I. Texte de Marc Hanotte, président de la FAS-SQY et responsable de l'équipe de St-Quentin-Est du CCFD-Terre Solidaire.
Le terme de solidarité est à la mode. Si l’on en croit les hommes politiques, il y a un « devoir » de solidarité dans notre modèle de démocratie, même si on lui définit souvent un cadre imposé par les moyens financiers ou parce que son efficacité économique serait limitée, du moins dans le modèle de développement économique que les pays occidentalisés suivent.
La crise de société que nous vivons, nous amène justement à questionner ce modèle ; les notions de justice sociale, d’égalité, qui impliquent une part de solidarité, sont (re)mises en avant, car elles ont été mises à mal depuis de nombreuses années. Le concept de développement durable s’appuie aussi sur la notion de la solidarité (trans -générationnelle, sociale…), nécessaire pour le bien-être de chacun, ce volet restant cependant moins connu que celui de l’écologie.
Quelle que soit l’importance qu’on lui attribue, la solidarité implique un certain degré d’engagement.
Mais pourquoi s’engage-t-on ? Certes la nature humaine comporte une part d’altruisme (et de son pendant : l’égoïsme), qui se traduit par une marque d’intérêt vers le prochain lorsqu’il est dans la difficulté. Au-delà des bons sentiments, qui comme cela a été souligné, ont été présentés comme des vertus par les principales religions dès la naissance des sociétés, le geste solidaire est-il totalement gratuit ? Un geste solidaire peut ainsi avoir pour but une certaine mise en valeur personnelle, aux yeux de soi-même de l’entourage. Dans un sens plus primitif, il peut aussi être nécessaire pour la « survie de l’espèce ».
Le philosophe André Comte-Sponville ose même une opposition entre charité et solidarité. La première se traduit par un acte gratuit, souvent individuel (exemple : le tsunami en Asie du Sud-Est, bien que les donneurs ont eu le sentiment de pratiquer de la solidarité !); la seconde répond à une « convergence d’intérêts », où celui qui la pratique aurait un bénéfice en retour de son geste (les mutuelles ouvrières constituées à la fin du XIXième siècle). Ainsi, la solidarité a été plus efficace pour le progrès social, par les revendications que la charité. La charité et la générosité sont donc « d’immenses vertus » qu’il met « beaucoup plus haut, moralement, que la solidarité ».
On le voit, la différenciation charité/solidarité n’est pas toujours simple. Dans notre société tout se mesure et se quantifie, notamment lorsqu’il s’agit d’économie et de social, plus difficilement lorsqu’on aborde les notions de bien-être ou de bonheur. Doit-on évaluer le poids à leur donner à l’aune de leur efficience (qualité d'un rendement permettant de réaliser un objectif avec l'optimisation des moyens engagés[1]) ?
D’un point de vue personnel, le geste solidaire a besoin d’engagement (peut-être initié par un principe de charité) et d’organisation pour avoir un impact durable sur la société, ce qui semble malheureusement échapper à bon nombre de citoyens. En concluant un précepte , cher au Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement qui est d’agir toujours avec les bénéficiaires du geste solidaire.
II. Texte de Benoît Delcourt.
Du Larousse :
Charité :
1. Vertu qui pousse à faire du bien aux autres.
2. Acte fait dans cet esprit.
3. (Théologie chrétienne) Amour de Dieu et du prochain.
Solidarité :
1. Dépendance mutuelle entre les Hommes.
2. Sentiment qui pousse les Hommes à s’accorder une aide mutuelle.
La Charité est une vertu judéo-chrétienne à l’origine. Les deux commandements : « Tu aimeras ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain » sont « identiques » (dans Marc). Les Dieux Greco-Romains étaient des sur-Hommes, classés selon leurs qualités (force pour Hercule, beauté pour Aphrodite, etc..). La religion Gréco-Romaine privilégiait donc les qualités, et était en plus teintée de cruauté (esclavage massif, guerre annuelle, jeux du cirques…). La Charité en était absente en théorie.
Cette vertu chrétienne a été, il faut bien le dire, de plus en plus oubliée par l’Eglise catholique elle-même (avec des exceptions comme Saint Vincent de Paul ou les sœurs travaillant pour les hôpitaux) au profit d’une obéissance stricte aux dogmes (Résurrection, Trinité…), et n’a été retrouvée qu’à la Révolution Française , avec cette inscription sur les édifices publics : Fraternité. Voilà pour l’Histoire.
Comme toutes les vertus, la charité traîne avec elle son contraire (Pascal :. « qui veut faire l’ange fait la bête »). C’est ainsi que l’acte de « faire la charité » peut s’accompagner d’un mépris de celui auquel on « fait du bien », et dans ce cas-là on lui fait du mal (exemple des « dames patronnesses » du dix-neuvième siècle).
Là où les choses se compliquent, c’est que faire du bien à autrui vous fait rétrospectivement du bien, à vous-même, et cela indépendamment d’une croyance en Dieu. C’est pour moi le sens de la maxime : « Charité bien ordonnée commence par soi-même » (non, ce n’est pas une invite à l’égoïsme!). Il peut être tentant de chercher ce « bien rétrospectif » au moment où on peut « faire le bien », ce qui casse cette action, puisque l’on est centré sur soi-même et non sur la personne à aider. Tentation que les bénévoles des associations caritatives connaissent bien, et à laquelle ils succombent parfois.
La question alors est la suivante : que demandent ceux à qui on peut « faire du bien » ? Une aide matérielle certes. Cette aide est plutôt du ressort des pouvoirs publics, qui sont, en France, il faut le dire, très actifs dans ce domaine, même s’ils pourraient faire encore mieux. Mais l’Etat ne peut pas tout, ne pourra jamais tout ; on voit mal comment il pourrait aider les personnes en situation illégale, et ce n'est qu'un exemple..
Au-delà de cette aide matérielle, ces personnes demandent du respect, une écoute de leurs problèmes avec, s’ils le désirent, des idées ou des informations pour en sortir (par exemple, par l’aiguillage vers un service social spécialisé, vers des soins gratuits….), une sortie de leur solitude par un contact avec des gens « normaux », un moment de répit par rapport à ce monde souvent très brutal auquel ils sont souvent confrontés. Ce qu’ils n’aiment pas : les leçons de morale, les attitudes implicitement dominatrices.
Pour terminer, citons quelques façons de désigner son prochain :le citoyen, le camarade, le frère.
Pour les associations caritatives (deviner lesquelles): le bénéficiaire, l’accueilli, la personne en difficulté, l’exclu. Mais voir une « concurrence » entre ces associations est une erreur !
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[1] Benoît Pigé, entre autres, Management et contrôle de gestion, Nathan, 2008