L'action humanitaire peut-elle être considérée comme une forme d'ingérence? 

Qu'est-ce que l'action humanitaire ? S'il s'agit de distribuer de la nourriture, soigner des malades ou des blessés, etc.... on parlera dans ce cas de mission humanitaire. Quand il s'agit de mettre fin aux pillages et aux exactions envers les populations, on est plutôt dans le cadre d'une tâche militaire. Enfin, quand on décide de reconstruire un état, comme en Somalie, par exemple, il est question d'entreprise politique. Mais dans les deux derniers cas, est-on toujours dans l'action humanitaire ?

J'ai trouvé intéressant d'aller chercher la définition du verbe « s'ingérer » dans le Larousse. On y parle d'intervention, sans en avoir le droit, dans l'activité d'autrui et quant au mot « ingérence », il signifierait l'action de dénoncer les interventions d'un pays étranger dans la vie politique d'un état. Alors où et comment peut se situer l'action humanitaire ? ...

« Se taire, c'est se rendre coupable de non-assistance à personnes massacrées » (Jacky Mamou, Président d'Urgence Darfour). Dans le droit pénal français on retrouve la notion de délit grave quand il s'agit de non-assistance à personnes en danger. En droit international, la non-assistance aux peuples en danger n'est pas encore un délit.

L'action humanitaire est-elle d'assurer le bonheur des hommes et leur salut ou plutôt d'assurer leur survie ? Je n'arrive pas à me positionner avec précision sur cette question.

Les limites de l'humanitaire sans frontière sont malheureusement souvent vite atteintes (détournements de l'aide, arrestations, prise d'otages) et force est de constater qu'il faut en arriver à l'humanitaire d'état. On voit bien en ce moment se faire un rapprochement entre l'humanitaire et le politique. Par exemple, à la différence de la Croix Rouge qui a toujours affiché une neutralité politique sur le terrain, MSF,  rompant avec cette tradition centenaire se voit souvent contraint d'empiéter sur le domaine réservé à la diplomatie. La pression des organisations humanitaires, trop souvent empêchées d'accéder aux victimes et la montée en puissance d'une opinion mondiale acquise aux idées de démocratie et de liberté ont convaincu les responsables politiques du caractère « porteur » du message humanitaire.

Cependant, l'intervention des états apporte-telle à l'action humanitaire une efficacité qui lui manquait ou constitue-t-elle un piège redoutable  et une équivoque dangereuse ?

L'Humanitaire a-t-il vocation à devenir le principal organisateur d'un nouvel ordre international ? La souffrance des hommes peut-elle demeurer une affaire d'état ? Cependant un état a le devoir de permettre à ses citoyens le développement de leur vie, mais il ne doit pas oublier que cette vie n'est pas sa propriété. Lorsqu'elle est menacée, le sujet redevient ce qu'il est aussi et principalement : citoyen du monde, membre de l'Humanité. Comment l'ingérence ne serait-elle pas alors à l'ordre du jour  ? Comment faire entre l'intervention ou la non-intervention au nom de la souveraineté d'un pays ?

Devoir et droit d'ingérence ?

L'idée d'ingérence humanitaire est apparue pendant la guerre au Biafra (1970), conflit qui a entraîné une horrible famine dont les images insoutenables sont arrivées chez nous par le biais du petit écran et bien souvent au moment où la France était à table. Le monde a pris conscience que d'autres membres du genre humain pouvaient encore vivre le pire et qu'il fallait faire quelque chose. On avait déjà fermé les yeux sur tant d'autres horreurs, on ne pouvait plus se voiler la face une fois encore.

Le devoir d'ingérence désigne une attitude éthique mais dans la réalité des faits, le devoir est devenu droit même si l'on a pas encore réellement légiféré au niveau mondial à ce sujet.

Le droit d'ingérence est la reconnaissance du droit qu'ont une ou plusieurs nations de violer la souveraineté d'un autre état encadrée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ainsi la communauté internationale aurait le droit d'agir contre la volonté d'un état, ce qui n'est bien évidemment pas sans danger. Utiliser la force pour secourir ? Jouer l'indifférence et la neutralité à l'extrême, cela n'est pas non plus sans poser problème. La solidarité c'est quand même une notion fabuleuse mais la solidarité sans enjeux est-elle possible entre nos états et sur la planète où tout est basé sur l'échange et le « retour d'ascenseur » ?

Un état reconnu sur la scène internationale est libre de déterminer son système politique, social, culturel et ce sans intervention extérieure. Peut-on venir mettre « son nez » dans ses affaires si l'on découvre qu'à l'intérieur de ses frontières les droits de l'homme sont bafoués, qu'on s'y entre-tue, qu'on  y crève de faim ? En a-t-on le droit ou le devoir ? Et quelle est la différence entre un droit et un devoir » ? Ou plus simplement peut-on venir éduquer, enseigner l'hygiène, essayer d'apporter des solutions à la misère en suppléant les carences de l'état ? Ne risque-t-on pas de s'apercevoir d'effets pervers tels que l'évangélisation et la sensation d'infériorité qui pourrait être ressentie (parfois à juste titre) par les populations secourues par un assistanat trop intrusif.

L'action humanitaire a bien du mal à se situer entre devoir et droit d'ingérence.

Il faut bien reconnaître que l'ingérence a toujours été une action dirigée du Nord vers le Sud, des pays riches vers les pays pauvres.

Il y a des voix pour dire, en Occident, que l'ingérence humanitaire ressemble un peu trop au colonialisme du 19e siècle. Et puis, parfois, c'est un peu plus subtil : lors de la décolonisation, la France a évoqué le principe de non-ingérence pour ne pas avoir à répondre de sa politique en Algérie.

Finalement, on peut se poser la question sur la réelle indépendance des ONG ? Quand l'action humanitaire nécessite l'accompagnement armé de l'ONU ou des forces de l'OTAN, n'est-ce pas de l'ingérence forcée et cela ne risque-t-il pas d'amener les ONG à être perçues comme des émissaires des pays occidentaux pour violer la souveraineté des états ? Les pays peuvent-ils continuer à être pleinement souverains quand l'économie se mondialise, que l'information se diffuse dans quasiment tous les recoins de la planète et que le développement des risques écologiques réduit la marge d'autonomie et d'indépendance des états ?

Je  peux être d'accord avec le principe du droit d'ingérence mais à la condition qu'il reste une exception soumise à des principes bien définis ; situation d'urgence, violation massive des droits de l'homme, et que l'intervention se fasse dans le respect des populations locales, de leurs traditions et de leur mode de vie. Ce droit doit être encadré par des textes de lois car au nom de ce devoir-droit d'ingérence on ne peut pas faire n'importe quoi comme on a pu le constater récemment avec le risque que le remède soit pire que le mal. Maintenant que MSF et autres ONG aillent se faire la main et apporter un peu d'aide, de médicaments aux malheureux, je trouve cela très bien si, simultanément, on leur apporte les moyens de faire par eux-mêmes.

Je vous livre de mémoire une maxime qui me paraît être une bonne conclusion.

" Donne du pain à ton prochain, il mangera aujourd'hui, apprends-lui à cultiver le blé, à le transformer en farine et à faire son pain lui-même, il mangera jusqu'à la fin de sa vie..."

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