Débat du 5 Février 2022
DE L’INTIME A L’UNIVERSEL
OU
DU « JE » AU « NOUS »
Chacun de nous est passé par ce moment à jamais disparu de notre mémoire où, vers18, 24 mois, nous nous sommes reconnus dans un miroir. Aussi avons-nous peine à imaginer l’intense émotion que doit ressentir chaque petit enfant lorsqu’il réalise qu’il existe, qu’il est un être à part entière, et peut, en se voyant, se désigner en disant :« ça, C’EST MOI ! ». A partir de cet instant, il n’en finira plus de s’observer, de s’introspecter,de tenter de se définir,de projeter ce « MOI[1] »sur les personnes qui l’entourent pour chercher en elles un reflet de lui-même et donc une certaine universalité de ce qu’il a de plus intime, son for intérieur. Il s’opposera aux autres pour mieux s’en distinguer, et s’efforcera d’adopter leurs codes pour mieux s’en faire accepter.
Lorsque nous venons au monde chacun de nous prend une place, unique, définitive, singulière, dans la longue chaîne de l’humanité.« Être né quelque part est toujours un hasard », dit la chanson[2]. Et pourtant c’est ce quelque part qui forge notre identité : par la langue qui y est parlée, ses us et ses coutumes, la religion qu’on y pratique, sa culture, son climat.On ne choisit pas l’époque à laquelle on naît, ni le nom que l’on reçoit, on ne choisit pas non plus le fait d’appartenir à un sexe plutôt qu’à l’autre. Tout cela nous échoit par un mystérieux coup du sort et nous détermine,en partie … mais à jamais[3] !
NOUS
C’est avec tout ce qui compose notre psyché, ce« MOI »intime,qu’il nous faut aborder le monde extérieur. Et ce monde c’est « LES AUTRES », et pas forcément l’enfer ! L’être humain est un animal social. Alors, sous peine d’égarement ou de mort, ilnous faut impérativement être adopté par un groupe et c’est généralement celui de la famille, premier lieu d’apprentissage de la vie en société. La famille : un clan avec lequel, à force de côtoyer l’intimité des uns et des autres,nous sommes bientôt confondus. Et c’est là qu’intervient le « NOUS », ce terme qui nous rassemble,fait de tous un ensemble. Plus tard, nous intégrerons d’autres groupes,cela se fera d’autant plus facilement que nous en aurons bien compris les codes et adopté les usages. Il suffit de les voir à la sortie d’un collège pour constater qu’il est inutile d’obliger les ados à porter l’uniforme : tous, garçons et filles, ont exactement la même tenue, utilisent le même langage ;une façon de se rassurer en se laissant absorber dans le magma du« cluster ». Être intégré dans un groupe demande parfois à passer par de redoutables épreuves : le bizutage par exemple est le prix à payer pour être accepté au sein d’un collectif d’étudiants.Les pratiques maçonniques comportent des rituels, obligatoires pour celui qui souhaite intégrer une loge. Cependant une trop grande plasticité mentale, ou morale,ne risque-t-elle pas d’altérer l’âme de celui qui,abandonnant son libre-arbitre aux manipulateurs,ne serait plus qu’un pitoyable mouton de Panurge ?
Puisque nous parlions de langage, attardons-nous un moment sur celui que l’on utilise pour communiquer à l’aide de nos portables : depuis une dizaine d’années(…plus ?) nous faisons des appels aux émoji dans l’envoi de nos SMS. Ces petites représentations graphiques remplacent une expression du visage, un ton de la voix, un geste, un regard…, tout ce qui accompagne le langage oral, peut nous trahir parfois, et donne à nos interlocuteurs des indices qui les aident à mieux saisir le sens profond de nos paroles. Or les émojis nous viennent du Japon, un pays situé aux antipodes du nôtre, et il est tout à fait étonnant de constater que ces mimiques qui traduisent en quelques traits nos réactions sont les mêmes chez eux que chez nous. C’est donc que, malgré la diversité des langues, des coutumes, des cultures et religions, dont nous parlions en début de ce texte, malgré la singularité, l’unicité de chacun, nous sommes tous façonnés à partir de la même « pâte ».
L’Humanité est un immense « NOUS », dans lequel se trouve pulvérisée une infinité de « JE » à la fois tellement différents les uns des autres et porteurs de tant de similitudes. Cette observation est fascinante mais conduit à une interrogation.
En effet, comment se fait-il que la cohésion soit si difficile à établir entre les individus, entre les peuples ?Après tout ce qui a été dit plus haut, on pourrait croire que nous sommes faits, tous pour nous entendre avec tous[4]. En les côtoyant nous serions rassurés par la découverte de nos similitudes, ou séduits par nos différences. Alors, nous sortirions de chacune de nos rencontres le cœur comblé, le front rayonnant de bonheur en disant : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ! »
Peut-être Napoléon s’était-il posé cette question. En tout cas,il avait imaginé qu’en faisant vivre ensemble pour la durée de leurs études les jeunes princes d’Europe, ceux-ci resteraient liés à jamais par une indéfectible amitié. D’avoir partagé leur jeunesse ils s’aimeraient comme des frères. Puis, une fois installés au pouvoir dans leur pays, ces bons jeunes gens devenus rois ne pourraient se faire la guerre et l’Europe deviendrait un empire où règnerait la paix, la fraternité. C’est ainsi que les petits princes venus de toutes nations, furent installés à Versailles dans l’actuel lycée Hoche[5].
C’était une très belle idée…
L’expérience, hélas, ne fut guère concluante. Sans doute Napoléon s’était-il référé aux paroles de Thucydide qui, 465 ans avant notre ère, déclarait : « Nul n’est assez fou pour préférer la guerre à la paix. »Mais il avait probablement oublié que Caïn a tué Abel. Quant à Thucydide, jamais sans doute n’avait-il eu vent de cette histoire.
Chaque être humain possède une âme, un esprit, dotés d’infinies qualités. Certaines sont brillantes, d’autres défaillantes. Est-ce par une erreur de dosage qu’il est si difficile de dénicher l’âme sœur ? Et pourquoi, dès lors qu’entrent en jeu contingences matérielles, intérêts et soif de pouvoir, les nations ne peuvent trouver le consensus qui éviterait les conflits ?
Charlotte Morizur
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[1] Son ego
[2]«On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille / On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, / De Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher/ Être né quelque part est toujours un hasard… (Maxime le Forestier).
[3]Nous pourrons développer cela au cours du débat.
[4]On peut imaginer que les âmes sont munies d’une infinité d’atomes crochus (des scratches) et donc ont des tas de possibilités pour adhérer les unes aux autres !
[5]Ces somptueux bâtiments avaientété conçus et édifiés au siècle précédent par l’architecte Richard Mique. En 1888 eten hommage au général français de la Révolution, Lazare Hoche, on attribua son nom au fameux lycée.