Est-ce un art que de gouverner ?

La notion d’art a été bouleversée, si bien que tout ou presque peut devenir un Art.

Quand on parle d’Art, cela englobe toute activité humaine qui, utilisant les connaissances acquises, les met en application pour atteindre un but déterminé. On distingue plusieurs notions mais celle qui nous intéresse aujourd’hui se situe dans le domaine du métier ou de l’habileté technique. L’art de gouverner se place bien évidemment dans cette proposition.

L’accès au pouvoir suppose – qui en douterait ? – de la démagogie, c’est-à-dire, en schématisant un peu de façon extrême (quoique !), de mentir au peuple, en tout cas de ne pas dire toute la vérité sur ses intentions. Or, qu’est-ce que le mensonge si ce n’est une manière de travestir la réalité pour tendre vers un but précis qui est, dans le cas que nous abordons, d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir.

On pourrait également parler de machiavélisme (« qui vise à tromper par le mensonge », dixit Le Petit Larousse) tout en restant parfaitement dans l’une des définitions de ce qu’est l’art politique, c’est-à-dire l’art de la sophistique, donc du déguisement de la vérité, de la dissimulation et de la manipulation. Ce système a même été érigé en concept, celui de la raison d’état, au nom de laquelle tout est permis.

Freud disait que gouverner est un métier impossible. Gouverner, c’est user d’artifices, trouver des subterfuges, tromper les hommes. L’art de gouverner, c’est aussi l’art de savoir parfaitement utiliser toutes ces techniques pour arriver à ses fins… mais la fin justifie-t-elle les moyens ?

Pour les sophistes de l’époque de Platon, il faut célébrer l’emballage au mépris de son contenu. Pour eux, la vérité réside dans l’efficacité, tout ce qui manque son but est faux. Ils enseignent à leurs élèves les recettes qui leur permettront de persuader leurs auditeurs en leur apprenant la technique du discours qui persuade. Ils sont en fait les premiers conseillers en communication. Quand Socrate enseigne des vérités immuables, Protagoras, son ennemi, vante les mérites de la parole séduisante et du verbe enchanteur. Mais un homme qui souhaite accéder au plus haut poste de l’état peut-il y arriver sans chercher à séduire son électorat ? (je parle ici de l ‘accession au pouvoir dans un pays démocratique car on peut aussi arriver à la tête d’une nation par la force et imposer une dictature. Dans ce cas, il n’est pas pensable de considérer qu’il s’agisse de l’art de gouverner quand le pouvoir a été ainsi pris de façon arbitraire).

Gouverner est bien un art dans le sens où c’est une activité humaine qui s’exerce par le biais de la politique dans une optique bien spécifique. Notons au passage que le vocable « politique » ( qui vient du latin « polis » et signifie la ville), désigne également une conduite adroite dans des affaires particulières. Dans le mot en lui-même se dégage une connotation d’habileté, c’est-à-dire d’ingéniosité voire de ruse et, sans trop vouloir extrapoler, une idée de manipulation sous-jacente. Ainsi, faire de la politique serait déjà être suspect.
Et bien oui ! Nos hommes politiques sont en quelque sorte des artistes au sommet de leur art, peut-être même des « stars »… Qui en douterait encore en les voyant en première page des magazines people ?

Cependant, gouverner ne devrait pas être considéré comme un art mais plutôt comme une volonté farouche de se mettre au service de ses concitoyens, un peu comme une vocation, presque un sacerdoce, une fonction sacrée parce que la plus importante pour le pays. Il faudrait pouvoir oublier toute ambition personnelle, avoir la volonté chevillée au corps d’offrir ses capacités et ses compétences à la Nation sans viser le pouvoir pour le pouvoir (surtout quand on sait que la passion du pouvoir corrompt !). Sans doute, est-ce trop en demander à nos dirigeants, trop exiger de la nature humaine qui n’est que ce qu’elle est : humaine, donc faillible.

Mais peut-être y a-t-il aussi l’art d’être gouverné, celui d’apprendre la soumission qui va de l’obéissance forcée à l’enchantement de la servitude volontaire… ? Quoi de plus confortable que d’être dirigés, guidés et de laisser à ceux qui le désirent le pouvoir et son cortège de responsabilités et de contraintes. C’est bien de cela dont il s’agit quand on évoque la Mère-Patrie auprès de laquelle on peut s’abandonner, qui est là pour nous protéger, prendre en mains nos destinées et qui est représentée par ceux qui sont à la tête de l’état.

 

Ainsi, de l’art de gouverner à celui d’être gouverné, la nature des hommes finirait bien par y trouver son compte. Espérons qu’entre l’art et la manière, il reste encore une petite place pour des vertus telles que l’honnêteté, le courage, la franchise, l’abnégation et que l’art de gouverner n’est pas que celui d’être menteur, manipulateur ou machiavélique… Enfin, on peut toujours rêver !

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