Quelle école pour quelle société ?
Avertissement : je suis enseignante en sciences économiques et sociales (lycée), je ne cherche pas à être objective, ce texte correspond à ce que je ressens et vois.
L’école de Jules Ferry devait faire de tous les enfants des citoyens, et permettre à la nation de repérer les élèves les plus capables de servir leur pays, de quelque origine soient-ils. L’idée étant de réaliser une démocratie solide et performante, autrement dit de rebattre les cartes.
Aujourd’hui notre économie a besoin de collaborateurs qui fassent preuve d’initiative et de fortes qualités d’adaptation. Pour cela il faut une ouverture d’esprit, de l’imagination, l’envie de découvrir mais aussi de développer une certaine solidarité puisque le travail d’équipe est reconnu, actuellement, comme le plus efficace. La communication a donc un rôle primordial.
Petits, les enfants sont curieux, désireux d’apprendre. Comment évoluent-ils au sein de l’école ?
Si tous les enfants sont scolarisés, leur réussite dépend plus souvent du milieu social que des capacités individuelles de chaque enfant. Il n’y a qu’à regarder la fréquentation des études supérieures par milieu d’origine, les enfants des cadres et professions intellectuelles supérieures (nomenclature de l’INSEE) y sont surreprésentés, alors que les enfants d’ouvriers y sont peu nombreux.
D’une manière générale, dans les lycées, le constat ne porte pas vraiment à l’optimisme :
La première chose qui frappe en seconde, c’est la passivité des élèves. La lenteur à se mettre au travail reste visible quel que soit le niveau. Il faut souvent préciser : « notez ceci » et voir que le crayon n’est pas en main, ou que la feuille n’est pas prête. Terminées la curiosité, l’envie d’apprendre de découvrir…
Le niveau d’orthographe baisse de plus en plus, ils n’ont pas conscience que l’orthographe c’est aussi du sens, et que utiliser « coup » à la place de « coût » n’a pas la même signification.
Le vocabulaire est de plus en plus restreint, l’accès à des documents pose souvent des problèmes de contre sens voire d’incompréhension totale. Exemple relevé : les cours d’EPS « dispensés » dans les lycées : beaucoup ont compris que les élèves étaient dispensés de ces cours !
Etre présent et concentré pose de plus en plus souvent problème.
L’ouverture d’esprit ne semble pas à l’ordre du jour, personnellement j’ai l’impression d’assister à un repli sur soi. Peut être une peur de l’environnement social, économique ?
La notion de travail reste inchangée, pour eux c’est tout d’abord participer, être attentif, comprendre. Ils parlent moins de l’écrit mais c’est évident, le cours doit être pris avec soin. Ce qu’ils ajoutent, c’est qu’ils ne veulent pas faire que ça, ne pas ressembler au bon élève qui n’a pas d’amis. Le rebelle a une certaine cote.
Dans un tel contexte comment va évoluer la communication ? Vont-ils se réveiller au moment des études supérieures ? Et ceux qui sortent du système sans diplôme ?
Dans le positif, ils sont tout à fait performants quand il s’agit de nouvelles technologies. Par contre ils utilisent beaucoup de copier-coller.
Il y a de plus en plus d’élèves dyslexiques dyspraxiques ce qui montre une adaptation du système à des élèves un peu différents.
On le voit entre les besoins économiques de la société et ce que peut actuellement l’école, le décalage est important. Quelles pistes suivre ? Qui a une influence sur quoi ? L’école est-elle un élément qui permet un meilleur fonctionnement de la société ou n’est-elle qu’une éponge, un reflet de celle-ci ?
Réformer l’école, comment ?
Un enseignement complètement revisité qui utiliserait uniquement les nouvelles technologies ? Mais le support papier reste important. Les enseignants ont recours à de nombreux extraits de rapports et d’article de journaux. Les élèves doivent produire des exposés, des TPE (Travaux Personnels Encadrés). Rédiger reste une nécessité qui s’étend au monde de l’entreprise, et apprendre demande du travail qui peut sembler rébarbatif. Il faut écrire, se relire, corriger, ce n’est pas inné, la persévérance s’impose et pour la plupart ne fait pas partie de leurs exigences.
Un temps prévu et encadré permettant de faire le travail extra scolaire à l’école ? Il faut des « encadrants » qui s’en chargeraient, comment seraient-ils payés ?
Un lien plus important avec l’entreprise, mais sous quelle forme ? Des stages, des visites ? Trouver du temps aussi bien du côté des établissements que du côté des entreprises n’est pas si simple à mettre en place.
Des classes moins chargées, on demande de l’interaction, il faut canaliser l’énergie et forcer l’attention d’élèves habitués à s’exprimer « trop » facilement, qui ont l’habitude de zapper.
Pourquoi faut-il opposer apprendre pour apprendre ou cibler plus particulièrement ce qui est directement utile, est-ce antinomique ?
Qu’attendent ces enfants ?
Même si l’éducation nationale a été qualifiée de mammouth, les réformes petites où grandes se succèdent à un rythme beaucoup plus important que ce qui est perçu. Sur le long terme elles semblent plus déstabiliser les enseignants et les élèves qu’améliorer les choses en profondeur.
Leur mise en place est souvent trop rapide, sans préparation efficace. Pour exemple les TPE mis en place par Monsieur Allégre. Décidés au printemps, ces travaux personnels encadrés avaient pour but de permettre aux élèves de se préparer à l’autonomie afin d’être plus aptes à réussir les études en fac. Ils ont été mis en place à la rentrée suivante, avec un seul texte pour référence et des profs qui ont dû plus ou moins improviser. Résultats : les élèves qui obtiennent en général de bonnes notes, sont ceux qui savent déjà travailler seuls.
Quant à la dernière réforme qui se met en place depuis septembre 2010, le but premier n’était pas une amélioration du niveau des élèves, mais de réaliser des économies. Certaines idées auraient pu être intéressantes, mais comment faire beaucoup avec peu ? Par contre ses effets sur la filière ES ne vont pas dans le bon sens.
Quant à notre société, de quoi a-t-elle besoin ? Sommes-nous capables de choisir une société et une école plus intelligente plus humaine, plus juste ?
ELisabeth TOUZOT