Face au conflit des valeurs, quelle démocratie ?
Le pluralisme libéral et ses critiques
1. Définition de la valeur : Une valeur est une norme qui guide et oriente le choix et l’action humaine. Ex. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux. » (art. 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) est un jugement de valeur. Ce jugement exprime mieux, proclame, défend, une norme, un idéal à atteindre, qui veut guider l’action humaine. La valeur donne un sens à l’existence (du moins à l’existence humaine). Les valeurs morales forment un corps de doctrines qui prennent forme d’obligations qui s’imposent à la conscience comme un idéal.
A.Camus L’homme révolté 1951 : « si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, tout est possible et rien n’a d’importance. Point de pour ni de contre …, faute de valeurs supérieures qui orientent l’action, on se dirigera dans le sens de l’efficacité immédiate. Rien n’étant ni vrai ni faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus efficace, c'est-à-dire le plus fort. Le monde ne sera plus partagé en justes et en injustes, mais en maîtres et en esclaves ».
2. La question des valeurs ? Tous nos comportements ont pour origine notre civilisation, notre culture, notre milieu social, notre éducation. Il est vrai que les valeurs transmises par l'éducation et qui, l'habitude aidant, deviennent une "seconde nature" sont précisément transmissibles par l'éducation parce que nous sommes des êtres humains et donc des êtres conscients. L'éducation en l'occurrence, ne crée rien. Elle ne fait qu'actualiser ou développer des possibilités natives de l'humanité. Cela nécessite :
Une capacité de discernement : savoir distinguer le bien du mal ;
Une capacité d’auto-contrôle, effort, courage, discipline.
3. Conflit de valeurs : Tout problème moral pose conflit de valeurs. Dans un conflit de valeurs, deux ou plusieurs valeurs apparemment aussi bonnes les unes que les autres s’affrontent. Un conflit des valeurs décrit une situation morale ou politique, telle que le sujet est condamné à faire un choix qui sacrifie une ou plusieurs valeurs, auxquelles il croit et auxquelles il tient, tout en faisant preuve de tolérance.
4. Problématique de la crise des valeurs : pour l’individu, l’expression ‘crise des valeurs’ signifie perte des repères et du sens. Les repères moraux sont essentiels à l’agir humain. La crise des valeurs appelle donc chacun à se questionner sur les valeurs et principe qui doivent le guider. Pour la société, l’idée de crise renvoie à la rupture d’un équilibre. Le pluralisme des valeurs semble inévitable. Il nous force à repenser le vivre ensemble.
5. Les fondements d’une démocratie : Le régime politique démocratique se confond pour beaucoup, avec la possibilité de choisir librement et régulièrement ceux qui sont appelés à nous gouverner. Chaque fois qu'un régime dictatorial est remis en cause, et l'actualité est significative à cet égard, les peuples qui se révoltent réclament en premier lieu ce droit de choisir leurs gouvernants.
Il apparaît que des élections libres ne constituent que le premier aspect d'une démocratie, et que ce dernier doit être accompagné au moins par un autre principe tout aussi important.
Quel est ce principe? Quelle que soit la majorité qui se dégage des urnes, il convient que l'ensemble des citoyens soient assurés que des droits fondamentaux seront garantis.
La démocratie « cette autre manière de dire le pluralisme (devoir être), est toujours tendue vers la recherche de l’unité », de type occidental, recommande l'usage du vote soit dans le cadre de la démocratie représentative, la démocratie semi directe (usage du référendum, recours aux élections primaires), participative, directe. Si le vote démocratique se trouve être légitimé comme seule source légitime du pouvoir, il est fréquent de constater surtout lorsque le sujet est complexe ou met en jeu des positions très antagonistes, qu'il laisse une minorité parfois importante des votants, mécontents du résultat. Et si la majorité, bien que légitime, se comporte de façon arrogante ou intransigeante, la situation peut apparaitre comme une « stratégie de force » de type « gagnants contre perdants ». Et même si cette minorité accepte la « règle du jeu » et la décision prise, elle sera tentée de résister activement ou d'atténuer les conséquences de cette décision jusqu'à la « revanche prochaine », au prochain scrutin.
