Existe t-il des violences légitimes ?

« La violence est la loi de la brute » (Romain Rolland)

 

« Violence » : action d’intervenir sur quelqu’un en le faisant agir contre sa volonté, en employant la force et la brutalité.

« Légitime » : caractère de ce qui est reconnu conforme au droit, à l’équité, qui est justifié par le bon droit, la raison, le bon sens.

De ces deux définitions, puisées dans le Petit Larousse, il ressort une antinomie évidente entre « violence » et « légitimité ».

La violence est une puissance naturelle et commune aux hommes et aux bêtes. Il paraît donc difficile de pouvoir la légitimer. De la loi de la jungle à la culture génératrice, dans l’absolu, de sécurité et de tranquillité, il y a le contrat social (dont parlait Hobbes), la communication, le désir de vivre ensemble pacifiquement… mais aussi l’utopie de croire que c’est possible, car « le mal radical est dans l’Homme » écrivait Kant qui reconnaissait qu’il existe dans l’être humain un penchant naturel au mal.

 Notre liberté s’est acquise par la force et dans la violence et c’est avec elles encore que nous défendons ce privilège. La force a pour objet d’imposer l’organisation d’un certain ordre social dans lequel une minorité gouverne, la violence tendant à la destruction de cet ordre. Il est malheureusement plus problématique d’apaiser le désir de violence que de le déclencher. Qui serait encore prêt à « tendre l’autre joue » ?

 Etudions ensemble l’un des ressorts de la violence qui s’explique par la projection sur un autre du mal qui peut nous atteindre. Il est aberrant de penser que l’on peut vouloir réaliser une identité pleine et entière en imaginant que le sacrifice de certains autres y suffira. Cela a pourtant été justifié, voire légitimé, avec l’extermination des Juifs, des Tziganes, homosexuels ou handicapés mentaux afin de préserver la pureté de la race aryenne qui se pensait menacée pendant le dernier conflit mondial. Il n’y a que la violence et la barbarie qui croient encore que les armes peuvent être légitimes pour résoudre certains problèmes.

La violence inassouvie cherche et finit toujours par trouver une victime de rechange, un « bouc émissaire ». (Cette expression vient du Judaïsme. C’était un bouc que les prêtres, le jour de l’Expiation, chargeaient de tous les péchés d’Israël avant de le sacrifier. Ce même animal est utilisé également pour représenter le Diable dans l’imagerie populaire…).

La violence est une relation conditionnée par le rapport à soi-même, à son origine, à son identité. Si cette relation implique de faire un certain mal pour protéger l’identité, alors ce mal cesse d’en être un pour son auteur. La violence peut puiser sa légitimité dans des raccourcis étonnants : si Auschwitz a été un crime contre l’Humanité, quiconque touche à un être humain est en bonne voie pour refaire Auschwitz. Ainsi, en banalisant la Shoah, on n’a plus à comprendre pourquoi c’est aux Juifs qu’on s’en est pris tout spécialement et on peut, encore une fois, retourner l’Histoire contre eux (c’est le « Heil ! Israël ! » de Dieudonné), trouvant une justification aux attentats terroristes. La revendication identitaire est la base de la violence. Elle se veut légitime alors qu’elle n’est issue que de la peur, de l’ignorance et de l’intolérance.


L’état de droit, conçu afin d’éradiquer la violence et les guerres, dépend pour sa survie des instruments de la violence. Les couplets de notre hymne national en témoignent : « Allons, enfants de la Patrie… contre nous de la tyrannie… Aux armes, citoyens… qu’un sang impur abreuve nos sillons… ».

Si la violence affleure à chaque moment de l’Histoire, c’est qu’à l’origine elle suppose une incapacité à se parler, une impossibilité à utiliser le langage au lieu des armes.

La paix a un prix (« Qui veut la paix prépare la guerre »). La guerre est naturellement inscrite dans la nature humaine. La paix procède de la culture et de la construction, de la détermination des bonnes volontés. La diplomatie est l’art d’éviter la violence. Elle est un moteur puissant bien qu’elle travaille dans l’ombre. On passe le cap de l’acte violent et on le légitime par le constat d’échec de la dissuasion et de la diplomatie. Encore qu’utiliser la diplomatie pour faire pression peut être considéré comme une autre forme de violence…et que lorsqu’on emploie le terme de « force de dissuasion » pour parler d’un processus qui se veut pacifiste, on ne l’est pas toujours, les répercussions étant souvent dramatiques (exemple : l’embargo en Irak qui fit un nombre considérable de victimes parmi la population civile privée de tout). Que de formules sont ainsi utilisées pour recouvrir pudiquement des actes d’extrême violence : bavures, erreurs d’appréciation, frappes chirurgicales, dommages collatéraux… comme si les hommes qui les commettaient avaient eux-mêmes du mal à les assumer pleinement.

 La loi et le droit sont justifiables quand ils permettent de réduire les risques de la vie en communauté. S’ils doivent servir et légitimer le pouvoir et l’autorité sur les sujets en les asservissant, la violence s’installera inexorablement et la rébellion deviendra légitime. C’est ainsi depuis la nuit des temps…

Lorsque le gouvernement viole les libertés et les droits, la résistance, sous toutes ses formes, est le plus sacré de tous les droits et le plus grand des devoirs. L’Homme et l’Humanité ne sauraient s’arranger de crimes, d’indignité ou de négations des citoyens. Des hommes et des femmes de courage et de haute conscience morale n’ont pu faire l’économie de sang sur leurs mains pour libérer la France du joug nazi.

 Mais faire un principe absolu de la non-violence, n’est-ce pas donner raison, a priori, à l’adversaire prêt à utiliser tous les moyens ? La violence serait-elle, hélas, un mal nécessaire, légitime ? Ne pas l’utiliser reviendrait-il à déclarer vainqueur l’individu convaincu de ne pas y renoncer ? Et pourtant, y recourir, c’est aussi faire le constat de son incapacité à épuiser sa haine. La violence appelle la violence. Peut-on moralement cautionner, légitimer la violence lorsqu’elle arrête un processus qui menace d’être destructif ? On parle alors de légitime défense au lieu de parler de légitime violence, sans doute pour rester dans le politiquement correct !

 L’histoire des hommes se réduit souvent à l’enregistrement des faits et gestes qui découlent de leurs pulsions animales. Pour Hobbes, « l’homme est un loup pour l’homme »… Quand l’Homme recule, la Bête avance. Chaque fois que le droit disparaît sous la force, la violence triomphe là où le langage et les contrats faisaient avant la Loi.

La violence propose de régler les problèmes. En réalité, elle les déplace et les nourrit (exemple du conflit israélo-palestinien qui s’étend jusqu’à l’intérieur de nos frontières et s’exprime par des croix gammées sur les murs des synagogues de nos banlieues alors que Juifs et Arabes ont oublié qu’ils étaient des frères…)

 Malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde idéal et nul ne peut échapper à la violence accoucheuse d’Histoire, qu’elle soit légitime ou non, chaque camp ayant toujours pensé que sa propre violence est plus légitime que celle de l’autre.

Alors, pourrions-nous conclure que la violence n’a pas de légitimité mais qu’elle peut se justifier quand, hélas, il n’y a pas d’autres recours possibles….

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