Notre pays a vécu pendant de nombreux siècles en « chrétienté ». Il accueille maintenant des Musulmans, il a aussi comporté et comporte encore de nombreux Juifs ce qui n’empêche pas de se poser des questions sur ses racines chrétiennes , sans aucun esprit de supériorité du christianisme par rapport aux autres religions. Il faut ajouter que l’auteur de ces lignes n’est mandaté par personne, et ne représente que lui même.
Que notre société soit l’héritière de la chrétienté est un sujet polémique. C’est qu’il a fallu se dégager de l’emprise cléricale (1789, 1905), et la passion a poussé aux extrêmes, et à l’erreur historique (certains nient carrément cet héritage , or on ne peut nier ses racines, même s’il est possible d’agir en tentant de les ignorer!)..
Qu’était ce que la chrétienté ?
Disons tout d’abord quelques mots de l’Evangile. Selon moi, il a deux principales composantes .D’une part une relation facilitée à cette entité inconnue que nous appelons Dieu. : Jésus nous parle d’un Dieu proche, et, pour appuyer son message, réalise des miracles. D’autre part, une morale : Jésus nous montre comment se comporter dans la vie (exemple : le Bon Samaritain) ; selon lui, aimer son prochain, c’est s’aimer soi-même. Le tout s’appuie sur des images fortes qui ont inspiré les artistes depuis 2000 ans : la Sainte famille, la fuite en Egypte, la visitation…
La chrétienté, c’est une certaine façon qu’ont eue les Hommes de traduire de message du Christ (et comme on sait, traductor, traditor, le traducteur est parfois un traître). C’est d’une part un système politique, fondé sur une adhésion officielle au message Christique, « prouvé » par les miracles, profitant à une caste qui se prétend pieuse et, après quelques générations, supérieure par la naissance, et d’autre part une façon personnelle de s’approcher du grand Tout. C’est François premier et Charles-Quint, mais aussi Saint François d’Assise et Saint Benoît, (dans la même lignée, Mère Térésa et l’abbé Pierre). Il faut dire aussi que tous les « Saints » ne se valent pas : à côté de papes subtils et honnêtes (Saint Grégoire le Grand, qui sauva Rome des Huns par la simple négociation), on en trouve des corrompus ou imbéciles (les Borgia, Pie IX et son « Syllabus »), c’est cela le « péché du monde ».
Entre ces deux pôles de chrétienté, la politique et la pieuse, les frontières n’étaient pas vraiment étanches (cas de Saint Bernard, à l’origine de la seconde croisade, et de Jehanne d’Arc trouvant dans les images pieuses la force de sortir la France de la colonisation Anglaise), mais si le pôle politique (dit aussi « Ancien Régime ») a été maintenant banni et a laissé de mauvais souvenirs, le second, lui, correspondrait bien à ce qui peut nous rester de cette chrétienté.
La chrétienté était finalement un système totalitaire, qui prétendait avoir trouvé le sens de toutes choses (« Le Verbe s’est fait chair », la chair ne se discute pas, elle est là, et la discussion se limite alors à l’apologétique). Elle mettait en avant un système cohérent, hiérarchisé, dont l’évidence s’imposait à tous : Dieu d’abord, puis le pape et le roi, les nobles etc… Cela fait penser à la hiérarchie familiale, qui s’impose également naturellement : le père, la mère, le frère aîné…. Les choses étaient bien en ordre, comme dans la tête d’un enfant ; d’ailleurs une phrase du Christ le dit bien (dans Matthieu) : « Si vous ne redevenez pas comme ces enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (mais toute la vie de Jésus est le contraire d’une vie enfantine). Pour un esprit simple et même simplet, il faisait peut-être bon vivre en chrétienté, il n’y avait pas de question à se poser. De ce point de vue, mais de ce point se vue seulement, c’était un monde « enchanté », en « communion », et cet enchantement, on le ressent encore en écoutant par exemple des Ghospell ; aussi, il est fréquent que des personnes à qui vous dites avoir « gardé la foi » vous traitent de veinard.
Des occasions d’éprouver le sentiment de communion existent par ailleurs dans notre société : le football, avec ses dieux du stade, ses arbitres tout puissants, sa FIFA, monde obscur qui tire les ficelles ; le rock and roll et ses chants chantés tous ensemble comme des cantiques. Pourtant ce ne sont que des palliatifs, à effet éphémère.
D’autres systèmes totalitaires ont vu le jour au 20ème siècle, avec le même coté infantilisant : nazisme, communisme. Mais il manquait une morale au nazisme, et un moteur de production au communisme (la morale communiste était à priori la morale chrétienne, mais sans l’importance donnée à l’individu qui est le propre du judéo-christianisme)…
Question : cette chrétienté était elle conforme à l’enseignement du Christ lui-même ?
Pour ce qui est du côté politique, la réponse est clairement non : « Mon royaume n’est pas de ce monde » est il plusieurs fois affirmé dans l’Evangile de Jean.
Pour ce qui est du côté relation à Dieu, rappelons que : « les deux commandements les plus importants sont : aime Dieu, et aime ton prochain » (dans Matthieu), deux commandements que le Christ affirme identiques, (pas « aussi importants », « identiques »). Les efforts de nombreuses personnes dans différentes générations pour vivre en actes cette « charité » ne sauraient être oubliés.
