Qu'en-est-il du conflit entre générations ?

Nul ne peut sérieusement nier la lutte entre les différentes classes sociales. D’autres luttes et d’autres inégalités existent comme celles entre les hommes et les femmes. Il existe pourtant d’autres clivages, dont celui entre les générations n’est pas le moindre. Il me paraît comme une évidence qu’à l’heure actuelle, certaines générations sont mieux loties que d’autres. Il est encore plus difficile de définir une génération qu’une classe sociale et nous l’emploierons de manière imprécise. Ne confondons pas non plus génération et classe d’âge, cela n’a rien à voir : la jeunesse est un état transitoire alors que l’appartenance à une génération est tout aussi immuable que le sexe. Dénoncer les inégalités entre générations, c’est risquer à être soupçonné de vouloir occulter les seuls et vrais clivages, ceux existant entre classes.

 

Personne ne choisit son année de naissance. Il est évident que certaines générations ont été ou sont plus favorisées que d’autres. Ainsi en est-il des hommes nés en 1894 et qui eurent vingt ans en 1914. Un quart fut tué dans les tranchées et un autre quart a subi des blessures aux séquelles définitives. A quarante ans, ils vécurent dans la crise des années trente et ils ont cinquante  ans en 1944. Moins de la moitié a atteint l’âge de 65 ans et parmi ceux-ci beaucoup eurent une retraite misérable. A l’inverse, la génération dorée semble être celle née entre 1944 et 1954. Elle a connu l’entrée dans la vie active pendant les trente glorieuses, a profité de la libération sexuelle et du pétrole peu cher. Certains d’entre eux ont eu droit à la préretraite et ont plus profité de la solidarité nationale qu’ils n’y ont contribué. La génération née entre 1935 et 1944 a moins profité de la libération sexuelle et du pétrole peu cher et en plus a connu la guerre et ses privations pendant son enfance ; néanmoins elle a elle aussi largement profité des trente glorieuses. Les générations nées après les années 50 ont connu un destin moins enviable que la génération des années 40 tant en termes de niveau de vie et d’emploi que d’ascension sociale. Les générations nées dans les années 40 comptent moins de catégories populaires (ouvriers et employés) dans leurs rangs que les générations qui les ont précédées et leur ont succédé.

La génération née en 1965 n’a pas connu le même taux de chômage à l’âge de 20 ans (33%) que celle née en 1950 (4%). Certains handicaps sont liés à la génération et plus encore, lorsque la jeunesse se passe dans de mauvaises conditions, certains problèmes qui en résultent ne sont jamais rattrapés et laissent des séquelles définitives. Il existe une croyance collective, en un progrès continu du bien-être des sociétés. Ma génération a été la première à profiter de l’apparition des lentilles de contact ; celle qui a suivi de la généralisation de l’orthodontie. Les jeunes d’aujourd’hui sont globalement plus grands et plus beaux que nous l’étions au même âge. Il serait pourtant illusoire de croire au progrès éternel comme il serait illusoire de croire à une croissance éternelle. Certes la médecine et les sciences en général continueront à progresser et nous continuerons à en profiter  mais c’est avant tout l’économie et la politique qui déterminent nos vies.

 

Les inégalités entre générations ne tiennent pas forcément à l’action machiavélique de certains mais sont dues plus généralement aux fluctuations de l’Histoire qui peuvent provoquer des situations d’injustices effarantes. Il appartient aux politiques de prendre en considération ces données et de reconnaître que le fardeau de la crise et les bienfaits des Trente Glorieuses n’ont pas été équitablement partagés. On peut y trouver une explication de la chute du vote en faveur du PS des 20-40 ans lors des élections passées et en même temps une attirance pour les thèses du FN. Nous savons par ailleurs que l’élection de Nicolas Sarkozy est due en grande partie au vote des retraités, c’est-à-dire des générations ayant un patrimoine. Certes la dégradation  de la situation des jeunes  de moins de 30 ans a occasionné un effort de solidarité des parents et des grands-parents  qui réduisent ces inégalités, mais la solidarité privée fait dépendre la situation des jeunes de la qualité de leurs relations familiales et de la richesse de leurs aînés.

 

Il est possible d’étayer ces considérations générales par des considérations particulières.  On pourrait parler de la retraite, de la dette, du chômage etc.

J’ai choisi un exemple relativement simple à comprendre : l’immobilier.

 

En 2011, 30% des ménages Français ont un emprunt immobilier sur les épaules, ce qui fait que 10 millions de ménages sont concernés (sur les 35 millions). Nous savons que 43 % des ménages Français sont locataires, soit environ 15 millions. En conséquence, il reste 10 millions de propriétaires de logements sans emprunt immobilier à rembourser. Ces derniers ont absolument tout intérêt à ce que la bulle immobilière se maintienne en place. En outre, comme leurs gains en pouvoir d’achat sont élevés du fait que le logement est la principale dépense dont le coût a explosé depuis dix ans, ils peuvent investir leur trésorerie et augmenter leurs avantages économiques sur le groupe des 25 millions. Il n’est pas possible de connaître exactement la pyramide des âges exacte des propriétaires. Tout laisse à penser que ce sont les 50/90 ans qui composent massivement la part des propriétaires sans emprunt. Ils ont bénéficié d’une période d’achat dans les années 90 qui était très favorable au regard de la période en cours. Le conflit générationnel est bien une réalité.

Les cycles de l’immobilier sont semblables aux cycles économiques même si les durées et les répétitions ne sont pas les mêmes. Cette bulle immobilière que nous connaissons en France n’est pas un phénomène nouveau, cette bulle a d’ailleurs éclaté dans la plupart des pays sauf en France.

Ce même phénomène s’était déjà passé en France après le krach de 1929 où les Français s’étaient détournés de la bourse et avaient fait monter le prix de l’immobilier de 1930 à 1935. A partir de 1935, les prix de l’immobilier ont perdu près de 50% en quelques années, jusqu’à retrouver leur niveau antérieur. Actuellement, rapportés aux revenus des Français, les prix actuels des logements dépassent de 80% le niveau approximativement constant enregistré entre 1965 et 2000. A plus ou moins long terme on peut s’attendre à des prix cohérents avec les revenus des acquéreurs.

Il est conseillé aux jeunes ménages de rester pour le moment des locataires en attendant que les niveaux de prix proposés par les générations plus âgées soient à nouveau raisonnables d’autant que des centaines de milliers de logements sont vides dans nos campagnes et dans nos provinces.

On pourrait évoquer de la même manière ce conflit de générations à propos de la dette, du chômage, de la retraite et il n’est pas interdit d’en parler lors de ce café-débat.

 

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