussi, d’une certaine pudibonderie. Au 19ème siècle le philosophe Proudhon, que l’on présente souvent comme le père de la mouvance libertaire, professait sur la question, contrairement à Charles Fourier, un conservatisme qui pouvait rivaliser avec celui de l’Eglise de son temps et le puritanisme qui sévissait au XIXe siècle. Proudhon ne concevait la sexualité que dans le strict cadre du mariage fécond et classait toute forme de libertinage ou de recherche d’une liberté sexuelle parmi les « vices » intrinsèques, pensait-il, à la classe dirigeante du Second Empire… et aux femmes ! Évidemment ! Il manifestait en outre, surtout sur la fin de sa vie, une véritable obsession contre l’homosexualité. Tant Trotski que Lénine en 1917 jugèrent « décadente » la conception de la liberté sexuelle et d’émancipation d’Alexandra Kollontaï, première femme ministre d’un gouvernement. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le PC italien adopta une position tout aussi conservatrice et calquée sur le modèle stalinien, fondée sur une morale rigide et la stabilité d’un mariage fécond, mettant en exergue les bienfaits d’une vie « sévère et honnête » par opposition à une vie dite « dissolue ». En Chine le costume Mao a symbolisé l’effacement programmé de la différence des sexes dans les pays communistes, sous prétexte de l’avènement d’un «homme nouveau».
Mais la pudeur n’est-elle pas une inclination naturelle à notre espèce ? Même nos plus proches parents primates, les bonobos, copulent à tout va sous le regard de tous. Serions-nous la seule espèce à faire preuve de pudeur ? Probablement. Nous n’apprécions généralement pas que l’on nous tienne la chandelle.  Même au sein des sociétés dites primitives, les couples s'isolent discrètement à l'extérieur de la maison commune pour passer à l’acte. Tout parent de filles ou de garçons reconnaitra qu’à l’adolescence, la nudité si naturelle aux jeunes enfants fait place à la pudeur. Gardons-nous de trancher entre l’inné et l’acquis dans ce domaine, comme dans d’autres, d’ailleurs. Par exemple, le fait que nos attributs aient été si couramment qualifiés de « parties honteuses » n’est pas innocent dans le formatage des inconscients.


Conclusions


S’il est un domaine où la chape de plomb de la religion a pesé de façon absolument tragique, c’est bien celui du rapport de l’être humain avec son corps et donc de la sexualité. La pudeur est un vécu subjectif, fortement lié au sentiment de honte sur lequel jouent de nombreuses religions et certains pouvoirs totalitaires comme soulignent des philosophes, sociologues comme Kundera.
Depuis les débuts du christianisme, le corps, la chair ont été considérés comme étant la cause directe de la faute, de la souillure, du « péché », donc de l’offense faite à Dieu. Faut-il rappeler que la femme est, depuis les origines, le vecteur essentiel et condamnable de la séduction, du plaisir, de la fornication et que c’est par son truchement que le Diable entraîne l’humanité à sa perte. D’où l’importance démesurée et pathologique accordée à la virginité dans les religions monothéistes qui conduit, dans les mœurs et traditions, à des dérives inimaginables.
Mais on trouve des marxistes comme le philosophe, sociologue Herbert Marcuse (20ème siècle) pour dire que « Laissés libres de poursuivre leurs objectifs naturels, les instincts fondamentaux de l’homme seraient incompatibles avec toute association et toute protection durables : ils détruiraient même ce qu’ils unissent. Éros, sans garde-fou est tout aussi fatal que sa contrepartie mortelle, l’instinct de mort ». De même, pour Sigmund Freud la civilisation serait fondée sur l’assujettissement permanent des instincts humains. Commençant par l’inhibition méthodique des instincts primaires, la civilisation exige une répression de plus en plus intense de la sexualité, permettant des relations collectives durables et susceptibles de s’étendre. L’Éros refoulé serait l’énergie de l’histoire. Inversement, la libre satisfaction des besoins instinctuels de l’homme serait incompatible avec la société civilisée. C’est leur opinion, elle est utile à connaitre, mais personne n’est tenu de la partager, évidemment.
Le meilleur démenti de ces certitudes ne serait-il pas le rapport différent des Grecs et des Gaulois à la nudité, à la sexualité et à l'érotisme. Inutile d'ailleurs de rappeler que durant l'antiquité certains Grecs et Gaulois se battaient nus.
La pudeur serait une dimension précocement construite par l'éducation, importante pour l'insertion sociale.


Milan Kundera (1929) est un écrivain de langues tchèque et française. C’est un dissident qui a collaboré à la charte 77.


Charles Fourier : socialiste utopique du 19ème  créateur du concept de phalanstère.

Godin : Socialiste utopique du 19ème  créateur du phalanstère de Guise (le familistère) créateur de la société Godin, les fameux poêles du même nom.

Herbert Marcuse, 1898 -1979 est un philosophe, sociologue, marxiste, américain d'origine allemande, membre de l'École de Francfort.


 

 

André HANS

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