Une erreur répandue autrefois tenait à faire du christianisme une morale de la résistance à la douleur, un Stoïcisme en somme. Dans un film de Tim Burton paru il y a quelques années, on pouvait voir le Christ en surhomme, résistant superbement aux tortures. Il faut bien dire que cette erreur a été répandue par l’Eglise elle-même, en un temps où la douleur faisait partie de la vie quotidienne (les anti-douleur efficaces datent de la dernière guerre), mais il faut dire aussi qu’elle n’a plus cours : après quelques hésitations, la pape Pie XII a autorisé, pour les catholiques, l’accouchement sans douleur et le reste a suivi.
L’état des lieux.
L’impression que j’ai est celle d’une gêne quasi générale : on ne rejette pas le christianisme, on lui reconnaît des valeurs, et d’ailleurs on continue parfois à faire faire leur « communion » aux enfants, mais on ne sait pas très bien quoi faire de ce christianisme . Peu de gens se disent athées, 20% peut être, mais beaucoup « croyants, mais pas pratiquants », ce qui signifie qu’ils adhéreraient au message, mais pas à sa traduction par les Eglises chrétiennes.
D’autres personnes pensent, consciemment ou non, que tout cela, c’est pour « les femmes et les enfants ». On l’a déjà dit, les enfants adhèrent facilement à un monde enchanté, leur esprit critique étant encore peu développé. Quant aux femmes, après une maternité, ne ressentiraient elles pas plus que les hommes le besoin de remercier ; remercier qui ? le Créateur, dont elles n’ont fait qu’utiliser les moyens, et cela fait du bien !
D’autres encore vous affirment pour se « dédouaner » (y en a t’il vraiment besoin ?) qu’ils croient au paradis après la mort (certains chrétiens n’y pensent pas!). La proportion de « fidèles », ceux qui participent à la vie des Eglises, est comprise entre 5 et 10%, mais le nombre de personnes qui aiment s’arrêter dans une Eglise, seuls, pour méditer, est sans doute plus élevé, et les apparitions du pape en France font régulièrement un tabac...
Que dire de l’objection scientiste ? Elle a répondu initialement à une objection obscurantiste de l’Eglise (non, la Terre ne tourne pas sur elle-même !), mais elle n’est pas loin d’être aussi sotte (on pense ici, par exemple, à Gagarine affirmant n’avoir pas vu Dieu dans son premier spoutnik). La Science ne démontrera jamais que Dieu existe, ou n’existe pas, ce n’est pas son domaine. Cependant, elle apporte une méthode faite d’humilité : ce que je sais, je le sais, mais il est vain de prétendre savoir ce qu’on ne sait pas. En fait, la Science peut parfois décrire le comment, description magnifique d’ailleurs, mais quant au pourquoi, elle ne peut rien dire et les scientifiques le savent bien!
. De nombreuses personnes pensent que le christianisme n’est pas nécessaire pour aimer son prochain, et que finalement, le passage du Christ sur terre aurait été inutile, les règles de morale élémentaire suffisant largement (par exemple, ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse). C’est simplement oublier que ces règles de morale ont été façonnées pendant des siècles par le christianisme, et que les Romains par exemple, avec leurs jeux du cirque cruels, leurs esclaves, leurs guerres saisonnières (on « ouvrait les portes de la guerre » en Mars, les refermait en Octobre), ne les suivaient pas du tout.
Mais les règles de la morale chrétienne sont elles vraiment observées aujourd’hui ? Le débat de ce soir pourrait porter sur ce qui reste de cette charité chrétienne, étant entendu qu’on ne reviendra jamais au système politique ancien (de nombreux pays, comme l’Angleterre, en ont gardé un simulacre). Autrement dit : la société que nous bâtissons garde t’elle ces valeurs de charité, d’attention à l’autre, et aussi de recherche de relation avec Dieu ?
A regarder les lois qui ont présidé à la naissance et à la croissance de l’idée Européenne, on voit bien que celles ci sont conformes à l’Evangile, et même qu’elles ont été inspirées par lui. Si l’Europe reconnaît la nécessité du marché pour la production de biens (ce n’était pas évident il y a cinquante ans, le régime communiste niait cette nécessité), elle propose qu’on ne laisse personne abandonné financièrement à lui même; c’est l’ « économie sociale de marché », avec ses prestations de chômage, ses assistantes sociales, ses retraites généreuses (écrit en 2010), et sa sécurité sociale, d’ailleurs de plus en plus battue en brèche par le monde anglo-saxon et les pays émergents, qui lui préfèrent l’ « économie de marché ».
Le sentiment de « justice sociale » est assez répandu dans notre pays, mais il est combattu par ce qu’on appelle l’ « efficacité », cette efficacité, utilisant la concurrence étant parfois érigée en valeur. Mais derrière cette « efficacité » sacro-sainte, se cachent souvent, hypocritement ou non, la cupidité, l’égoïsme… valeurs non chrétiennes par excellence.
En conclusion, que nous reste-t il ? Des valeurs affirmées dans les Evangiles, des images apaisantes, l’expérience malheureuse du cléricalisme qui nous montre bien ce qu’il ne faut surtout pas faire, une propension à aider son prochain, tout cela combattu par des anti-valeurs (profit sacralisé, individualisme) ; et, pour certains, pas le plus grand nombre, un façon de s’adresser à Celui qui est au dessus de nous, s’il existe, ce que personne ne sait…