6. Pluralisme démocratique : Souvent confondu avec la pluralité, qui décrit un fait, le pluralisme est un concept normatif qui prend position sur le devoir-être. Le pluralisme moral des valeurs estime que vivre une vie bonne demande d’arriver à établir, un ordre cohérent parmi d’autres, de valeurs, ou d’autres éléments normatifs, pluriels et conflictuels. Le pluralisme moral est une position concurrente du monisme (un seul système de valeurs ordonné et raisonnable), et du relativisme (toutes les valeurs sont conventionnelles).
Le pluralisme démocratique doit être relié à l’exigence de consensus et d’unité, car il n’y a pas de société démocratique sans volonté de vivre ensemble, sans un accord raisonnable sur les règles du jeu politique. Le pluralisme est certes constitutif de l’histoire des partis politiques, mais la problématique politique est gouvernée par les exigences de cohérence et d’unité.
La contradiction réside en ce que le politique demeure tendu entre deux exigences, l’unité et la pluralité, l’identité et la différence. Le pluralisme est le principe de l’unité dans la diversité. 4 règles : neutralité de l’Etat, séparation de l’Eglise et de l’Etat, liberté de conscience et de religion, égalité morale des individus.
Le pluralisme libéral lui, atomise, isole les individus les uns des autres, conduit à la fragmentation sociale.
7. Problématique de décision. Comment résoudre les conflits qui opposent les individus qui partagent des valeurs différentes, voire opposées ? Lorsqu’on doit prendre une décision collective, comment choisir les valeurs qui fonderont cette décision pour assumer, et gérer positivement cette diversité ?
Prise de décision par consensus (mot latin qui signifie accord, au sens de sentiment commun), est un accord général entre les membres d'un groupe, pouvant permettre de prendre une décision sans vote préalable.
8. Exemples pour imager le conflit de valeurs
Différentes questions actuelles touchent aux fondamentaux du lien humain: vivre ensemble avec des valeurs communes, cas du mariage pour tous, en ayant en arrière plan: qu'est ce que l'amour, est-ce qu'il y a un droit à l'enfant, les enfants sont ils des sujets de droits, la filiation chaque enfant se pose les questions de savoir qui est son père et sa mère, la théorie du genre, ensemble d’interrogations relatives à la famille. Il faut y rajouter les problèmes qui touchent en principe l'éthique et la morale, ex: le corps humain est-il marchandisable, peut-on vendre ses organes, autoriser la GPA, la PMA, la prostitution. Le respect aléatoire des valeurs républicaines exemples civisme, sureté ... Les changements dans la constitution depuis 1958 ont été faits sans consultation populaire (ex la peine de mort).
On rappellera l’article 29.2 de la déclaration universelle des droits de l’homme :
Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi exclusivement, en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui, afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.
9. Débat : La pluralité des croyances morales, des convictions sur le bien, des visions du monde, s’est imposée comme un fait incontournable dans les démocraties libérales d’aujourd’hui. Certains vont au-delà d’un tel constat et considèrent que le respect de cette pluralité doit guider, en premier lieu, tout État de droit garantissant aux citoyens la jouissance de leurs libertés fondamentales. Autrement dit : pluralisme des valeurs et exigence de justice seraient indissociables. Or, leur conciliation ne va pas de soi, ni en théorie ni surtout d’un point de vue pratique, car qui fonde et transmet ces valeurs (idéologies, sociétés humaines, école, famille, sport, République, religions, …) ?
Si notre univers moral se caractérise, par la souscription à des valeurs parfois incompatibles et conflictuelles :
Comment l’ordre démocratique peut-il garantir un consensus politique autour de ses propres valeurs de base ?
Faut-il immuniser certaines valeurs contre le désaccord ? Ou bien, l’antagonisme des valeurs est-il une ressource pour animer et fortifier la vie démocratique ?
Les convictions au sujet du bien et d’une vie réussie ont-elles leur place dans le domaine public ?
L’État, doit-il rester neutre en la matière, et quelle réponse doit-il apporter aux individus dont les valeurs s’écartent de celles de la majorité ?
Les difficultés actuelles de la démocratie et ses remises en cause, sont elles issues du pluralisme libéral.
Autant de questions qui reviennent à se demander comment les démocraties libérales peuvent et doivent aujourd’hui faire face au conflit des valeurs en veillant à la stabilité de la société ?
Daniel SOULAT
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